Le pilote français Raymond Vanier (à g.), qui dirige la ligne postale Toulouse-Rabat, devant un Bréguet XIV de la compagnie Latécoère, en 1920. © Montage JA; KEYSTONE-FRANCE/Gamma-Rapho
Le pilote français Raymond Vanier (à g.), qui dirige la ligne postale Toulouse-Rabat, devant un Bréguet XIV de la compagnie Latécoère, en 1920. © Montage JA; KEYSTONE-FRANCE/Gamma-Rapho

Sahara : l’Aéropostale, une épopée aérienne

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, ce sont les aviateurs français de l’Aéropostale qui s’attaquent à la traversée du Sahara, suivant des routes qui les mènent au Sénégal avant de bifurquer vers l’Amérique du Sud. Une épopée où l’on croise Saint-Exupéry, Mermoz ou Malraux.

Publié le 11 janvier 2024 Lecture : 6 minutes.

Maquette d’un biplan devant le musée consacré à l’Aéropostale et à Antoine de Saint-Exupéry, à Tarfaya, au Maroc. © Montage JA; FADEL SENNA/AFP
Issu de la série

À travers le Sahara, de l’Antiquité au XXe siècle

Un désert stérile et infranchissable, le Sahara ? Bien sûr, il n’en est rien. Et si l’actualité récente prouve que la région est attrayante pour des raisons à la fois économiques et stratégiques, il en a toujours été ainsi. Retour sur une histoire qui commence dès l’Antiquité, voire bien avant.

Sommaire

À TRAVERS LE SAHARA, DE L’ANTIQUITÉ AU XXe SIÈCLE (1/4) – « Maintenant, engourdi, il rêve. Le sol de si haut paraît immobile. Le Sahara de sable jaune mord sur une mer bleue comme un trottoir interminable. Bernis, bon ouvrier, ramène cette côte qui dérive à droite, glisse en travers, dans l’alignement du moteur. À chaque virage de l’Afrique, il incline doucement l’avion. Encore deux mille kilomètres avant Dakar. »

C’est par ces mots que l’écrivain-aviateur le plus célèbre de l’Aéropostale, Antoine de Saint-Exupéry, décrit le vol au-dessus du Sahara. L’avion venait de donner réalité au rêve centenaire des Français de conquérir et de maîtriser les routes du Sahara. Traverser le désert en un saut de puce, l’avion – et Latécoère – va le rendre possible.

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De Latécoère à l’Aéropostale

Nous sommes tout juste au lendemain de la Première Guerre mondiale. Le métal des canons est encore chaud lorsque Pierre-Georges Latécoère, un entrepreneur français basé à Toulouse, décide de mettre sur pied une firme aéronautique. La Société des lignes Latécoère est née. Le pari qu’elle se donne est fou : relier le sud de la France à l’Amérique du Sud en passant par le Maroc et le Sénégal. Elle se veut donc transsaharienne et transatlantique. Sauf qu’elle fera long feu. Les difficultés économiques s’accumulent. À peine deux ans plus tard, elle est reprise par Marcel Bouilloux-Lafont, un homme d’affaires français. La Compagnie générale aéropostale – ou simplement « l’Aéropostale » – prend son envol. L’aviation civile est en train d’écrire les plus belles pages de la Belle Époque.

Le premier appareil de l'Aéropostale au Maroc, en 1917, à Fès. © © Coll. IM/Kharbine-Tapabor

Le premier appareil de l'Aéropostale au Maroc, en 1917, à Fès. © © Coll. IM/Kharbine-Tapabor

La compagnie ne s’attaque en premier lieu ni au Sahara ni à l’Atlantique car les appareils ont besoin de faire le plein et les avaries sont nombreuses dans ces années pionnières de l’aviation intercontinentale. Qu’à cela ne tienne, on émaille les parcours d’étapes-relais. En 1918, c’est le tronçon Toulouse-Barcelone. Un an plus tard, c’est Toulouse-Casablanca. Puis, en 1923, des vols sont assurés jusqu’à Dakar, au Sénégal.

En 1927, l’Aéropostale possède un réseau de plus de 17 000 kilomètres dont l’essentiel, une première, survole océan, cordillères et déserts. Au départ, le survol du Sahara ne pouvait être qu’expérimental, le fruit de militaires aguerris pendant le premier conflit mondial. C’est la mission Rolland-Vuillemin-Laperrine, du nom des officier-aviateurs ayant participé à ce qui peut être lu comme un exploit.

Le top départ est donné à Paris le 3 février 1920. Objectifs Gao, puis Dakar au-dessus des quelque 1 900 km de Sahara. La flottille aérienne est composée de sept Breguet XIV B2, des biplans utilisés pendant la Grande Guerre. Onze jours plus tard, ils ne sont plus que quatre engins à se poser à Tamanrasset, dans le sud de l’Algérie. C’est la capitale des Touaregs algériens.

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Vuillemin ouvre la voie

Le 18 février, deux appareils seulement repartent vers Tombouctou, au Mali. Rapidement, les conditions climatiques très rudes du Sahara vont avoir raison de l’expédition. Désorienté par un vent de sables, le second avion perd de vue l’avion-guide de Vuillemin. Le Breguet s’écrase à Tazerout. Le général Laperrine, grièvement blessé, succombe quelques jours plus tard à ses blessures. Ses compagnons d’infortune ont eu la vie sauve, presque un mois plus tard, grâce à des méharistes. Quant au commandant Vuillemin, il arrivera à poser son aéroplane le 31 mars 1920. L’aviation a vaincu le Sahara. Vuillemin a ouvert la voie.

