Mali : entre femmes, musique et alcool, les négociateurs islamistes sont mis à l’épreuve

« Le problème c’est qu’à l’hôtel ici, on regarde involontairement les belles femmes et on écoute involontairement la musique aussi », soupire Algabass Ag Intalla, représentant du groupe islamiste malien Ansar Eddine, venu discuter à Ouagadougou avec la médiation burkinabè.

Cheick Ag Wissa (d) et Algabass Ag Intalla du groupe islamiste Ansar Eddine à Ouagadougou. © AFP

Cheick Ag Wissa (d) et Algabass Ag Intalla du groupe islamiste Ansar Eddine à Ouagadougou. © AFP

Publié le 24 juin 2012 Lecture : 3 minutes.

Arrivée le 15 juin, la délégation d’Ansar Eddine, l’un des groupes armés qui contrôlent le nord du Mali depuis trois mois, s’est installée dans un hôtel de luxe du quartier huppé Ouaga 2000. Elle a rencontré le 18 juin Blaise Compaoré, médiateur de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et poursuit les discussions avec des collaborateurs du président burkinabè.

"C’est le président Compaoré qui nous a dit de rester, donc on est là", déclare à l’AFP Algabass Ag Intalla, chef de la délégation, en boubou blanc et turban comme ses cinq compagnons.

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Mais il y a cette musique douce qu’on entend du côté du bar, et qui pose problème aux hommes d’Ansar Eddine (Défenseur de l’islam, en arabe), assis dans des canapés dans le hall proche et tenants d’une rigoureuse application de la charia (loi islamique) au Mali.

Cheick Ag Wissa, porte-parole de la délégation à l’épaisse barbe grisonnante, demande, dans un français approximatif, de couper le son. Le volume sera simplement baissé. Le directeur de l’hôtel "a interdit de couper la musique si ce n’est à la fermeture du bar", explique un employé.

"Nous, les Touareg, nous sommes habitués à nous asseoir pour causer toute la journée, mais c’est une épreuve pour nous, musulmans, de regarder tout ça", affirme Algabass, pointant du doigt alcools et liqueurs bien en vue derrière le bar.

Dans les zones qu’ils contrôlent dans le Nord malien, Ansar Dine et les autres groupes islamistes s’emploient à imposer la charia par la force, et punissent les amateurs de cigarettes, de football ou d’alcool. Mercredi à Tombouctou (nord-ouest), un homme et une femme qui avaient eu un enfant hors mariage ont reçu cent coups de fouet chacun.

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Les représentants d’Iyad Ag Ghaly, chef d’Ansar Eddine resté dans le Nord, prennent leurs précautions à Ouagadougou. "Le matin on mange la viande chez un ami, mais à l’hôtel ici, on mange tout le temps du poisson. On nous a dit que la nourriture est halal (conforme à la religion musulmane, ndlr) mais par prudence on préfère le poisson", précise Algabass.

Dattes et lait de chamelle

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"On fait nos prières aussi chez un ami, on ne part pas dans les mosquées ici", ajoute-t-il.

Cheick Ag Wissa confie que pour les membres de la délégation, accompagnée chaque jour d’autres hommes se présentant comme des réfugiés touareg, "il y a quelque chose qui manque ici: les dattes et le lait de chamelle".

Une délégation du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) loge aussi dans l’hôtel depuis plusieurs jours. Cette rébellion touareg, d’idéologie sécessionniste et laïque, est aujourd’hui supplantée sur le terrain du Nord malien par Ansar Dine et son allié jihadiste Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), et un projet de fusion MNLA-Ansar Dine a achoppé sur la charia.

"On se voit tous les jours, on se salue mais on ne parle pas politique", lâche Algabass.

"Ce sont nos frères, on échange avec eux. (…) On se parle même si, dans le fond, on est opposés", souligne le colonel Hassan Ag Mehdy, membre de la délégation du MNLA. "Nous sommes pareils, l’autre jour j’ai fait amener du thé du Mali que j’ai donné aux gens d’Ansar Eddine", raconte Magdi Ag Bahada, l’un de ses compagnons.

De jour comme de nuit, des collaborateurs de Blaise Compaoré, qui a appelé le mouvement d’Iyad Ag Ghaly à rompre avec les "terroristes" d’Aqmi et pousse à un rapprochement avec le MNLA, se rendent à l’hôtel pour des échanges séparés avec les deux groupes.

"On essaie de préparer les esprits à accepter les discussions qui vont se faire nécessairement un jour autour d’une même table", avance un officier supérieur burkinabè.

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