La traversée du Sahara, des routes caravanières aux pistes coloniales

Le Sahara n’a pas toujours été cette étendue désertique que l’on connaît aujourd’hui. Dès l’Antiquité, il était sillonné par des routes et des relais, destinés à faciliter les échanges humains et commerciaux entre l’Afrique du Nord et le centre du continent.

Le détroit de Gibraltar. À dr., le roi du Mali Kanga Moussa. Détail de l’Atlas catalan (XIVe siècle). © Bibliotheque Nationale, Paris, France

Le détroit de Gibraltar. À dr., le roi du Mali Kanga Moussa. Détail de l’Atlas catalan (XIVe siècle). © Bibliotheque Nationale, Paris, France

Publié le 27 décembre 2023 Lecture : 5 minutes.

« La Berbérie a été, durant le haut Moyen-Âge, un réservoir d’hommes, comme en témoigne la colonisation du Sahara par les chameliers berbères », écrit l’historien médiéviste Maurice Lombard dans L’islam dans sa première grandeur VIIIe-XIe siècle.

Un fait est incontestable : bien avant le déferlement des Arabes sur l’Afrique du Nord, au VIIe siècle, depuis la Tunisie jusqu’au Maroc, les Amazighs dominaient l’espace saharien et assuraient le commerce entre le Sahel et le Maghreb. Et cela depuis l’Antiquité, avec les Phéniciens pour l’essentiel, avec les Romains aussi – mais ceux-ci, comparés aux Puniques, étaient de bien piètres négociants.

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Commerçants berbères

Les Amazighs ne sont pas pour autant un bloc monolithique. Loin de là. Ils forment des confédérations distinctes, les unes sédentaires, les autres nomades. « En peuplant l’Ouest saharien, poursuit Maurice Lombard, les Lemtouna, une des tribus sanhadja, tracèrent le premier axe transsaharien, la Triq lemtouni, en direction du Soudan, ou Pays des Noirs. C’est cet axe qu’empruntèrent les premiers commerçants berbères fondateurs d’Aoudaghost, un comptoir commercial établi au seuil de l’empire noir du Ghana (VIIIe siècle) où « l’or pousse dans le sol comme des carottes » (Al-Fazari, VIIIe siècle). »

Les Lemtouna sont donc issus de la confédération des Sanhadja. Ils occupent une zone allant du Sous, dans l’Anti-Atlas, à l’Adrar, dans la Mauritanie actuelle. Ils font leur entrée dans l’histoire universelle en formant la dynastie des Almoravides, qui de 1040 à 1147, règne sur une grande partie du Maghreb, du Sahara occidental à l’Andalous.

La Triq lemtouni, elle, relie le Sud marocain à la Mauritanie, puis au Mali. Elle est jalonnée d’étapes, dont les principales sont Tindouf, El Fersiya, Aïn Ben Tili, Bir Moghrein, Anajim, Bir Taleb, Jraïf et Chinguetti. Cette cité de Aoudaghost, dont l’orthographe varie grandement (‘Awdaghast, Awdaghust, Tegdaoust, Taghaost, Taghaoust…), constitue un royaume contrôlé par les Berbères jusqu’au Xe siècle, lorsque l’empire du Ghana le reconquiert. Il alimentera durant au moins deux siècle l’Afrique du Nord, et au-delà, en esclaves et en or soudanais.

Un mirage entre les dunes

La Triq lemtouni n’est évidemment pas la seule route caravanière transsaharienne, ni Aoudaghost la seule cité commerciale saharienne, loin s’en faut. D’autres tribus berbères commercent également à travers le Sahara. Cela donnera lieu à la création d’autres itinéraires à travers le désert. Le point de bascule se situe à l’arrivée des Arabes dans la Tunisie actuelle, à partir de 670. Elle a deux grandes conséquences : l’adoption du dromadaire en lieu et place du cheval afin de traverser les immensités désertiques, et le changement de statut des Berbères, d’esclaves à esclavagistes.

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Trois faisceaux de routes, dominées donc par les Amazighs, prennent définitivement forme entre le VIIIe et le XIe siècles. Ils relient le Maghreb à l’Afrique subsaharienne par le Centre, l’Est et l’Ouest. La première, la plus courte, va du golfe de Syrte au lac Tchad, soit 2 100 kilomètres à vol d’oiseau. La deuxième va de Tahert, ancienne ville au centre de l’Algérie, jusqu’à Gao, dans l’actuel Mali. La troisième relie Fès au Ghana. Ces deux dernières routes sont plus longues de 1 000 km.

