Flatters, Foureau-Lamy : explorer le Sahara à fond
À travers le Sahara, de l’Antiquité au XXe siècle
Un désert stérile et infranchissable, le Sahara ? Bien sûr, il n’en est rien. Et si l’actualité récente prouve que la région est attrayante pour des raisons à la fois économiques et stratégiques, il en a toujours été ainsi. Retour sur une histoire qui commence dès l’Antiquité, voire bien avant.
À TRAVERS LE SAHARA, DE L’ANTIQUITÉ AU XXe SIÈCLE (3/4) – Dès les débuts de l’occupation de l’Algérie, le Sahara semble offrir aux tribus opposées à l’ordre français un refuge inexpugnable. Le seul moyen pour l’armée d’Afrique de les déloger est de connaître autant, sinon mieux, que ces insurgés le terrain où ils évoluent. Seule l’exploration leur permettra d’atteindre ce dessein. Mais encore faut-il trouver le bon explorateur. Ce sera Henri Duveyrier. En 1857, l’aventurier français foule pour la première fois le sol algérien. C’est un voyageur doublé d’un géographe. Il est aussi saint-simonien. On sait le dévouement que portent ces doctrinaires au progressisme et à l’amélioration de la condition humaine. Présents en Égypte depuis la campagne bonapartiste, ils le seront également en Algérie.
Deux années après son arrivée, Henri Duveyrier se met en tête d’explorer le Sahara. Au début, il se familiarise avec le terrain, arpentant le désert d’Ouest en Est, d’El-Goléa, en Algérie, à Gafsa puis Gabès, dans la Régence de Tunis, qui rappelons-le n’est pas encore un protectorat français. Il pousse une pointe jusqu’à Mourzouk, en Tripolitaine. À ce moment, aux yeux des autorités, il n’est qu’un touriste parmi d’autres.
Les choses sérieuses commencent à l’hiver 1860. Auguste Warnier, homme politique et saint-simonien ayant pignon sur rue à Alger, obtient pour Duveyrier le patronage officiel du ministre des Colonies. De voyageur-géographe à missionnaire d’État, Duveyrier se voit sollicité de toutes parts par les ministères pour les informer sur les potentialités économiques, commerciales et militaires du Sahara.
À l’époque, la zone est bien évidemment sous juridiction militaire. Sans l’aval de l’armée, il n’y a pas d’exploration du Sahara. L’armée autorise Duveyrier à mener à bien sa mission. En échange, l’explorateur sera porteur de missives de l’état-major à l’endroit de divers chérifs (chefs de confrérie). L’objectif est qu’il se documente sur les tribus et leurs chefs, notamment les Touaregs, qui donne du fil à retordre aux Français. C’est ce que va réaliser le géographe. Il entre presque en immersion totale avec les Touaregs. Pris sous la protection de leur chef, il demeure plus de sept mois à leurs côtés et en tirera un ouvrage, Les Touaregs du Nord, publié en 1864. Le livre va asseoir sa popularité et fera connaître aux Français la vie de ces nomades du désert. La publication de Duveyrier va se transformer en un véritable vade-mecum de l’explorateur du désert.
Mission Flatters : tout droit vers le désastre
La voie est donc ouverte à la découverte lorsque est lancée la deuxième mission exploratoire de taille : l’expédition Flatters. Composée d’une quarantaine d’hommes, elle est dirigée par le colonel Paul Flatters. Celui-ci est chargé de reconnaître le terrain et d’effectuer des relevés topographiques pour le futur chemin de fer transsaharien. Sa vocation est donc scientifique, même si les donneurs d’ordre ont d’autres idées derrière la tête. Le ministère des Travaux publics double la mission d’un volet politique : il s’agit de convaincre Toucouleur, le marabout d’un important royaume situé dans le Nigeria actuel, à commercer avec Alger.
La mission s’élance de Ouargla, début mars 1880. La caravane de Flatters doit rallier le Soudan, la ville de Sokoto (Nigeria), fief de Toucouleur, entre le Niger et le lac Tchad. Sur la base du rapport de Duveyrier, très favorable à la « nation » touareg, l’expédition part très confiante. En janvier 1881, la caravane Flatters s’engouffre dans le Tassili n’Ajjer, comme le suggèrent les guides sahariens. S’agissait-il d’un guet-apens, résultat d’une conspiration contre l’expédition ? Difficile de le dire. L’affaire soulève encore des interrogations parmi les historiens.
