Le transsaharien, ou le Sahara vaincu par la mécanique
À travers le Sahara, de l’Antiquité au XXe siècle
Un désert stérile et infranchissable, le Sahara ? Bien sûr, il n’en est rien. Et si l’actualité récente prouve que la région est attrayante pour des raisons à la fois économiques et stratégiques, il en a toujours été ainsi. Retour sur une histoire qui commence dès l’Antiquité, voire bien avant.
À TRAVERS LE SAHARA, DE L’ANTIQUITÉ AU XXe SIÈCLE (2/4) – Sitôt la conquête coloniale assurée et l’empire instauré, les Français n’ont qu’une obsession : faire d’Alger le port d’exportation des pays du Niger et de toute l’Afrique subsaharienne. Leur conviction est tellement forte qu’elle l’emporte sur l’avis des militaires, réticents à l’idée de soumettre le Sahara aux caprices de l’économie et du commerce moderne.
Rien de neuf, pourtant, dans ce projet visant à relier le nord et le sud de la zone : les relations économiques Maghreb-Sahel ont toujours eu cours durant les siècles passés, avec les routes caravanières transsahariennes. Mais avec la colonisation, deux éléments viennent troubler l’atemporalité des dunes. D’une part, le temps de la colonisation n’est pas du tout la temporalité des tribus locales. D’autre part, justement, l’assaut colonial, avec la conquête de l’Algérie, vient tournebouler les liens séculaires et traditionnels reliant les pays sahéliens à l’Afrique du Nord.
« La route des caravanes qui reliaient Mogador au Soudan fut abandonnée dès que la France occupa le Soudan », rappelle l’historien Bernard Lugan dans son Histoire du Maroc. C’est-à-dire dès 1895. En fait, Paris ne cherche pas à tarir cette source de profit mais à détourner l’activité transsaharienne vers l’Algérie, puis la Tunisie après 1881. Pour ce faire, les Français combinent action militaire et action diplomatique. Ils s’approprient manu militari les oasis et les relais sahariens (El-Goléa, In Salah, Mourzouk) afin de contrôler les itinéraires caravaniers et, concomitamment, s’attachent à convaincre les nomades que leurs intérêts sont liés à ceux de l’Empire français.
Tout en sachant que cette politique de soumission est insuffisante eu égard aux besoins modernes de la France : ce n’est pas en charge de dromadaire que fonctionne l’économie de marché, mais bien en tonnage de navire. Aussi, pour convoyer ces richesses présumées depuis le Soudan, quelle meilleure alternative, combien symbolique de l’impérialisme, que le chemin de fer ?
Le train transsaharien, symbole colonial
L’économiste français Paul-Leroy Beaulieu l’exprime en ces termes dans un article paru en 1899 dans La Revue des deux mondes : « Le grand instrument de conquête, le grand instrument de défense, comme le grand instrument de civilisation et de commerce, c’est la ligne ferrée. Les Romains construisaient les routes d’un bout de l’Empire à l’autre ; Napoléon n’hésita pas à en sillonner les Alpes ; aujourd’hui, le chemin de fer remplit le même office. »
La portée de l’analogie est sans ambiguïté : la future voie ferrée transsaharienne est assimilée aux via romaines. Pas moins. L’explorateur nîmois Paul Soleillet (1842-1886) n’exprime rien d’autre. Il est le premier à explorer le terrain en vue d’y tracer une route ferroviaire d’Alger à Saint-Louis (Dakar), en passant par In Salah et Tombouctou. En 1877, avec l’arrivée à Paris de dirigeants très colonialistes, Soleillet, après deux décennies d’effort, a enfin toute l’attention du gouvernement.
Deux ans plus tard, la Commission supérieure du transsaharien voit le jour. Elle est destinée à donner corps au projet de voie ferrée transsaharienne. Plus rien, dès lors, ne peut plus entraver la marche du plan. Rien sauf un contretemps de taille : le massacre de la mission du colonel Flatters près d’In Salah, dans le Hoggar, par les Touaregs. Elle était justement partie pour prendre des relevés topographiques en vue de la construction de la ligne ferrée. L’idée du train à travers le Sahara refera surface avec l’Office du transsaharien en 1928, mais en attendant, avec le progrès technique, c’est vers l’automobile que l’on va se tourner.