Précisons que ces itinéraires transsahariens ne sont ni fixes, ni fixés indéfiniment au même endroit. D’autres axes ont existé, avant ou après. Al-Ya‘qûbî, un haut fonctionnaire dans le célèbre barid – ou poste abbasside – indique deux autres voies d’accès au Bilad al-Sudan (c’est-à-dire, en arabe, au « pays des Noirs ») : le trajet Sijilmassa, au Maroc, vers Aoudaghost, mais également une voie entre l’Égypte et le Ghana, passant par Gao.

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Ces itinéraires ne sont donc en aucun cas définitifs, comme le précise de l’historien Maurice Lombard : « Aux XIIIe et XIVe siècles, les Vénitiens, à Tunis, réanimeront les routes orientales, et aux XIVe et XVe siècles, les Génois pratiqueront les pistes caravanières du Sahara occidental avant que les Dieppois, puis les Portugais, procèdent à la capture maritime de l’or du Soudan ». On l’a compris : lorsque le monde arabe entame son déclin, les Européens prennent le relais du commerce transsaharien, sans l’intermédiaire des négociants musulmans qui en avaient le monopole jusqu’à la fin du Moyen-Âge.

De l’or, des esclaves et du sel

Venons-en aux « produits » convoyés. L’or et les esclaves dominent. Mais les mêmes marchandises ne transitent pas nécessairement par les mêmes les routes. Par exemple, celle de l’Est, qui passe par le lac Tchad, est surnommée « la route des esclaves ». L’or demeure le principal bien convoyé. Il est généralement extrait dans des mines à ciel ouvert en Guinée, sur le Haut-Niger, dans le bassin de la Falémé, au Sénégal), etc.

Ce métal précieux donnera naissance à tout un imaginaire arabe. L’historien Al-‘Omari (1301-1349) cite Mansa Musa, le riche empereur du Mali venu en pèlerinage à La Mecque : « Il me dit qu’on n’en cueillait que deux espèces : l’une tout au printemps, à la fin de la période des pluies, dans le désert : elle a des feuilles semblables à celles du nadjil [plante fourragère dont se nourrissent les dromadaires] et ses racines sont de l’or ; la seconde espèce se trouve toute l’année, en des endroits repérés sur les bords du Nil, là où on creuse des trous et on recueille des racines d’or, ressemblant à des pierres ou à des graviers… ».

Le transport des esclaves, quant à lui, s’étend du VIIIe au XIXe siècles, traite orientale et atlantique confondues. Le trafic d’esclaves transsaharien connaît son acmé au XVIIe siècle avec le commerce triangulaire. Il y a également les boucliers lamt, à base de cuir de gazelle et dont les Touaregs font un large usage. Dans le sens Nord-Sud, il y a l’ambre gris, l’ivoire, le sel gemme en provenance des salines. Ce dernier est un véritable produit de luxe.

« Tous les autres rois lui font des présents car ils ont un besoin indispensable du sel qui est exporté des régions de l’islam chez eux. Il n’y a, en effet, de subsistance pour eux que grâce à ce sel », confirmait le géographe arabe Ibn Hawqal (mort en 988). Le lettré irakien Al-Qazwini (1203-1283) recense pour sa part les produits prisés par les Africains : « De Siljimassa à ce pays (Bilal al-Tibr), il y a trois mois de marche. Les marchands partent de cette ville et n’arrivent à cette région qu’au prix de fatigues épuisantes. Leurs marchandises se composent de sel, de bois de pin, de cèdre, de verroteries, de bracelets, de bagues et d’anneaux en cuivre ». Chaque partie y trouve largement son compte.

La France et les « pistes impériales »

Dès 1830, avec la colonisation de l’Algérie, puis de l’Afrique subsaharienne, les Européens portent un coup dur au commerce transsaharien. L’interdiction de la traite et l’abolition de l’esclavage, au courant du XIXe siècle, tarissent les routes commerciales qui sillonnaient le Sahara. Les Français vont cependant très vite comprendre l’intérêt d’assurer des lignes de communication entre le Maghreb et le Sahel.

La France va ainsi tracer trois pistes, dites impériales, pour relier le Maghreb au Soudan. Elles sont simplement baptisées piste n°1 (longue de 2 800 km, elle relie le Maroc à Saint-Louis-du-Sénégal) , piste n °2 (2 000 km, faisant la jonction entre Colomb-Béchar, en Algérie, et Gao) et piste n°3 (également 2 000 km, rapprochant Alger d’Agadez, au Niger). À ces trois axes principaux se joignaient des bretelles bifurquant vers la Libye et la Tunisie.

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