Burna Boy, Wizkid, Yemi Alade… un nouveau star-system
Comment vivent les icônes de l’afro-pop, qui s’affichent diamants autour du cou et bagouses en or aux doigts ? En marge des concerts et des streams, quel est leur modèle économique et comment construisent-elles leur empire ?
Tout sourire, lunettes interstellaires vissées au bout du nez, la star nigériane Burna Boy traîne une hotte pleine de cadeaux dans la poudreuse. Les ailes d’un ange noir sont déployées derrière son dos, lui-même flanqué d’un duffle-coat à carreaux, motif emblématique de la marque Burberry. Le chanteur agrippe bientôt un ourson frappé du même imprimé, avant d’être propulsé dans un costume tiré à quatre épingles au milieu d’un trio de violoncellistes, tel un chef d’orchestre. Il change ensuite de peau pour venir se glisser dans un ciré noir, ambiance Men in Black, parapluie tendu dans une main, sac de voyage en cuir dans l’autre.
Cette succession d’images surréalistes n’est pas le résultat d’un rêve, mais celui de la campagne de Noël de la marque de luxe britannique avec laquelle l’« African giant » de 32 ans a signé en 2022, au côté de la star colombienne Shakira. Le chanteur aux 16 millions et 5 millions d’abonnés sur Instagram et TikTok respectivement attire les annonceurs. Lors de la Fashion Week parisienne, en janvier 2023, il assistait au défilé Kenzo en total look, jouant ainsi les égéries. Tandis que, quelques mois plus tard, il annonçait une collaboration avec le couturier français Jean-Paul Gaultier, dans le cadre de la réédition d’une paire de lunettes soigneusement sélectionnée par ses soins. Burna Boy fait vendre la mode, et la mode le lui rend bien.
Sur le modèle américain, Burna Boy mène grand train
Celui qui achève une tournée colossale pour défendre son dernier album, I Told Them, où il a parcouru l’Europe, du Danemark à Londres, en passant par le Portugal, mais aussi les États-Unis et l’Afrique – à Johannesburg –, réclamerait pour chaque spectacle à l’international un cachet de 500 000 à 1 million de dollars (d’environ 460 000 à plus de 900 000 euros), à l’exemple de ses homologues Davido et Wizkid. Ce dernier aurait « gagné 1 million de dollars pour être la tête d’affiche du festival de hip-hop Rolling Loud, à Toronto [au Canada] », rapporte Gracey Mae, journaliste britannique d’origine nigériane et animatrice dans AfroNation Show.
Difficile de confirmer ces chiffres, mais au vu des moyens déployés par le natif de Port Harcourt pour se rendre d’un pays à l’autre (jet privé et grosses cylindrées), peu de doutes, Burna Boy mène grand train. Son modèle ? Les rappeurs américains. A l’image de Dr. Dre et ses écouteurs Beats, il a lui aussi « designé » un modèle bluetooth pour la marque nigériane Oraimo.
Mode, sport, finances… Partenariats et investissements lucratifs
Les partenariats entre les stars de l’afrobeats – genre streamé plus de 13 milliards de fois en 2022 sur Spotify – et les marques sont devenus monnaie courante. Si certains misent sur le luxe et la mode pour générer des revenus supplémentaires, d’autres parient sur des secteurs moins sexy mais tout aussi lucratifs. « Chaque artiste, en fonction de ses centres d’intérêt, va investir dans un secteur, comme la mode, la beauté, le sport, ou encore les finances », décrypte Gracey Mae. Si Wizkid a également prêté son image pour une campagne de Tommy Hilfiger, la star s’est associée en 2021 à l’entreprise nigériane Flutterwave, spécialisée dans la dématérialisation des moyens de paiement, en devenant ambassadeur mondial de la marque. « Wizkid est le profil type de l’artiste-entrepreneur, souligne celle qui a monté une agence de presse spécialisée dans l’afrobeats. Il investit de l’argent dans des entreprises, il a son propre label, Starboy entertainment, et produit des artistes. »
Parmi eux, L.A.X ou encore Mr Eazi, deux poids lourds de la naija pop. Mr Eazi, lui, est l’archétype ultime de l’artiste-entrepreneur, multipliant les investissements et achats d’actions. D’abord, dans l’industrie de la musique. Ce diplômé de l’université des sciences et technologies Kwame-Nkrumah, au Ghana, crée dès 2018 emPawa Africa, un incubateur de talents africains visant à développer la carrière d’artistes émergents grâce à un mentorat soutenu par YouTube, mais surtout par BetPawa, un site de paris sportifs notamment présent au Ghana. La star nigériane de 32 ans, qui revendiquait auprès de Jeune Afrique une fortune personnelle supérieure à 1 million de dollars, s’est construit un empire du jeu en ligne grâce à ses relations, et a signé un partenariat de 6 millions de dollars avec la Ghana Premier League.