« La politique de pénétration saharienne marocaine ne peut-être qu’une politique côtière, en bordure du littoral atlantique, sa situation géographique le lui impose […]. C’est pourquoi la voie aérienne Maroc-Sénégal a été poussée avec l’idée, dans l’avenir, d’un prolongement Sud-Amérique par Pernambuco et Buenos Aires. Déjà très fortement constituée par la Compagnie Latécoère de Toulouse à Casablanca (douze heures de trajet), cette route aérienne Maroc-Sénégal est en voie de construction, entre Casablanca et Dakar […] », écrit la Revue aéronautique de France, organe officiel de la Ligue aéronautique de France, dans ses numéros 9 et 10 de septembre-octobre 1924. L’expression maître ici est bien « la pénétration saharienne ». Autrement dit, maîtriser le parcours saharien, c’est bien s’ouvrir des possibilités plus lointaines, en l’occurrence l’Amérique du Sud. Quoi qu’il en soit, l’Aérospatiale en a pris de la graine et lance désormais ses avions dans le ciel implacable du Sahara.

Un avion postal survolant Casablanca, en 1920. © ADOC PHOTOS

Un avion postal survolant Casablanca, en 1920. © ADOC PHOTOS

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Le développement de la ligne aérienne transsaharienne revient à Didier Daurat, un ancien pilote de la Grande Guerre. Celui-ci est repéré et enrôlé par Latécoère. Daurat va équiper l’Aéropostale de Breguet XIV B2, des aéronefs relativement fiables qui ont fait leurs preuves pendant le conflit mondial. C’est en 1924 que Daurat recrute Saint-Exupéry pour lui confier l’escale de Cap Juby (Tarfaya), dans le sud du Maroc.

Des naufragés du ciel qui valent cher

La fonction de chef d’escale n’est pas uniquement technique (feuille de route, carburant). Elle est également d’assistance et de sauvetage. En effet, c’est au chef d’escale de monter des opérations de SAR, « Search And Rescue » (recherche et sauvetage), dans le désert. Contre toute attente, ces naufragés du ciel vont faire le bonheur des tribus locales, notamment celle des Ouled Delim, vivant dans la région Dakhla-Rio de Oro, qui s’en font une spécialité.

De fait, la libération des pilotes échoués dans le désert était bien sûr monnayée. L’aviateur Jean Mermoz par exemple, crashé en 1926, a pu lui-même négocier sa liberté en échange de 1 000 pesetas. Ce n’est pas le cas d’autres pilotes moins chanceux, dont certains furent assassinés.

Préparatifs de départ d'un avion de l'Aéropostale, à Rabat, en 1924. © © Archives Charmet/Bridgeman Images

Préparatifs de départ d'un avion de l'Aéropostale, à Rabat, en 1924. © © Archives Charmet/Bridgeman Images

Il y a également le cas de Larré Borgés, un aviateur uruguayen. En 1927, il reste plusieurs mois en captivité aux mains des Maures. C’est Mermoz qui négociera sa libération. Le retour à l’escale-relai du Cap Juby donne lieu à des festivités grandioses. « Le vin qu’on leur proposa étant trop tiède, le mécanicien de l’avion de Saint-Ex prit un bidon de 20 litres, le nettoya, mit dedans l’eau dont il disposait, l’enveloppa de chiffons humides et l’attacha au fuselage de l’avion. Il demanda à Saint-Ex de monter à 4 000 m et, au bout de quarante minutes, quand il descendit, nous étions en possession d’un magnifique bloc de glace », raconte le journaliste Bernard Nantet.

Mais le Sahara ne se limite en rien à sa partie occidentale et l’aventure aérienne ne se résume pas à Latécoère et à l’Aéropostale, loin de là. Comment ne pas évoquer ici André Malraux, non le romancier ou le ministre gaullien, mais la tête brûlée en quête de sensations fortes et d’adrénaline ? Nourri lui-même par les romans d’aventure de l’académicien Pierre Benoît, Malraux brûle de découvrir, dans le désert, la mythique ville de Marib, fief de la reine de Saba. Pour ce faire, il annonce en décembre 1933 sa décision de s’envoler pour la capitale mythique. C’est chose faite en février 1934, à bord d’un monomoteur. Il avait longuement préparé son survol du Sahara à travers la Libye, l’Égypte et le Soudan en consultant les ouvrages de la bibliothèque de la Société de géographie, à Paris.

Publicité de l'Aéropostale en 1930. © © Leonard de Selva/Bridgeman Images

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Il est sponsorisé par le journal L’Intransigeant, auquel il promet l’exclusivité de son récit. Le périple de Malraux sera ainsi feuilletonné sur une dizaine de numéros. Dans le numéro du 9 mai 1934, est publiée une photographie aérienne de la capitale de la reine de Saba prise par l’aviateur a plus de 3 000 mètres d’altitude. L’écrivain français, par cette aventure, aura bravé une grande partie du Sahara central et oriental, la mer Rouge et le désert du Yémen, que certains géographes considèrent comme la continuité du Sahara, le « désert saharo-arabique ».

De Mermoz à Malraux en passant par Saint-Exupéry, être romancier dans l’entre-deux-guerres, c’était également savoir décoller loin de la réalité terre-à-terre !

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