Ce sont d’abord des militaires qui vont se frotter au projet d’une traversée motorisée du Sahara. Le général François-Henri Laperrine en est le pionnier. Rien d’étonnant à cela, il est le commandant des oasis sahariennes depuis le tout début du XXe siècle. Il est en outre le plus à même d’observer l’inadéquation de ses hommes et du camélidé aux besoins de mobilité de l’armée, la clé de voûte de sa conception militaire. Ainsi, en 1916, la première tentative motorisée entre Ouargala et In Salah est un échec. Laperrine périra ironiquement quelques années plus dans l’une des premières tentatives de traversée aérienne du Sahara. Qu’à cela ne tienne, le commandant Bettembourg, en 1919, remet l’ouvrage sur le métier, mais la mission Saoura-Tidikelt, dans les « territoires du Sud », sera également un fiasco. Ce faisant, remplacer le dromadaire par l’automobile n’est pas l’apanage des militaires.
Côté civil, plusieurs expéditions motorisées vont être montées. Ces équipées, au fond, sont un mélange de genres à la fois politique, publicitaire et technique. L’époque n’est plus, de toute évidence, au dromadaire mais bien au véhicule tout terrain. Si mascotte il devait y avoir pour ces aventures coloniales, c’est l’autochenille que l’on plébisciterait. Celle-ci voit le jour en 1917 dans les ateliers de l’ingénieur français Adolphe Kégresse. Trois ans plus tard, c’est André Citroën qui en comprend l’utilité pour conquérir des espaces jusqu’ici impénétrables. Il en acquiert dès lors le brevet.
Les autochenilles Citroën voient le jour. En 1922, cinq autochenilles 10 HP sont lancées à l’assaut des dunes du Sahara. C’est la croisière des sables. Elle relie Touggourt (Algérie) à Tombouctou. Puis retour sur Touggourt. Bref un circuit de trois mois du 17 décembre 1922 au 16 mars 1923. C’est un succès : l’Algérie française et l’Afrique occidentale française (AOF) se sont désormais géographiquement rapprochées en suivant une route caravanière classique.
La croisière noire
À peine quelques mois plus tard, le 9 novembre 1923, c’est la mission Gradis, du nom de Gaston Gradis, fondateur de la Compagnie générale transsaharienne. Elle est confiée au général Jean-Baptiste Estienne et à son fils Étienne. Cette fois, le départ se fait depuis Figuig, au Maroc. Objectif Savé, au Dahomey (Bénin).
La croisière Gradis innove. Aux quatre autochenilles Citroën-Kégresse s’ajoute un aéronef Nieuport aux ailes pliables. De nouveau, c’est un triomphe. Surtout que le colonne emprunte à peu près le tracé de la voie ferrée transsaharienne. Une seconde mission Gradis se déroule en 1924, cette fois sur des voitures Renault. Partie de Colomb-Béchar (Algérie), elle atteint, 1 900 km et onze jours plus tard, Cotonou (Bénin). Plus ambitieuse encore : la croisière noire. Celle-ci vise ouvertement l’Afrique du Sud. Huit voitures, huit mois et 20 000 kilomètres au compteur.
L’expédition met en contact le nord et le sud du continent. Une prouesse unique, qui va au-delà du Sahara et du Sahel, et une mine d’or d’informations ethnologiques, épidémiologiques et économiques Deux mille photographies et 27 000 mètres de pellicules immortalisent l’exploit motorisé. En 1926, Léon Poirier, un cinéaste documentariste qui a fait partie de l’expédition, sort un long métrage à succès sur ce haut fait.
Entre 1922 et 1925, six expéditions automobiles auront lieu. Elles vont traverser de part en part le Sahara depuis le Maghreb au Sahel et vice-versa. Ne restait plus qu’à en tirer les enseignements. Quelques axes se dégagent : celui de Tunis-Tchad présente des difficultés de terrain et une insécurité chronique. Il en va de même du côté de la Mauritanie, du Rio de Oro et de la Tripolitaine, où les dissidents s’attaquent aux caravanes. Les itinéraires les plus sûrs se situent dans le Maghreb central, au départ de Colomb-Béchar, Touggourt ou Laghouat.
En tous cas, la preuve était faite par l’automobile que l’empire colonial français était à portée de moteur. Du train à l’automobile, traverser le Sahara dans les années 1930 n’était plus qu’un jeu d’enfant.
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À travers le Sahara, de l’Antiquité au XXe siècle
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