Toujours est-il que les Touaregs passent l’expédition au fil de l’épée. La dépêche officielle de l’agence Havas du 5 avril 1881 indique que « quatre indigènes de la mission Flatters sont arrivés le 28 mars à Ouargla, mourant de faim et de fatigue, et apportant la nouvelle de l’anéantissement presque complet de la mission. D’après le récit de ces gens, la mission a été surprise à quatre journées de Hairer, au sud d’Assimu. Le colonel Flatters et tous les membres de la mission ont été tués ».
Ce drame va laisser des traces pérennes dans la mémoire de l’exploration saharienne. Le cercle fermé des experts en voudra longtemps à Duveyrier pour avoir véhiculé une image angélique des Touaregs, et le projet de train transsaharien sera mis en suspens pour plusieurs décennies. Mais la volonté de continuer à explorer cette étendue stratégique dans le devenir de l’empire colonial français, elle, perdure.
L’expédition suivante, de taille et très prometteuse, est celle de la mission Foureau-Lamy, en 1900. Cette fois, rien n’est laissé au hasard. Au géographe-explorateur Fernand Foureau, on associe le commandant François Lamy. De la sorte, les responsabilités sont bien réparties. Le premier s’occupe du bon déroulement scientifique de la mission, le second de la sécurité. On ne lésine pas sur les moyens : 20 guides, 350 tirailleurs, 5 civils et 41 officiers et sous-officiers. Tout ce monde porté par 1 004 dromadaires.
On n’a pas oublié l’armement lourd : deux canons de montagne. Ainsi l’expédition est-elle bien parée contre toute attaque des Touaregs. Partie de Ouargla, la mission doit rejoindre le Tchad tout en faisant la jonction avec une autre expédition, celle d’Émile Gentil, partie, elle, du Congo vers le lac Tchad. Sans oublier une troisième expédition : celle de Joalland-Meynier, qui s’élance de Dakar.
La progression est tout naturellement lente. Foureau et Lamy, avec une petite escorte, réalisent un détour de plus de 140 km vers l’ouest en direction du Tassili n’Ajjer, lieu où tombèrent Flatters et ses accompagnateurs, pour lui rendre hommage. La liaison entre les trois expéditions est réalisée le 21 janvier 1900 sur les rives du lac Tchad.
Une ombre au tableau : le commandant Lamy trouvera la mort lors de combats contre un marchand d’esclaves, Rabah. C’est en son souvenir qu’on baptisera la capitale du Tchad Fort-Lamy (aujourd’hui N’Djamena). Sortis victorieux du Sahara et de la bataille de Kousseri (Cameroun), les Français s’assurent la maîtrise de cette vastitude de sable et d’une grande partie de l’Afrique centrale.
Couper l’herbe sous le pied des « hommes bleus »
Après l’exploration à tout va, place à l’argumentaire militaire. En ce début de XXe siècle, la dynamique change de camp. À chaque rezzou des hommes bleus du désert, les Français lancent des représailles pour châtier les insoumis. Les reconnaissances du lieutenant Gaston-Ernest Cottenest dans le Hoggar sont demeurées dans les annales comme les premières du genre.
En 1902, entre le 25 mars et le 23 mai, Cottenest va punir les Touaregs tout en faisant la reconnaissance de plus de 1 600 km de désert. Il en ira de même du côté du Tchad avec le chef de bataillon Victor-Emmanuel Largeau. Il va progressivement « pacifier » cette région du Sahel, combattre le trafic d’esclaves, assurant de cette façon la mainmise française sur le Sahara central et oriental.
Quant au Sahara occidental, dominé par les Maures, ce sera l’affaire du général Laperrine. Faisant des Châamba ses auxiliaires, il dompte petit à petit et pacifiquement cette partie du Sahara. « Laperrine fut le promoteur d’une politique visant à gagner la confiance des populations. Son principe était de “vivre dans le pays et non sur le pays” […], il développa ce qu’on appelle plus tard l’action psychologique et sociale en visitant les campements pour s’enquérir des besoins des nomades. Il compléta cette politique par la venue des médecins. Grand distributeur de bonbons, il y gagna le surnom de général des enfants », raconte le journaliste Bernard Nantet. Cette attitude pré-lyautéenne portera ses fruits. Sauf que dans l’immensité hostile du Sahara, rien n’est jamais acquis. Réchappé des tranchées de la Somme, le général Laperrine périra dans un crash d’avion de reconnaissance. Pour dévoiler ses étendues, le Sahara a réclamé son tribut en vies.
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À travers le Sahara, de l’Antiquité au XXe siècle
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