À Tunis, « l’ambassade de France doit changer de place »
Ironiquement installée au 2 place de l’Indépendance, en plein cœur de la capitale, la représentation diplomatique française fait l’effet d’un symbole et attire les protestataires, notamment durant les manifestations en soutien à Gaza. Pour beaucoup d’habitants, l’ambassade devrait déménager.
Depuis le 7 octobre et le début de la guerre à Gaza, les abords de l’ambassade de France à Tunis sont le théâtre de manifestations pro-palestiniennes récurrentes. Situé entre l’avenue Habib Bourguiba et l’avenue de France, le bâtiment est souvent choisi pour les rassemblements, devenant ainsi le point central de ces mobilisations. Malgré la présence des forces de l’ordre, plusieurs milliers de personnes se sont ainsi réunies le mercredi 18 octobre devant l’édifice. Ces manifestants y ont convergé pour exprimer leur solidarité envers les Palestiniens de Gaza ainsi que leur mécontentement vis-à-vis de la politique internationale française.
Sentiment anti-français
L’utilisation récurrente du « sentiment anti-français » est une réalité dans la sphère publique tunisienne. Chaque fois que des tensions émergent avec l’ancienne puissance coloniale, les figures politiques et intellectuelles en Tunisie ont une tendance marquée à réactiver le concept du « hezb el França » (parti de la France). Cette approche vise à dénigrer leurs opposants et à les présenter comme une faction travaillant pour l’ancien régime colonial, les accusant ainsi d’être une force d’influence nuisible à l’indépendance et à la souveraineté nationale.
Sur place, de nombreux Tunisiens considèrent que leur pays, ayant acquis son indépendance depuis des décennies, aspire à affirmer sa souveraineté et son identité nationale sans l’ombre d’une tutelle passée. L’emplacement de l’ambassade de France dans la capitale tunisienne est donc interprété comme un élément rappelant une époque où la nation était sous le protectorat d’une puissance étrangère, la France.
Pour Amir, commerçant à Tunis, il faudrait envisager un changement d’emplacement pour l’ambassade, jugée trop au cœur du centre de Tunis. « L’ambassade de France doit changer de place, insiste-t-il. Le lieu est symbolique, et avoir un tel bâtiment ici, c’est donner trop d’importance à la France. »
Mais si de nombreux Tunisiens sont hostiles à l’emplacement actuel, c’est également parce qu’il a impacté directement les transports en commun et la fluidité du trafic dans la capitale. Depuis plusieurs mois maintenant, l’ambassade de France bénéficie d’une sécurité renforcée, à la suite des manifestations et face à un risque de débordement jugé important de la part du gouvernement. Par conséquent, la circulation d’une des lignes de tramway de la ville a été coupée sur l’un de ses tronçons les plus empruntés et ce sont des milliers d’usagers quotidiens qui ont du effectuer une partie du trajet à pied, par manque d’alternative.
Conséquences au quotidien
Selon Amir, c’est ce genre d’impact sur la vie des Tunisiens qui peut suffire à alimenter le sentiment anti-français dans le pays : « L’esprit colon est encore là. L’ambassade empêche des gens d’aller travailler en bloquant toute la route. Il ne faut pas s’étonner si les citoyens protestent. On a pas besoin de ce genre de problème ici. » Sur le réseau social X, de nombreuses réactions témoignent de ce sentiment d’hostilité.
Le choix de situer l’ambassade de France place de l’Indépendance soulève également des questions. La symbolique de cette localisation s’enracine dans une période où la Tunisie était sous protectorat, qui a laissé des traces profondes dans la société tunisienne. L’existence même de l’ambassade de France à cet endroit cristallise une mémoire complexe, où la quête d’indépendance et de dignité nationale se mêle à des sentiments d’inconfort et de rappel d’une époque révolue. Pour beaucoup, cette situation est interprétée comme un affront à cette indépendance chèrement acquise, rappelant un passé de subordination et de contrôle étranger.
En plus de sa fonction symbolique, l’ambassade représente ce qui, administrativement, est considéré comme une humiliation par beaucoup de Tunisiens : la complexité des procédures de demande de visa pour la France, expérience souvent mal vécue par les requérants. Les rendez-vous difficiles à obtenir, les démarches administratives interminables et les refus sans explication sont en effet monnaie courante.
Les difficultés surgissent dès la tentative de prise de rendez-vous sur le site web de TLScontact, l’entreprise privée agissant en tant qu’intermédiaire pour le compte des consulats et chargée de la gestion des formalités administratives liées aux visas. Entre les délais pour obtenir un rendez-vous et la préparation fastidieuse du dossier, la démarche se transforme souvent en un véritable casse-tête pour les demandeurs.
Ces difficultés administratives viennent s’ajouter aux autres motifs de grogne des habitants de la capitale mais, précise Amir, il s’agit toutefois plus de lassitude que de colère. « Personne ne déteste les Français eux mêmes, assure-t-il. Nous ne voulons juste plus être sous influence quelconque, encore moins si c’est celle de la France, qui a décidé à notre place bien trop longtemps. »
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