Hassan Ouazzani, une parenthèse dans le Sud marocain
Les nationalistes marocains et l’exil
Les puissances coloniales ont souvent recouru à l’exil pour se débarrasser des fortes têtes, des contestataires, des personnalités qui, dans tous les pays annexés, ont tenté de contester leur domination. Ce fut particulièrement le cas au Maroc, comme nous le racontons dans cette série historique.
LES NATIONALISTES MAROCAINS ET L’EXIL (3/4) – Parmi les figures du Mouvement national marocain, il y a deux Fassis : Allal El Fassi et Mohamed Hassan Ouazzani. Nés à Fès en 1910, au mois de janvier, à sept jours d’intervalle : le 10 pour El Fassi, le 17 pour Ouazzani. Ce dernier, fils d’un gros propriétaire terrien, bénéficie d’une éducation traditionnelle (école coranique) et d’une éducation moderne, le tout en arabe et en français. Dès son adolescence donc, Mohamed Hassan Ouazzani est bilingue. Parler couramment le français est une façon pour lui d’assouvir sa curiosité face à la présence étrangère depuis l’instauration d’un protectorat français en 1912.
Régulièrement, ce passionné d’actualité internationale achète les journaux au Mellah (quartier juif) de Fès et suit de près l’épopée d’Abdelkrim dans le Rif ou le combat des Turcs pour se libérer de l’emprise coloniale. Fait peu commun, Mohamed Hassan Ouazzani passe son baccalauréat au lycée Charlemagne, à Paris, avant de s’inscrire, en 1927, à l’École libre des sciences politiques (future Science-Po), où il devient le premier Marocain à être diplômé. En parallèle, il étudie à l’Institut de journalisme et à l’Institut national des langues et civilisations orientales ; il y rencontre de nombreux étudiants arabes et nord-africains. Peu après son arrivée dans la capitale française, il fonde l’Association des étudiants musulmans nord-africains. Parmi ses camarades cofondateurs, un certain Ahmed Balafrej, étudiant à la Sorbonne et originaire de Rabat, qu’il continuera à côtoyer de près tout au long de son parcours. C’est d’ailleurs avec lui et Allal El Fassi que Mohamed Hassan Ouazzani va créer le Comité d’action marocaine (CAM), en 1934.
Entre-temps, Mohamed Hassan Ouazzani rentre à Fès en 1930 et organise un mouvement de protestation contre le Dahir berbère, en appelant à une manifestation au sein de la Quaraouiyine, le 16 mai, lors de la prière du vendredi. Le jeune homme et une vingtaine de camarades sont arrêtés, soumis à la « bastonnade » et à la fakala (punition consistant à frapper la plante des pieds avec un bâton). Il purge ensuite une peine de trois mois de prison à Taza, avant d’être assigné à résidence à Fès. C’est en prétextant devoir passer un examen académique important qu’il réussit, en 1931, à s’enfuir en France.
La cavale européenne
Sur place, bénéficiant de l’appui de certains Français libéraux opposés à la politique coloniale de la France, il publie Tempête sur le Maroc, ou les erreurs d’une « politique berbère », sous le pseudonyme de Mouslim Barbari, dans lequel il récuse le séparatisme entre Arabes et Berbères. Entre 1931 et 1932, il rejoint secrètement la Suisse pour préparer un doctorat en sciences politiques et collaborer avec l’émir Chakib Arslan, chantre du panarabisme et porte-voix de la campagne lancée contre le Dahir berbère. Devenu indésirable, Mohamed Hassan Ouazzani doit quitter la Suisse et s’établit finalement à Madrid, où il écrit plusieurs articles pour la revue Maghreb et noue d’excellents contacts avec la classe politique espagnole. C’est d’ailleurs grâce à l’intervention de celle-ci qu’il peut à nouveau voyager en France et revenir au Maroc.
C’est finalement à Fès, en 1934, qu’il fonde L’Action du peuple, le tout premier quotidien marocain et nationaliste en langue française, ainsi que le CAM, dont il est le secrétaire général. Très vite, Mohamed Hassan Ouazzani et Allal El Fassi, tous les deux très ambitieux, vont devenir des rivaux et se voueront toute leur vie une haine sans nom. D’autant plus qu’ils incarnent deux visions antagoniques : Ouazzani est un libéral francophone, très influencé par les valeurs occidentales, El Fassi est un traditionaliste arabophone.
