Présidentielle en Égypte : un taux de participation « historique »

Vingt-quatre heures après le début des opérations de vote, qui s’étendent sur trois jours, les autorités annonçaient déjà une victoire écrasante du président Sissi et un taux de participation record. L’opposition, elle, dénonce des pressions et une « farce électorale ».

Devant un bureau de vote, au Caire, le 10 décembre 2023. © Ahmed HASAN / AFP

Devant un bureau de vote, au Caire, le 10 décembre 2023. © Ahmed HASAN / AFP

Publié le 13 décembre 2023 Lecture : 5 minutes.

« Le taux de participation sera historique », a prévenu l’Autorité nationale des élections, dès le deuxième jour du scrutin qui s’est déroulé sur trois jours, du 10 au 12 décembre. Le taux de participation, assure-t-elle, avait alors déjà dépassé 45 %, soit plus de 30 millions de votants sur un corps électoral de 67 millions de personnes. L’Organisme général de l’information (SIS), de son côté, mise sur un chiffre final de 62 % de participation.

Si cette présidentielle était jouée d’avance avec la victoire annoncée du président sortant, Abdel Fattah al-Sissi, le régime égyptien a énormément investi pour atteindre un tel taux de participation. Selon l’opposition, tous les moyens étaient bons pour parvenir à ses fins, que ce soit la corruption ou l’intimidation.

la suite après cette publicité

Illustration à Garden City, dans le centre-ville du Caire, où la chanson – écrite après la guerre de 1973 contre Israël – Helwa Bladi (« Il est beau mon pays ») résonne depuis une tente préparée par des partisans de Sissi pour attirer les électeurs. Devant, une longue file de citoyens – des hommes et femmes âgés et quelques jeunes – s’étire devant le bureau de vote. Des femmes dansent, brandissant des drapeaux égyptiens et des portraits du président Sissi. De l’autre côté de la rue, des électeurs descendent d’un bus floqué de l’emblème du parti au pouvoir, Mostaqbal Watan (Avenir de la patrie), et d’une photo du président. Interrogés, certains reconnaissent sans gêne aucune qu’ils ont reçu entre 200 et 300 livres égyptiennes pour venir.

Les médias favorables au pouvoir sont unanimes. Ce scrutin constitue une « grande victoire de la volonté du peuple », lequel a « réécrit l’histoire pendant les trois jours d’élection ». Le 13 décembre, le quotidien gouvernemental Al-Ahram titrait : « Le peuple a gagné la course de “l’alignement national” et envoie au monde un message d’appartenance patriotique ». Ledit « alignement » étant celui qui s’opère derrière le pouvoir en place et son candidat. Des vidéos partagées sur les réseaux sociaux montrent des femmes qui dansent devant les bureaux de vote, tandis que certains médias prédisent déjà un niveau de participation historique, dépassant même les records enregistrés après la révolution de 2011.

Résultats officiels le 18 décembre

Du côté des partis proches du pouvoir, qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour mobiliser les électeurs, on revendique déjà la paternité de la victoire. Les dirigeants de Homat Watan (« Protecteurs de la patrie ») louent la salutaire prise de conscience des Égyptiens, reprenant eux aussi l’idée selon laquelle le taux de participation très élevé confirmera « l’état d’alignement national » des citoyens derrière le gouvernement. Le parti Mostaqbal Watan s’est, lui, félicité d’une « présidentielle historique » qui exprime l’unité du peuple en ces temps de crises et de défis.

Dans la plupart des bureaux de vote, le dépouillement des bulletins a commencé dès le 12 décembre au soir. Selon les premiers résultats partiels, Sissi devance largement les trois autres candidats, de parfaits inconnus pour la plupart des électeurs. Mais les résultats officiels ne seront annoncés que le 18 décembre.

la suite après cette publicité

Comment les médias officiels parviennent-ils à expliquer qu’une élection sans réel enjeu ait mobilisé les votants dans des proportions inédites ? Invité du talk-show Sabah el-Balad, sur la chaîne de télévision Sada el-Balad, Bassel Adel, fondateur du Bloc du dialogue, qui a représenté des personnalités politiques pendant le dialogue national entre le gouvernement et l’opposition cette année, assure que c’est « l’état de stabilité et de sécurité dont jouit le peuple égyptien » qui a motivé les électeurs à se rendre aux urnes pour renouveler leur confiance au président sortant et lui confier un troisième mandat.

