Leonardo Santos Simão : « Les élections exigent des conditions minimales pour être réussies »

Le représentant spécial pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel du secrétaire général de l’ONU plaide pour une reprise du dialogue entre la Cedeao et les différentes juntes au pouvoir dans la région.

Leonardo Santos Simão, à Paris, en décembre 2023. © Vincent Fournier pour JA.

Leonardo Santos Simão, à Paris, en décembre 2023. © Vincent Fournier pour JA.

BENJAMIN-ROGER-2024

Publié le 16 décembre 2023 Lecture : 5 minutes.

L’ACTU VUE PAR – Il a pris fonction en mai, dans une Afrique de l’Ouest bouillonnante, marquée par une série de coups d’État. Mali, Guinée, Burkina Faso, puis Niger, quelques mois après son arrivée… Ces quatre pays en transition occupent une grande partie de l’emploi du temps de Leonardo Santos Simão depuis que le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), António Guterres, l’a choisi comme représentant spécial pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel.

Désormais basé à Dakar, ce diplomate mozambicain a été ministre des Affaires étrangères pendant plus de dix ans, de 1994 à 2005, puis a dirigé la médiation de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) à Madagascar, entre 2009 et 2014. De passage à Paris après le sommet des chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) à Abuja, qui a ouvert la voie à un allègement des sanctions contre le Niger, il répond aux questions de Jeune Afrique.

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Jeune Afrique : Pourquoi avoir décidé lors du sommet de la Cedeao de lever les interdictions de voyager qui visaient le colonel Assimi Goïta et son Premier ministre, Choguel Kokalla Maïga ?

Leonardo Santos Simão : Cette décision ne concerne pas seulement les autorités maliennes mais l’ensemble des quatre pays en transition [Guinée, Mali, Burkina Faso, Niger]. En février, décision avait été prise de les sanctionner en interdisant à leurs dirigeants de voyager. Résultat : le dialogue a été coupé entre la Cedeao et ces pays, qui ont considéré que l’organisation ne voulait pas dialoguer avec eux. Ce changement de décision ouvre les portes du dialogue.

Pensez-vous qu’il faille assouplir les sanctions contre les putschistes nigériens ou au contraire durcir le ton à leur égard ?

Il faut toujours se parler. Tout le monde est d’accord pour dire que la Constitution de ce pays a été violée. Il y a désormais un problème qu’il faut résoudre, et la solution passe nécessairement par le dialogue.

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La libération du président Mohamed Bazoum, en captivité depuis qu’il a été renversé le 26 juillet, doit-elle être un préalable à toute discussion avec le régime du général Abdourahamane Tiani ?

Ils ont leurs raisons pour retenir le président Bazoum. On peut être d’accord ou non, mais là encore, il faut que les parties prenantes se parlent pour résoudre ce problème.

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Cela fait bientôt quatre mois qu’il est séquestré par les putschistes. Cette situation n’a-t-elle pas trop duré ?

Bien sûr que c’est trop. Même un jour de détention, c’est trop. C’est pour cela qu’il faut trouver un moyen pour le libérer, ainsi que son épouse, son fils et tous les membres de son gouvernement qui sont détenus.

Aucune élection n’est programmée en Guinée, au Mali, ni au Burkina Faso, malgré leur engagement à en tenir dans un délai « raisonnable ». La Cedeao et ses soutiens internationaux, dont vous faites partie, sont-ils à ce point impuissants face aux putschistes ?

Je ne vois pas les choses de cette manière. Il y a une impasse dans le processus de dialogue entre ces autorités militaires et la Cedeao. Les Nations unies et l’Union africaine [UA] sont là pour soutenir et encourager les efforts faits pour trouver une solution à ce problème.

La Cedeao souhaite que le Niger s’engage sur « une courte feuille de route pour la transition » vers « le rétablissement rapide de l’ordre constitutionnel » en échange d’un allègement des sanctions. En quoi le ferait-il davantage que la Guinée, le Mali ou le Burkina Faso qui, jusqu’à présent, ne respectent pas leurs feuilles de route ?

Quand un accord existe entre un gouvernement et une organisation internationale, il faut accompagner la dynamique du processus politique. Les élections exigent des conditions minimales pour qu’elles soient réussies. Pourquoi en organiser en sachant que les résultats ne seront pas bons ? Par exemple, au Burkina Faso, les autorités affirment qu’il y a une situation sécuritaire très sérieuse et qu’il faut la régler avant de parler des élections, sans quoi une partie du pays risque de ne pas y participer.

N’est-ce pas un argument pratique pour se maintenir au pouvoir ?

Je n’ai pas de raison de penser de cette manière. J’ai participé à d’autres processus politiques : à Madagascar, il a fallu attendre cinq ans avant d’organiser des élections dans des conditions optimales pour permettre à tous les citoyens la possibilité de voter librement. Il faut éviter d’organiser des élections pour respecter à tout prix un calendrier. Il faut surtout garantir que les conditions pour les tenir soient réunies.

L’Alliance des États du Sahel (AES) formée par le Mali, le Burkina Faso et le Niger est-elle une menace pour la Cedeao, comme l’a laissé entendre le président nigérian Bola Tinubu ? 

D’autres unions entre pays membres existent déjà, comme l’Initiative d’Accra [Bénin, Togo, Ghana, Burkina, Côte d’Ivoire, Niger, Nigeria et Mali] ou l’Union du fleuve Mano [Libéria, Sierra Leone, Guinée, Côte d’Ivoire], et ne représentent pas de menace pour la Cedeao. Les États peuvent travailler ensemble pour résoudre un problème, cela ne veut pas forcément dire qu’ils incarnent un risque pour l’organisation.

Presse bâillonnée, opposants réquisitionnés de force, quand ils ne sont pas enlevés et portés disparus… Êtes-vous inquiet de la tournure prise par la transition dirigée par le capitaine Ibrahim Traoré au Burkina Faso ?

Tout ce qui entraine une diminution de l’espace civique et politique doit être découragé. Les citoyens doivent disposer d’un espace pour exprimer leurs idées, et cela doit être pris en compte par les transitions. Il y a une diminution de cet espace au Burkina Faso, et oui, cela m’inquiète.

Craignez-vous un enlisement du conflit entre l’armée malienne et les rebelles indépendantistes dans le nord du Mali ?

Il faut éviter la déflagration d’une guerre totale. C’est pour cette raison que nous encourageons les pays voisins du Mali à travailler avec les uns et les autres pour éviter cette possibilité.

La Minusma termine son retrait du Mali d’ici à la fin de décembre, après dix ans de présence. Déplorez-vous qu’elle ait été ainsi poussée vers la sortie par la junte au pouvoir à Bamako ?

Oui, cela est regrettable. Il faut donner du temps suffisant aux forces des Nations unies pour se désengager quand elles doivent le faire, afin que la passation se fasse dans le calme.

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