En 1937, chacun va donc créer sa propre organisation : le Parti national pour El Fassi, le Mouvement populaire pour Ouazzani. Balafrej, lui, écope du secrétariat général du CAM, très vite dissout par l’autorité coloniale. La même année, les deux adversaires participent activement aux « événements de Boufekrane », un soulèvement populaire en réaction à la volonté des colons de détourner les eaux de l’oued Boufekrane pour leur profit, au détriment des habitants de Meknès. Bilan : 45 morts européens. El Fassi et Ouazzani sont arrêtés, le premier est exilé au Gabon, le second est déporté dans le Grand Sud marocain, pour neuf ans. À cette époque, son épouse, Oum Keltoum, vient tout juste de tomber enceinte.
Système de communication secret
D’abord, Mohamed Hassan Ouazzani séjourne à Guelmim, au nord du Sahara, avant d’être transféré à Ksar Assa, un village fortifié de la même région. Contrairement à Allal El Fassi, il doit pourvoir à ses propres besoins, c’est-à-dire qu’il finance son internement sur ses deniers personnels, familiaux et amicaux. Isolé, muré dans la chaleur saharienne et le silence, Ouazzani parvient tout de même à se procurer du papier, de quoi écrire et quelques livres. Son courrier est systématiquement soumis à la censure, mais il obtient tout de même l’autorisation de recevoir son père pour une courte durée. Un an après le début de son exil, Ouazzani est transféré à Tagounite, dans la province de Zagora. Il est installé dans une ancienne écurie et souffre encore plus de la canicule.
En 1940, à la faveur de la montée des tensions entre la France et l’Espagne, la Résidence générale se montre plus conciliante et l’envoie finalement dans la région montagneuse de Itzer, plus fraîche, notamment en été. Il sera alors aussi autorisé à voir son fils – Izarab, âgé de 4 ans – pour la toute première fois. Ouazzani parvient à mettre au point un système de communication secret avec l’extérieur pour rester informé de l’actualité politique et continuer à publier ses articles sous pseudonyme dans la revue Athabaska Al Maghribia. Il réalise même une traduction en arabe de l’essai de Charles Dupont-White, L’Individu et l’État. Et prend le temps d’affiner son programme politique d’inspiration démocratique. Ouazzani croit en l’État de droit, aux droits de l’homme, aux libertés fondamentales ; il plaide pour la suppression du « makhzen ancestral » et la mise en place d’un gouvernement moderne.
À l’extérieur, les choses bougent. Le 18 décembre 1943, les cadres du Parti national encore en liberté fondent le Parti de l’Istiqlal. Dans la foulée, alors qu’approche la fin de la Seconde Guerre mondiale et que l’on devine une victoire des Alliés, plus d’une soixantaine de nationalistes marocains signent et présentent le Manifeste de l’Indépendance (11 janvier 1944) devant le sultan Mohammed Ben Youssef, la Résidence générale, les consuls de Grande-Bretagne et des États-Unis au Maroc et l’ambassadeur de l’Union soviétique. Un manifeste qui appelle à en finir avec les protectorats, pour un « Maroc libre, indépendant et souverain ». C’est un tournant. Tous les signataires sont cependant arrêtés par la Résidence, ce qui engendre des soulèvements populaires dans tout le pays.
C’est dans ce contexte que, le 12 avril 1945, un haut fonctionnaire français est envoyé en mission par la Résidence à Itzer afin de s’entretenir avec Mohamed Hassan Ouazzani. Sa mission ? Obtenir du détenu nationaliste qu’il collabore avec la France. Les deux hommes se sont longuement entretenus, mais Ouazzani n’a jamais cédé. S’il n’a jamais été anti-français, ni même en faveur de l’action directe, il a toujours défendu l’autonomie du Maroc et refusé d’offrir sa collaboration aux Français. Ce n’est que treize mois et demi plus tard, en 1946, à la faveur sans doute de l’arrivée d’un résident français à tendance libérale, Eirik Labonne, que Ouazzani sera enfin libéré. La même année que son rival, Allal El Fassi. Pendant dix ans, il sera de toutes les délégations pour défendre la cause marocaine à l’international. Après l’Indépendance, il obtiendra un poste de ministre d’État sous Hassan II, et défendra toujours l’idéal démocratique.
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