Bulu, haoussa, tamazight… La mort silencieuse des langues africaines
Les langues africaines sont en recul, même si certaines d’entre elles, dont le wolof ou le bambara, résistent mieux que d’autres. Il est de la responsabilité des politiques de faire reconnaître la nécessité de les enseigner.
Une catastrophe se déroule dans l’indifférence générale : la mort lente de nos langues maternelles africaines. Celles dont les locuteurs, peu nombreux, se perdent dans les grandes villes, loin de leurs communautés d’origine ; celles qui jouissent de peu de prestige et se révèlent peu « lucratives » pour décrocher un emploi ou relancer une carrière ; celles qui, jamais enseignées, sont confrontées à l’avancée inexorable de l’anglais et du français, mais aussi de quelques grandes langues véhiculaires africaines.
Sabir indigeste
Dans certains pays, plus du tiers des enfants s’expriment exclusivement en français ou en anglais, leurs parents ne s’adressant jamais à eux dans leur langue maternelle, comme s’ils en avaient honte. Nombre d’africains appartenant à la même communauté linguistique et parlant parfaitement leur langue maternelle commune conversent pourtant les uns avec les autres uniquement dans une langue internationale. Même nos journalistes en langues nationales ne délivrent souvent qu’un sabir indigeste, fruit d’une mauvaise traduction du français ou de l’anglais en langues locales. Partout en Afrique, bien s’exprimer en français ou en anglais est un signe d’intelligence, tandis qu’être polyglotte dans nos langues n’apporte pas la même considération.
Certes, nous devons être fiers de maîtriser les langues internationales. En revanche, lorsque s’impose progressivement un enseignement monolingue, assimilationniste et exclusiviste – comme avec le français ou l’anglais en Afrique aujourd’hui –, se pose la question de la survie de nos langues. D’autant que, faute de volonté politique, les systèmes d’enseignement francophones ont presque tous échoué à intégrer les langues africaines dans leurs programmes.
Pour justifier le refus d’enseigner nos langues et l’imposition progressive d’une langue unique, certains mettent en avant le caractère multiethnique et multilingue de nos sociétés. Rappelons que tous les vastes empires qui se sont constitués au Sahel au cours des siècles étaient multiethniques et multilingues et certaines de leurs populations ont toujours pratiqué le bilinguisme sans perdre leur langue maternelle. Le bilinguisme a même produit de nouvelles langues, comme le tasawaq (tamachekh d’In Gall) et le tagdalt des Igdalen chez les Touaregs nigériens. En réalité, le bilinguisme et l’expérience historique du Sahel le prouvent : la disparition de nos langues n’est pas une fatalité, car nous avons toujours vécu dans un plurilinguisme de fait.
Suicide culturel
La quasi-totalité des pays du monde sont multiethniques et multilingues. Et l’écrasante majorité s’efforce d’enseigner toutes leurs langues à leurs enfants. Pourquoi en serait-il autrement en Afrique ? D’ailleurs, nous apprenons tous à l’école parfois jusqu’à trois langues, sans que personne n’y voie d’inconvénient. Sachons-le, ne pas entretenir nos langues ou prendre le parti de ne pas les enseigner peut se révéler culturellement suicidaire. Car, au-delà de nos idiomes respectifs, ce sont les cultures africaines elles-mêmes qui sont menacées de disparition, la langue étant la voie par laquelle la culture est transmise et préservée de génération en génération.
Certes, on peut toujours soutenir que la mort des langues n’est pas un phénomène nouveau et que d’innombrables autres ont disparu. Ce n’est pas parce qu’un phénomène prévaut ou est dans l’ordre supposé des choses, que nous devons l’accepter. Leur disparition n’est ni souhaitable ni inéluctable. Encore faut-il que nous ayons la volonté de les transmettre aux générations futures. Nous devons nous y atteler car la diversité linguistique et culturelle est un trésor inestimable. De plus, la transmission de sa langue et de sa culture relève, pour une communauté, d’un droit humain fondamental.
Soyons heureux de ce que la langue de Molière n’ait pour nous que peu de secrets. Mais nous devons être tout autant fiers de parler bulu ou haoussa. Mieux encore, nous avons des raisons multiples de croire que la préservation et la transmission de nos langues maternelles est indispensable au développement émotionnel de nos enfants, à leur réussite scolaire et au développement économique de nos pays. Dans quelques décennies, nous serons plus de 2,5 milliards et demi d’Africains et plus de 750 millions de francophones sur le continent : c’est un marché considérable de consommation, de production culturelle, mais aussi d’influence politique et géostratégique. Il serait souhaitable que l’avènement de ce nouveau monde se fasse dans un contexte de diversité linguistique, un contexte où les langues africaines auraient toute leur place.
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