Haykel Ben Mahfoudh, un Tunisien à la CPI

Juriste aux expériences et aux compétences multiples, rompu aux dialogues et aux médiations menés en marge des conflits armés, il est le premier légiste arabe à rejoindre l’institution basée à La Haye.

Haykel Ben Mahfoudh a été élu à la CPI le 6 décembre 2023. © Ons Abid

Haykel Ben Mahfoudh a été élu à la CPI le 6 décembre 2023. © Ons Abid

Publié le 12 décembre 2023 Lecture : 4 minutes.

En 2020, déjà, Haykel Ben Mahfoudh avait brigué un siège de magistrat à la Cour pénale internationale (CPI). Sans succès. À l’époque, l’appui officiel de la Tunisie lui avait fait cruellement défaut. Déterminé, il a présenté à nouveau sa candidature à l’occasion de la 22e session de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome, qui fonde depuis 2002 cette juridiction pénale à laquelle la Tunisie a adhéré en 2011. Cette fois, il a bénéficié du soutien du ministère tunisien des Affaires étrangères et de la Migration, et a été élu le 6 décembre 2023.

En poste pour neuf ans à La Haye, Haykel Ben Mahfoudh, 52 ans, devient ainsi le premier juriste tunisien – et même arabe – à accéder à cette fonction. Il devra maintenant, aux côtés des 18 juges que compte l’instance, se prononcer sur des cas de crime de guerre, de crime contre l’humanité et de génocide. Des termes qui prennent un écho singulier dans le contexte du conflit qui oppose le Hamas et Israël depuis le mois d’octobre.

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Chez les Mahfoudh, originaires de l’archipel des Kerkennah mais établis depuis longtemps à Sfax (Centre Est), le droit et la loi sont avant tout une affaire de famille. Le nouveau juge à la CPI descend d’une lignée d’intellectuels et compte parmi ses oncles l’historien Faouzi Mahfoudh et le constitutionnaliste Amin Mahfoudh (une branche qui a perdu, en raison d’une erreur de transcription, le « Ben » de son patronyme). Le juriste doit également son goût du droit à Mohamed, son père, brillant avocat auquel son engagement politique avec le mouvement de gauche Perspectives a valu des tracas et une lourde condamnation, 11 ans, ramenés à 2 ans à la faveur d’une amnistie.

De l’Uget à la Mutan

Durant sa jeunesse, Ben Mahfoudh a donc souvent entendu parler de régime autoritaire, d’abus de pouvoir, de liberté, de justice, de défense des droits… Des questions qu’il a faites siennes et des causes qu’il pourra défendre à La Haye. Actif durant ses études dans les rangs de l’Union générale des étudiants tunisiens (Uget), il revendique aujourd’hui son indépendance à l’égard de la politique dans son ensemble. Il n’en demeure pas moins un homme engagé dans la défense des fondamentaux du droit, qui manie avec la même aisance l’arabe, le français et l’anglais.

En 2011, cet homme discret qui a construit sa carrière par étapes, en montrant un intérêt pour différentes spécialités du droit (recherche en droit international, droit des conflits et droit humanitaire, thèse de doctorat, soutenue en 2005, sur la protection de l’environnement en contexte de conflit armé) se fait connaître par ses interventions dans les médias sur la sécurité et l’État de droit.

Reprenant le cabinet fondé par son père, il s’y est familiarisé avec le droit pénal et le contentieux administratif. Mais l’agrégé en droit public international est aussi attaché à un parcours académique et aux questions posées par les mutations du monde. Il entame avec patience tout un parcours à travers l’enseignement qui le conduira, à ses débuts, à la faculté de Kairouan, pour ensuite être intégré au titre de professeur de droit constitutionnel à la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis. Jusqu’à sa récente élection à La Haye, il occupait le poste de chef de la Mission universitaire de Tunisie en Amérique du Nord (Mutan), à Montréal.

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Amender le Statut de Rome

De la marche, qu’il pratique avec assiduité, il aime dire qu’elle lui confère, au propre comme au figuré, un second souffle, qui lui permet de mener parallèlement à l’enseignement une carrière de conseil et d’expert à l’international. Sa connaissance opérationnelle approfondie des questions de gouvernance démocratique du secteur de la sécurité et de la réforme de la justice a ainsi pu être mise en pratique lorsqu’il a œuvré comme chef de mission du Centre de Genève pour la gouvernance du secteur de la sécurité (DCAF) en Tunisie.

Cet amateur de musique classique – il joue du violoncelle – se penche aussi sur les enjeux prospectifs. Il a été expert principal dans plusieurs programmes de réforme du secteur de la sécurité, notamment ceux menés par les Nations unies en Irak (Manui), au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Il étend son champ d’intervention aux réformes institutionnelles et a collaboré avec l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (Idea) dans des dialogues politiques inclusifs au Yémen.

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Ces missions successives autour de différents conflits l’ont amené à développer une fine compréhension de l’impact des spécificités, des enjeux institutionnels et des interférences entre acteurs régionaux sur les différentes sortes de crimes perpétrés. Une expérience qui contribue à sa vision sur la gravité des crimes, le processus de justice transitionnelle, les poursuites et la prise en compte des victimes. À la CPI, il espère maintenant convaincre ses pairs de la nécessité d’amender le Statut de Rome pour y adjoindre les nouvelles dynamiques de la criminalité et des conflits internationaux, tels que le terrorisme, le changement climatique ou l’exploitation des ressources naturelles.

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