Route migratoire, un périple vers l’essentiel

Alors que les décès de migrants sur les chemins de l’exil ne cessent de croître dans l’indifférence générale, les gouvernements européens tendent à mettre en place des politiques migratoires plus restrictives. Au grand dam du sociologue et écrivain sénégalais Elgas, qui invite à ériger l’empathie en socle premier de l’avenir du continent.

Migrants partis de Libye et secourus par un bateau affrété par MSF (Médecins sans frontières), en octobre 2023. © Paolo Santalucia/AP/SIPA

Migrants partis de Libye et secourus par un bateau affrété par MSF (Médecins sans frontières), en octobre 2023. © Paolo Santalucia/AP/SIPA

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  • Elgas

    Chercheur associé à l’IRIS, journaliste, écrivain et docteur en sociologie

Publié le 6 janvier 2024 Lecture : 3 minutes.

Sur l’Afrique, il en est des récits comme des prophéties : leurs bonnes ou mauvaises intentions trahissent leur dessein, et, fatalement, s’écrasent contre le mur du réel. Aussi loin qu’on remonte, les tonalités crépusculaires ou euphoriques étaient déconnectées du pouls réel du continent, condamnant les vibrations à être, au mieux, dans un contretemps, au pire, dans le mensonge et son cortège de malveillance.

Du fantasme civilisateur et raciste à la sauce Jules Ferry à son pendant émancipateur de l’afro-optimisme du milieu des années 2000, en passant par le vieil et cinglant afro-pessimisme, sans oublier l’ethnologie coloniale, la même déconnection, ou distorsion, pour satisfaire des objectifs établis, éloignés du réel.

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Autrement dit, du « récit du chasseur à celui du lion » – pour reprendre une métaphore en vogue –, la vérité de l’histoire, son unité inaliénable, ont toujours été la victime collatérale de logiques se voulant pourtant, et curieusement, émancipatrices.

Prévisibles parieurs

Rien ne change pourtant. Les « narratifs » – nouveau totem langagier du néolibéralisme repenti, préalable, du reste, à toute entreprise commerciale qui jette son dévolu sur l’Afrique – ne changent pas tellement par rapport aux décennies précédentes. La matrice reste. Tout juste s’habille-t-elle d’intentions et d’ardeurs sophistiquées. L’Afrique reste un « produit », étiqueté et code-barré. Pré carré du tout-venant cherchant affaire, jurant la main sur le cœur être divinement mandaté pour la guérir. Face à cet invariant, les faits, et heureusement, sont têtus. Tout comme l’Histoire. Habiles qu’ils sont, dans leur endurance incorruptible, à démasquer les imposteurs. Inspirés, mais si prévisibles parieurs misant l’amour de la patrie pour rafler la mise. On peut dire avec Racine : « Il n’est point de secrets que le temps ne révèle. » L’inéluctable marche du monde est une alliée en la circonstance.

On ne s’amusera donc pas ici à lister les maux ou malheurs du continent. Ce serait céder à la tentation de faire un catalogue des tragédies qui, aussi cruelles qu’elles en donnent l’air, ne disent ni ne reflètent l’état de l’Afrique dans son infinie vastité. Contre tout catastrophisme, tenir ceci et s’entêter : le continent vit bien. Se débat. Perd. Vainc. Envisage l’avenir avec enthousiasme et combativité. Si la passion de vivre qui y abonde n’est en rien un gage, elle dégage un peu l’horizon, et presse à la responsabilité pour tirer profit, collectivement, du vivier et des gisements de potentialités.

Illusion d’autarcie salvatrice

Les convulsions politiques dans trois États [Mali, Burkina Faso, Niger], avec du reste des passifs lourds sur le temps long, ne peuvent être le baromètre de la vitalité d’un ensemble. Tout récit englobant porte en lui le biais nocif de l’uniformisation et de son pendant : la dépréciation collective. C’est de ces récits, d’où qu’ils viennent, qu’il faut débusquer la malhonnête allure et sortir. Revenir en somme à des problèmes communs et ordinaires, lesquels sont les causes de malheurs tenaces et structurels, qu’il nous faut attaquer. Les appréhender lucidement, sans défaitisme, avec l’ardent désir de réenchanter des rêves simples. Il apparaît une condition essentielle : bien doser l’amour des nôtres et des autres. Car du mal-dosage naît le malaise identitaire qui crispe et rend amère l’énergie de l’émancipation.

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Aimer nos morts de la Méditerranée, arrêter de sous-traiter nos deuils aux déserts et à la mer, offrir des sépultures mémorielles dignes, protéger les enfants des sévices, lutter pour les droits des femmes, des minorités, opter pour des sociétés ouvertes et inclusives qui ne cèdent pour autant rien sur leur fondation, c’est replacer l’humanité simplement au cœur de notre horizon. Ne plus seulement consommer, produire des alternatives pour et avec le monde, sans illusion d’autarcie salvatrice. Arracher des droits et refuser que le progrès humain soit une chasse gardée occidentale. C’est, ainsi, un périple vers l’essentiel : l’empathie comme le socle premier, l’étage solide pour les envols largement à notre portée. Puisse l’année nouvelle, au milieu des tumultes, favoriser des synergies pour cet amour, plus sûr sentiment de la liberté et plus grande garantie du bonheur.

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