Qui est la First Lady iranienne, Jamileh-Sadat Alamolhoda ?
Jamais depuis l’instauration de la République islamique d’Iran une épouse de président n’a eu un rôle public ni même un tel parcours. Jamileh-Sadat Alamolhoda adoucit l’image ultra-conservatrice de son époux à l’étranger. Et pourtant, elle est aussi radicale que lui.
En Iran, l’impératrice Farah Pahlavi était habillée « à l’occidentale », médiatisée dans le monde entier, occupait plusieurs fonctions officielles et disposait de son propre cabinet. Mais, depuis la révolution islamique de 1979 et la chute du shah, les épouses des dirigeants iraniens apparaissent rarement en public et n’ont aucune influence politique. Le concept de First Lady, cher aux Américains, n’existe pas en Iran.
Pourtant, Jamileh-Sadat Alamolhoda, l’épouse du président Ebrahim Raïssi, en fonction depuis le 5 août 2021, bouscule les habitudes. Non seulement elle accompagne son mari lors de ses voyages officiels à l’extérieur du pays ou lors de ses passages aux Nations unies, mais – et c’est une première – elle accorde des interviews aux médias étrangers. Elle va jusqu’à se mêler de géopolitique : elle a récemment écrit aux épouses des leaders européens, les incitant à user de leur influence pour faire cesser la guerre à Gaza.
Coup de com raté
En janvier 2023, Jamileh-Sadat Alamolhoda, à qui le Financial Times vient de consacrer un long portrait, a organisé la première édition d’un congrès intitulé « Femmes d’influence », à Téhéran, où elle a notamment reçu Tamara Vučić, l’épouse du président de Serbie. Un coup de communication raté du régime iranien, complètement discrédité auprès d’une grande partie de sa population depuis l’émergence du mouvement de contestation Femme, Vie, Liberté né au lendemain de la mort, le 16 septembre 2022, de la jeune Mahsa Amini – arrêtée puis tuée pour s’être opposée au port du hijab.
Dans un entretien téléphonique accordé au quotidien britannique, Jamileh-Sadat Alamolhoda précise tout de même qu’elle ne fait rien sans avoir consulté son époux au préalable, « comme cela se fait dans tous les couples ».
Défendue par les réformistes
Scrutées de près par l’opinion iranienne, les initiatives de la première dame suscitent l’ire des ultra-conservateurs, qui lui demandent régulièrement de se tenir éloignée des affaires publiques. En novembre dernier, sur X (ex-Twitter), le leader religieux Jalil Mohebbi a ainsi posté un message destiné au président : « Hold back your wife » (« Retiens ta femme »), ce qui semble pour le moins paradoxal quand on sait qu’Ebrahim Raïssi est le tenant de la ligne la plus dure et la plus radicale du régime.
Quant au père de Jamileh-Sadat Alamolhoda, Ahmad, membre de l’Assemblée des experts (l’organe qui nomme le Guide suprême), il s’est rendu célèbre en interdisant aux femmes d’assister à des concerts ou de faire du vélo dans la ville sainte de Mashhad, à l’époque où en était l’autorité religieuse.
Ironie du sort, c’est finalement le courant réformiste iranien qui soutient et défend la première dame. Pour Mohammad-Ali Abtahi, qui fut vice-président du pays entre 2001 et 2004, elle joue un rôle « positif » dans une ambiance « très dure et destructrice ». « C’est du jamais vu depuis la révolution islamique, et elle atténue l’image ultra-conservatrice de son mari », ajoute-t-il.
Aucune des premières dames d’Iran n’a eu un parcours universitaire, intellectuel et professionnel comparable à celui de Jamileh Alamolhoda. Professeure agrégée en philosophie de l’éducation à l’Université Shahid Beheshti (Téhéran), elle dirige aussi un centre de recherche universitaire en sciences et technologie. Aux côtés de son époux depuis quarante ans, elle a élevé leurs deux filles avec lui tout en préparant son doctorat, en enseignant et en écrivant huit livres. Une grande partie de ses travaux porte sur les questions liées à la féminité et à la manière d’appliquer l’enseignement religieux à l’éducation.
L’affaire Mahsa Amini
Quand le Financial Times lui demande ce qu’elle pense de l’obligation de porter le hijab en Iran, mesure qui a entraîné la mort de Mahsa Amini et provoqué le plus vaste mouvement de protestation qu’ait connu le pays depuis 1979, Jamileh-Sadat Alamolhoda botte en touche. Selon elle, « le vrai problème, c’est le culte de la mode et le consumérisme, pas le dress code islamique ». Le hijab, dit-elle, « ne devrait pas être utilisé comme une arme par ceux qui souhaitent montrer leur hostilité à la République islamique ». S’agissant du mouvement de contestation lui-même, elle estime que les manifestants sont « manipulés, depuis l’étranger, par des ennemis qui leur indiquent où aller et à qui s’en prendre ».
Même si ce mouvement s’est essoufflé, il n’en a pas moins écorné la légitimité de l’actuel président, d’autant qu’il a été sévèrement réprimé (plus de 500 civils ont été tués, et des prisonniers ont été violés).
« L’essence » de la femme
Pour le Financial Times, enfin, le tchador noir que Jamileh-Sadat Alamolhoda porte en toute occasion est le symbole de son rejet des mœurs occidentales. Celle-ci s’en est expliquée avec le quotidien : « La philosophie qui sous-tend le port du hijab est la suivante : les femmes doivent mener la société sur le chemin de l’excellence. Par exemple, une femme qui danse magnifiquement sur scène séduit, mais ne guide pas. La République islamique limite l’accès à tous les sentiers qui mènent à la séduction et soutient tout ce qui permet à la société de grandir. »
Quant à celles qui prisent le mode de vie occidental – ce qui est le cas de nombreuses Iraniennes –, Jamileh-Sadat Alamolhoda a son idée sur la question : « Une femme qui se concentre sur le pouvoir et l’argent au lieu de fonder une famille solide et d’entretenir des relations sincères, réduit son essence de femme. Pour celles qui embrassent le style de vie occidental, le prix de l’indépendance a été de voir leur féminité réduite à une simple attirance superficielle ».
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