En ces temps de guerre à Gaza, explique-t-il aussi, le peuple éprouverait au plus au point « le souci de la sécurité nationale » et soutient ses dirigeants lorsqu’ils résistent aux « pressions exercées sur l’Égypte pour accepter des choses qu’elle refuse ». Bassel Adel loue également « l’action sérieuse des partis et la création d’une base politique, ce qui a contribué à mobiliser les citoyens pour soutenir les candidats ».

la suite après cette publicité

Intimidation et corruption

Face à cette parole officielle, celle de l’opposition peine à se faire entendre. Mettant en doute les motivations réelles des électeurs, certains osent évoquer – le plus souvent sous couvert d’anonymat – un nombre de cas d’intimidation et de corruption sans précédent. À Al-Mounib, un quartier populaire dans le sud du Caire, plusieurs personnes ont ainsi confirmé avoir été payées par des représentants de partis soutenant le pouvoir et par des « personnes en civil » en échange de leur vote. « Il y a des gens qui ont reçu 200 livres pour aller voter, d’autres électeurs ont eu droit à 2 kilos de sucre, une denrée rare en ce moment », affirme à Jeune Afrique une femme présente devant un bureau de vote.

De son côté, le site indépendant Mada Masr a rapporté que des personnes qui voyageaient entre Le Caire et les autres gouvernorats, et qui se trouvaient dans diverses stations de bus ou à la gare principale au Caire, ont été conduites de force vers un bureau de vote ambulant par des policiers. À cela s’ajoutent des témoignages sur l’intimidation et les menaces visant les fonctionnaires, les enseignants, des propriétaires et employés de magasins et de cafés, des salariés d’entreprises privées afin de les inciter à aller voter et à mobiliser leurs familles.

Dans les villages, les partis proches du pouvoir ont distribué des cartons d’aide alimentaire en échange de votes, selon d’autres témoignages, alors que des appels lancés dans les mosquées menaçaient tous ceux qui n’allaient pas voter de priver leur famille des produits subventionnés.

« Cette élection restera comme un épisode noir de notre histoire. Le régime ne s’est pas contenté des violations commises pendant la collecte des signatures, ce qui a permis d’écarter Ahmed el-Tantawi. Il a aussi forcé les fonctionnaires à voter et à le prouver en montrant, au travail, leur doigt couvert d’encre. Il a également obligé les personnes bénéficiaires de l’aide financière de l’État à fournir leurs cartes d’identité afin que d’autres aillent voter en leur nom », s’est indigné Elhamy el-Merghani, secrétaire général du parti d’opposition Al-Tahalouf al-Chaabi al-Ishtiraki (l’Alliance populaire socialiste). Un parti qui, avec d’autres membres du Mouvement civil démocratique, a décidé de boycotter ce qu’il qualifie de « farce électorale ».

« Fausse mobilisation »

« C’est une fausse mobilisation, qui ne constitue en rien la preuve d’un vrai soutien du peuple au pouvoir, insiste-t-il. Le régime a tout fait pour que le taux de participation soit très élevé afin de préparer le terrain à des réformes douloureuses, dont une nouvelle dévaluation de la livre égyptienne, sur fond de crise économique aiguë. Le régime a besoin de renouveler sa légitimité en raison de l’érosion de la popularité du président consécutive à une politique qui a détruit l’économie et appauvri le peuple. Et aujourd’hui, il profite de cette pauvreté pour obtenir des voix. »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Un bus de campagne électorale (orné du slogan « vive l’Égypte ») du président Abdel Fattah al-Sissi, dont les partisans se préparent à un rassemblement à Gizeh, le 2 octobre 2023. © Khaled DESOUKI/AFP

Comment Sissi a assuré sa réélection en Égypte

En Égypte, Sissi prépare une présidentielle à sa mesure

Contenus partenaires