Yoro Thiam, la voix des damnés du CFCO

Émigré sénégalais d’origine mauritanienne, Yoro Thiam fut le témoin d’une entreprise coloniale broyeuse d’hommes : le Chemin de fer Congo-Océan. Avant de fonder, à Brazzaville, un port de pêche qui porte son nom.

Yoro Thiam était devenu un personnage central pour la diaspora ouest-africaine à Brazzaville. © Christian Kader Keïta

Yoro Thiam était devenu un personnage central pour la diaspora ouest-africaine à Brazzaville. © Christian Kader Keïta

Christian Kader Keita. © DR
  • Christian Kader Keita

    Contrôleur financier d’origine mauritanienne et congolaise Essayiste et romancier MBA Finance et Contrôle de gestion, Concordia (Canada) et ESSEC (Paris) Chargé de mission SNCF auprès d’ATD Quart Monde

Publié le 26 décembre 2023 Lecture : 2 minutes.

Au cœur de Brazzaville, l’émerveillement naît naturellement devant les tours jumelles majestueuses de Mpila. Osez faire quelques pas vers le fleuve Congo. Dans ses eaux troubles, tel un trésor enfoui, repose l’histoire d’un homme exceptionnel : Yoro Thiam, surnommé « Yoro le pêcheur* ».

Né le 7 février 1893 au Sénégal, Yoro Thiam débarque sur les rives du Congo dans les années 1920, porteur d’un héritage familial de pêcheurs peuls. À sa demande, il rejoignit le directeur du projet de construction du Chemin de fer Congo-Océan (CFCO).

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Chaque matin, le ventre endolori du Mayombe se remplissait d’une multitude d’ouvriers venant des quatre coins du monde : des Saras du Tchad, des Camerounais, des Dahoméens et même des Chinois et des Vietnamiens… « Une vraie légion étrangère au profit du capital » !

Chantier dramatique et titanesque

Homme travailleur, rigoureux et juste, épris des valeurs de liberté et d’égalité, Yoro Thiam était estimé aussi bien par l’administration coloniale que par la population autochtone. Cependant, celui qui jubilait à l’idée de contribuer à un grand projet historique se retrouva en réalité piégé dans une entreprise de destruction humaine au service d’un capitalisme sans foi ni loi.

Un chantier dramatique et titanesque qui dura treize ans, de 1921 à 1934 : « On abat les arbres à la hache, on casse les pierres au marteau, on transporte des barils de ciment et des rails de 15 mètres de long à la main, on creuse les tunnels à la pioche… » décrivait Yoro. Préoccupé par le bien-être des ouvriers, il contribua à persuader le directeur du chantier d’apporter du matériel sur place.

Témoin d’une tragédie ayant coûté la vie à plus de 20 000 personnes, Yoro Thiam devint le porte-voix des milliers d’âmes oubliées, broyées par les rouages impitoyables de cette entreprise colossale. Son histoire résonne comme un cri de douleur : « Personne ne sort indemne du Mayombe », regrettait-il.

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Les « Wara » de Brazza

À la fin de cette entreprise titanesque, tourmenté par la manière dont l’administration coloniale traitait la population congolaise, Yoro Thiam, devenu proche du gouverneur général de l’Afrique-Équatoriale française (AEF), Raphaël Antonetti, partagea avec lui son désir de revenir à son métier d’origine : celui de pêcheur.

À l’époque, la pêche locale se limitait à l’épervier manié depuis de petites pirogues. Yoro Thiam exprima son ambition d’initier les Congolais à la grande pêche. Antonetti l’encouragea en lui octroyant un vaste terrain le long du fleuve, dans le quartier de Mpila. Ainsi naquit le « port de Yoro », révolutionnant les pratiques de pêche avec des filets de 800 mètres de diamètre.

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Sa vie, marquée par la simplicité du quotidien et la grandeur des défis surmontés, offre une leçon d’humanité. C’est dans le labyrinthe vivant de Poto-Poto que Yoro Thiam ancra son existence, devenant un personnage central pour la diaspora ouest-africaine qui venait gonfler les rangs des ouvriers sur les chantiers ou faire du commerce à Brazzaville. Il contribua à développer une grande solidarité dans la communauté des « Wara », nom donné aux émigrés de l’Afrique de l’Ouest.

Yoro Thiam, alias Yoro le pêcheur, s’éteignit le 25 février 1975, laissant derrière lui trois leçons : la solidarité, l’innovation, et le retour à des pratiques artisanales pour un développement inclusif en Afrique.

JAD20231221-TRIBUNE-KEITA-YORO-THIAM © En 1962, au palais présidentiel, à Brazzaville. Au premier plan (de g. à dr.) : Pierre Kikhounga-N’got, maire de Dolisie ; Yoro Thiam ; Fulbert Youlou, président de la République ; et Abdoulaye Dione, qui travaillait pour la Compagnie générale des transports africains. © Collectiob Jean Bruno Thiam

JAD20231221-TRIBUNE-KEITA-YORO-THIAM © En 1962, au palais présidentiel, à Brazzaville. Au premier plan (de g. à dr.) : Pierre Kikhounga-N’got, maire de Dolisie ; Yoro Thiam ; Fulbert Youlou, président de la République ; et Abdoulaye Dione, qui travaillait pour la Compagnie générale des transports africains. © Collectiob Jean Bruno Thiam

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* Christian Kader Keïta est l’auteur de « Yoro le pêcheur », paru en 2023 aux éditions Paari (France)

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