Fuite des capitaux : l’urgence d’une stratégie pour la justice fiscale mondiale

La coopération internationale n’est plus un choix pour l’Afrique. Dans un monde assiégé par les guerres, le changement climatique et les inégalités croissantes, c’est une obligation.

À Luanda, en Angola. Pays dans lequel la fuite des capitaux représente presque le double des dépenses publiques en matière de santé, entre 2000 et 2018. © Rodger BOSCH/AFP

À Luanda, en Angola. Pays dans lequel la fuite des capitaux représente presque le double des dépenses publiques en matière de santé, entre 2000 et 2018. © Rodger BOSCH/AFP

ndikumana
  • Léonce Ndikumana

    Professeur d’économie et directeur du Programme de politique de développement de l’Afrique à l’Institut de recherche économique de l’Université du Massachusetts. Il est membre de la Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les sociétés (Icrict) et est coauteur de « La Dette odieuse de l’Afrique. Comment l’endettement et la fuite des capitaux ont saigné un continent. »

Publié le 4 février 2024 Lecture : 4 minutes.

Les conflits en Ukraine, au Moyen-Orient, au Soudan et au Sahel, ainsi que les catastrophes liées au climat et les niveaux dramatiques de fuite des capitaux ne peuvent plus être acceptés passivement. En 2023, la planète a enregistré une hausse des températures de 1,46 degré, ce qui en fait l’année la plus chaude de notre histoire, selon les experts qui se sont réunis à Dubaï pour la conférence des Nations unies sur le climat, la COP28. Nous sommes au bord du gouffre. Mettre fin aux guerres et résoudre l’urgence climatique, exige une coopération internationale, ainsi que d’importants moyens financiers.

De l’OCDE à l’ONU

Alors que nous attendons impatiemment des cessez-le-feu et une élimination progressive des combustibles fossiles pour limiter le réchauffement de la planète, une lueur d’espoir est apparue. L’Afrique est en train de devenir une force pour la transformation du monde et le renforcement du multilatéralisme. Une récente initiative proposée par le Nigeria a lancé un processus visant à déplacer les négociations sur la fiscalité mondiale de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), un club de pays riches, vers les Nations unies. Ce débat vise à mettre fin à la manipulation fiscale par les multinationales et les super-riches qui ne paient pas leur juste part. Il est crucial pour l’Afrique, car elle est confrontée à un déficit financier de 1 200 milliards de dollars d’ici à 2030 pour financer ses objectifs de développement durable, selon la Banque africaine de développement.

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La fuite des capitaux exacerbe la pauvreté et les inégalités, et alimente le mécontentement croissant à l’égard de la démocratie. Le continent perd 89 milliards de dollars par an à cause des flux financiers illicites. L’évasion fiscale des multinationales minières coûte à l’Afrique subsaharienne 730 millions de dollars par an – soit bien plus que ce qu’elle reçoit en aide au développement.

Dans cette région, le ratio moyen des recettes fiscales par rapport au PIB était de 16 % en 2020, soit la moitié des 33 % de l’OCDE et 5 points de pourcentage de moins que l’Asie et le Pacifique. La même année, la plus grande économie du continent, le Nigeria, affichait un ratio recettes fiscales/PIB de seulement 5,5 %.

Des pertes importantes

En Angola, par exemple, la fuite des capitaux représente presque le double des dépenses publiques en matière de santé. De­ 2000 à 2018, le pays a perdu 4,2 milliards de dollars par an, alors que les dépenses annuelles de santé s’élevaient à 2,3 milliards de dollars. Au cours de la même période, l’Afrique du Sud a perdu 15,7 milliards de dollars par an en raison de la fuite des capitaux, soit près de la moitié de ce qu’elle a investi dans la santé (27,4 milliards de dollars). La Côte d’Ivoire aurait pu doubler son budget de santé publique (1,6 milliard de dollars) si elle avait conservé les 1,1 milliard de dollars perdus chaque année en raison, toujours, de la fuite des capitaux. Ce sont des hôpitaux qui ne sont pas construits, du matériel médical, des vaccins, des antibiotiques, qui n’ont pas pu être achetés.

Ces dysfonctionnements découlent des stratégies d’évasion fiscale employées par les multinationales. La richesse privée africaine illégalement acquise et transférée à l’étranger représente environ trois fois le stock de sa dette extérieure. Cet argent doit en revenir. Et pas seulement pour être renvoyé à l’étranger vers les institutions financières qui détiennent la dette gonflée de l’Afrique.

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En ce moment, les pays sont poussés à ratifier la nouvelle redistribution injuste des droits d’imposition proposée par l’OCDE. Un accord international issu du cadre inclusif que même les États-Unis hésitent à ratifier. L’Afrique ne devrait pas le signer mais envisager des mesures unilatérales, telles que des taxes sur les services numériques, tout en renforçant les négociations au sein des Nations unies. Ici, le vote d’une majorité de 77 pays a montré que la plupart des pays du monde souhaitent que les décisions en matière de fiscalité internationale et de gouvernance soient prises au sein des Nations unies. De nombreux pays du continent ont soutenu cette résolution, notamment l’Afrique du Sud, l’Angola, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Congo, le Gabon, le Kenya, le Maroc, le Mozambique, le Nigeria, l’Ouganda, le Sénégal, le Soudan, le Togo, la Tunisie, la Zambie et le Zimbabwe.

Cupidité effrénée

Les gouvernements des pays membres de l’OCDE qui ont voté contre cette initiative, comme les États-Unis, devraient réaliser que cette voie est dans l’intérêt de leurs propres citoyens. La guerre froide entre les États-Unis et la Chine, la tentative de l’UE de forger un nouveau partenariat avec l’Afrique et la concurrence pour gagner des alliés dans le Sud créent un environnement favorable pour lutter contre les flux financiers illicites, mettre fin à l’évasion fiscale des multinationales et veiller à ce que les richesses offshore soient imposées de manière appropriée.

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L’inclusion de l’Union africaine dans le G20 et, surtout, la présidence brésilienne de cette coalition d’économies avancées depuis le 1er décembre 2023, peuvent contribuer à façonner le nouvel ordre du jour. Il est essentiel de renforcer les institutions de la gouvernance mondiale face aux guerres prolongées, à la cupidité effrénée des sociétés transnationales et à l’avancée des récits désintégrateurs des populistes néolibéraux. En parlant d’une seule voix, l’Afrique montre qu’elle peut redresser les déséquilibres de pouvoir actuels en faveur de l’équité et de l’inclusion, et en défense de la démocratie et de la justice économique.

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