Emmanuel Nnadozie : « l’Afrique a besoin de leaders pour défendre la cause de l’intégration »

Pour le Nigérian Emmanuel Nnadozie, directeur de la division des politiques macroéconomiques à la Commission économique pour l’Afrique (CEA), si les gros pays ont plus à perdre que les petits, aucune intégration régionale crédible n’est possible sans eux.

Emmanuel Nnadozie est un économiste nigérian. © BAD

Emmanuel Nnadozie est un économiste nigérian. © BAD

OLIVIER-CASLIN_2024

Publié le 30 octobre 2013 Lecture : 5 minutes.

Avant de rejoindre fin novembre Harare, pour prendre ses nouvelles fonctions de secrétaire exécutif à la tête de la Fondation pour le renforcement des capacités en Afrique (ACBF), le Nigérian Emmanuel Nnadozie, pour quelques jours encore directeur de la division des politiques macroéconomiques à la Commission économique pour l’Afrique (CEA), donne son point de vue sur les questions d’intégration régionale, thème principale de la 8ème conférence économique sur l’Afrique, organisée du 28 au 30 octobre à Johannesburg.

Propos recueillis par Olivier Caslin, envoyé spécial

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Jeune Afrique : Pensez-vous que l’intégration régionale reste avant tout un projet politique ?

Emmanuel Nnadozie : Oui, tout à fait. Sans volonté des gouvernements et sans un contexte politique adapté, il est très difficile de réussir une intégration régionale. Fondamentalement, les pays ont leurs propres intérêts et l’intégration les oblige à tenir compte d’intérêts régionaux voire continentaux qui peuvent être contradictoires avec les leurs.

Sentez cette volonté politique aujourd’hui sur le continent ?

La volonté a toujours été là. Il faut maintenant identifier ceux qui peuvent montrer la direction à suivre pour mobiliser les volontés. L’Afrique a aujourd’hui besoin de leaders pour défendre la cause de l’intégration, comme l’Allemagne et la France ont su l’être à un moment décisif pour l’Europe.

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Qui sont aujourd’hui les pays qui peuvent tenir ce rôle en Afrique ?

L’Union Africaine tient bien sûr une place essentielle sur ce dossier et elle doit pouvoir compter sur des pays aussi importants que l’Ethiopie, le Nigeria, l’Egypte ou l’Afrique du Sud. Avec leur poids politiques, économiques ou encore démographiques, ces quatre pays n’ont pas d’autre choix que d’être les locomotives de l’intégration sur le continent, que cela leur plaisent ou pas d’ailleurs. Ils doivent tenir leur rôle de leaders régionaux et c’est à eux qu’il incombe de convaincre les autres de l’intérêt qu’il y a pour tous à jouer cette carte de l’intégration. S’ils ne le font pas, alors cela deviendra un problème pour tout le continent.

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Comment justement convaincre les pays de l’intérêt de cette intégration régionale ?

Le principe de base est que l’intégration doit apparaître suffisamment prometteuse pour pouvoir séduire tout le monde. Il doit y avoir un consensus sur cette question. La seule différence réside ensuite entre ceux qui veulent que les choses bougent vites et ceux qui souhaitent qu’elles bougent encore plus vite, mais il faut bien garder à l’esprit qu’il s’agit d’un processus long et non pas d’un simple événement qui arrive du jour au lendemain. Il faut aussi comprendre qu’il convient de bâtir sur ce qui existe déjà. S’appuyer par exemple sur les échanges commerciaux entre les pays pour établir des accords de libre échanges ou des traités d’union douanière, qui sont des choses très facilement réalisables. Certains voudront imposer une intégration politique mais c’est certainement le plus difficile à mettre en place, car elle touche à des questions de souveraineté sur lesquelles les pays restent très susceptibles. Surtout lorsqu’ils sont jeunes comme c’est généralement le cas en Afrique.

Pourquoi les questions d’intégration, même économiques, semblent rencontrer plus de difficultés en Afrique centrale et en Afrique du Nord ?

L’ Afrique centrale a constamment dû faire face à des situations de conflits et d’instabilité politique. Il est juste impossible de faire le moindre progrès en matière d’intégration dans ces conditions. En Afrique du Nord, l’histoire est différente et reste liée aux tensions existantes entre le Maroc et l’Algérie. Là encore, il est très difficile dans ces conditions de démarrer un processus d’intégration. Si ces deux pays arrivaient à oublier pour un temps leur différent politique, tout deviendrait alors possible, parce que fondamentalement il n’existe aucun problème économique entre les deux pays. L’Egypte et la Tunisie ont également connu des difficultés ces derniers temps, sans oublier la Libye. Donc, il faut attendre, mais je suis persuadé que l’intégration va également toucher cette partie du continent, ne serait-ce que pour faire face à certaines difficultés économiques. Quand le chômage est aussi élevé, notamment chez les jeunes, la meilleure solution pour tous ces pays reste de travailler ensemble. Il doivent juste en prendre conscience. 

Certains proclament publiquement soutenir une intégration mais dès que vous leur demandez d’abandonner un peu de leur souveraineté, ils font marche arrière

Quels sont les avantages de l’intégration régionale ?

Pour les non-africains, et je parle là des investisseurs étrangers, le plus important reste la taille des marchés. Quand vous avez 54 pays dont certains comptent une population inférieure à 5 millions, avec 54 législations et presque autant de devises, cela peut rapidement devenir un cauchemar. Pour les Africains, l’économie d’échelle et le gain de temps sont fondamentaux, puisque les barrières douanières et commerciales disparaissent et que l’environnement des affaires devient le même d’un pays à l’autre. De plus, et c’est très important en cette période de mondialisation, l’Afrique apprend à  travailler ensemble pour négocier en position de force. Si le continent parle d’une seule voix, il sera mieux entendu et obtiendra de meilleurs résultats dans les instances internationales.

Quelles peuvent être les sources d’inspiration pour l’Afrique en matière d’intégration ?

Je commencerais par le continent lui-même, puisque l’Eastern African Community (EAC) est un très bon exemple d’intégration réussie. Je citerais également l’accord tripartite entre le Common Market for Eastern and Southern Africa (COMESA), la Southern Africa Development Community (SADC) et l’EAC qui constitue un précédent à suivre de très prêt pour le reste du continent. Il renforce l’idée développée par certains économistes que l’Afrique doit d’abord s’organiser en blocs avant de passer à une étape continentale. Et c’est exactement ce qui est en train de se passer. Cela a permis au passage de se débarrasser d’une multitude de communauté économiques régionales et donc d’éliminer certains problèmes existants entre ces différents groupes d’intérêts. Hors du continent, je n’oublierais évidemment pas l’exemple de l’Europe qui reste une réussite sans égal en matière d’intégration. Tout le monde observe les crises actuelles en oubliant ce que pourrait être l’Europe si l’Union n’avait pas vu le jour. 

Pensez-vous que certains pays africains aujourd’hui ne jouent pas le jeu de l’intégration ?

Il y a en effet une différence entre ce que certains peuvent dire et ce qu’ils font vraiment. Ils proclament publiquement soutenir une intégration mais dès que vous leur demandez d’abandonner un peu de leur souveraineté, ils font marche arrière. Je ne citerai aucun pays bien évidemment. La réalité reste que les gros pays ont plus à perdre que les petits, mais que sans eux aucune intégration régionale crédible n’est possible. C’est un peu un cercle vicieux.

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