Un gros contrat qui lui a permis de prendre la tête de la majeure partie de Softpawa, la société mère britannique de BetPawa. Sa dernière folie en date ? L’acquisition de parts d’une équipe sud-africaine de basket-ball, les Cape Town Tigers. « J’ai lu que Jay-Z avait des parts dans une équipe de basket de New York ! J’ai donc dû en faire de même pour dépasser le maître ! » avait-il fanfaronné dans un tweet en janvier 2023.
Yemi Alade, Tiwa Savage… Les winneuses
Si les hommes semblent dominer le business, les chanteuses ont aussi l’art de la « win ». Yemi Alade a la réputation d’une « leadeuse » et joue volontiers les ambassadrices pour des marques locales comme internationales (et à géométrie variable !) telles Maybelline ou Shell Nigeria. Mais l’artiste aux 17,7 millions de fans sur Instagram est surtout une marathonienne. Courant 2023, elle a assuré pas moins de 22 concerts dans 18 pays en trois mois. La star signée désormais par la major Universal confiait à Jeune Afrique enchaîner les concerts et les escales tous les trois jours.
Mais la chanteuse de 34 ans peut compter sur d’autres stratégies, comme le publishing, pour faire rentrer du cash. « De nombreuses stars africaines comme Yemi Alade mais aussi Tiwa Savage ont été approchées par Beyoncé pour participer à la bande originale de Black is King (2020) et à ses clips. Quand on connaît les chiffres des ventes de la star américaine, être crédité sur ses projets est une mine d’or », décortique Gracey Mae, également manager d’Oxlade et Bella Shmurda.
Génération TikTok
À 26 et 27 ans, ces nouveaux visages de l’afro-pop n’ont pas encore la carrière de leurs prédécesseurs, mais ils peuvent compter sur des titres viraux et une stratégie de communication propre à leur génération. Oxlade, par exemple, s’est fait un nom sur TikTok grâce au morceau Ku Lo Sa, plus de 98 millions de vues. L’exemple le plus manifeste : l’artiste nigérian de 28 ans CKay et son morceau Love Nwatiti. Totalement passé inaperçu au moment de sa sortie en 2019, le titre fait l’objet d’un challenge sur TikTok deux ans plus tard et connaît ensuite un succès monstre avec plus de trois millions de vidéos créées sur le réseau social dans un challenge. « Un artiste qui devient viral, à partir de 100 000 vidéos créées, perçoit des royalties. Des deals de synchronisation peuvent aussi être conclus entre l’auteur du morceau et la plateforme, permettant ainsi aux jeunes talents de monétiser les contenus créés à partir de leurs morceaux », décrypte Gracey Mae.
L’application chinoise, qui a récemment lancé SoundOn, une offre native de promotion et de distribution de musique, joue depuis les relais de diffusion en rendant les morceaux des artistes débutants accessibles sur les plateformes de streaming comme Spotify. Conséquence de cette stratégie de développement ou non, le morceau de CKay est devenu la première chanson africaine de l’histoire à dépasser le milliard de streams sur la plateforme suédoise. Un succès inattendu que d’autres se sont empressés de suivre en créant des hits calibrés pour TikTok, aussitôt devenus viraux. Parmi eux, Rema et Calm Down, Ayra Starr et son tube Rush, Libianca avec People, ou encore 1da Banton avec No Wahala et ses 400 000 vidéos générées à partir de son tube, à travers le monde entier. Des chiffres qui donnent le tournis et qui assurent à la relève nigériane une pole position dans le star-system.
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