Le rôle de la France au Rwanda expliqué aux jeunes
Dans « Papa, qu’est-ce qu’on a fait au Rwanda ? », le journaliste Laurent Larcher rend accessible à tous la question lancinante du rôle de Paris dans le génocide des Tutsi.
Quel rôle précis les plus hautes autorités de la République française ont-elles joué dans le génocide perpétré au Rwanda contre les Tutsi d’avril à juillet 1994, entraînant des pans entiers de l’armée tricolore dans une doctrine héritée de Jacques Foccart, le cynique Monsieur Afrique du général de Gaulle ?
Cet appui sans faille au régime du président Juvénal Habyarimana, d’octobre 1990 à décembre 1993, puis au gouvernement intérimaire qui allait mettre en œuvre l’extermination des Tutsi a-t-il été décisif dans la planification, puis dans l’exécution de ce crime de masse qui a fait 1 million de victimes ?
Programmes scolaires
À l’approche de la trentième commémoration du génocide, le 7 avril prochain, Laurent Larcher, journaliste au quotidien français La Croix, s’efforce de combler une lacune évidente en publiant Papa, qu’est-ce qu’on a fait au Rwanda ? La France face au génocide (éd. du Seuil) : bien que le rôle trouble joué par leur pays au Rwanda alimente la controverse depuis trois décennies, l’immense majorité des jeunes Français ignorent encore cette évidence à l’heure de préparer le baccalauréat.
Si le génocide des Tutsi a fini par faire son entrée dans les manuels scolaires au moment du renouvellement des programmes de terminale, à la rentrée 2020, dans un chapitre intitulé « nouveaux rapports de puissance et enjeux mondiaux depuis les années 1990 », si un thème intitulé « histoire et mémoires » figure désormais dans le programme de terminale des lycéens ayant opté pour la filière histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques (HGGSP), on est encore loin du compte.
« Officiellement, le génocide perpétré contre les Tutsi est bien inscrit au programme. Mais il l’est en tant qu’événement rwando-rwandais, sans que soit mis en lumière le rôle singulier que la France y a joué. Cette histoire-là n’est toujours pas enseignée », explique Laurent Larcher à Jeune Afrique.
Dans un livre concis, à l’écriture fluide et accessible, Laurent Larcher déroule donc le fil de ce compagnonnage tragique entre les deux pays. Entremêlant à la grande Histoire le récit de trois rescapés rwandais, Anne-Clarisse, Étienne et Issa, il expose à « [s]a très chère fille », en 153 pages, les principaux fragments de la politique dévoyée que mena Paris dans ce confetti de l’Afrique des Grands Lacs qui n’avait pourtant jamais fait partie de son empire colonial.
« Il est temps de te dire que cette histoire n’est pas terminée, tu vas devoir vivre avec et la transmettre à ton tour à tes enfants, comme nous le faisons pour nos héritages et nos bagages », écrit le journaliste en préambule à l’adresse de cette « très chère fille » qui n’est pas tout à fait la sienne mais qui est bien plus encore. « Mes trois filles ont entre 20 et 24 ans. C’est à elles que je m’adresse ; mais, au-delà, c’est à tous les lycéens et lycéennes en passe de devenir des adultes. »
Violences extrêmes
En 1994, au moment où le génocide débutait sur les collines rwandaises, Laurent Larcher préparait une thèse en histoire à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), à Paris, tout en enseignant cette matière dans des collèges et lycées. Sa famille avait été doublement marquée par les génocides du XXe siècle : celui des Juifs d’Europe par les nazis et celui des Cambodgiens par les Khmers rouges. « Les violences extrêmes font partie de mon histoire personnelle », dit-il.
Désireux d’agir, sans trop savoir comment, il adresse alors son CV au Secours catholique, qui lui répondra rapidement et l’invitera à apporter son aide à ses équipes au siège parisien de l’ONG, au cours de l’été 1994, alors que l’opération militaire française Turquoise tend à recouvrir d’un voile humanitaire le soutien coupable de Paris au camp des tueurs, jusque dans la défaite.
« J’ai réalisé peu à peu que ceux que nous, Français, étions en train d’aider n’étaient pas les victimes, mais les auteurs du génocide, explique-t-il. En me plongeant dans les archives du Secours catholique, j’ai également pris conscience que des massacres du même type avaient été commis contre les Tutsi dès 1963. » Dans La Croix, il publie alors une tribune où il pose la question de la responsabilité de la communauté internationale dans le génocide, et en particulier de celle de l’Église catholique, qui a longtemps donné sa bénédiction aux régimes rwandais successifs qui commanditaient les pogroms anti-Tutsi.
C’est alors que l’itinéraire de Laurent Larcher bifurque vers le journalisme. Il couvre les crises et les conflits aigus, en indépendant d’abord, puis en rejoignant La Croix au début des années 2000.
« Responsabilités lourdes et accablantes »
« Le rapport Duclert, rendu public en mars 2021, a représenté une étape importante en concluant à “un ensemble de responsabilités lourdes et accablantes” de la France dans le génocide des Tutsi », analyse le journaliste. Un cap symbolique, longtemps attendu, qui a conduit le président Emmanuel Macron à reconnaître dans la foulée « l’ampleur de[s] responsabilités [de la France] » entre 1990 et 1994, appelant « ceux qui ont traversé la nuit [à] nous faire le don de nous pardonner » afin de « bâti[r] ensemble de nouveaux lendemains ».
S’il parvient avec aisance, en vingt et un courts chapitres organisés en quatre parties chronologiques sur l’engagement français au Rwanda (« Premiers pas » ; « S’engager » ; « Face au génocide » ; « Les damnés »), Laurent Larcher doit en revanche, comme tant d’autres avant lui, reconnaître qu’il n’existe pas de réponse à la question qui tenaille tous ceux qui, comme lui, voient l’heure venue, trente ans plus tard, de transmettre le flambeau de la connaissance : « Comment t’expliquer les motivations de François Mitterrand ? Pourquoi a-t-il répondu à la demande du président rwandais [face à la première offensive du FPR] ? […] Et pourquoi l’a-t-il fait, alors que ce régime s’était attaqué impitoyablement aux Tutsi ? Comment te dire ? »
Renouant avec sa vocation avortée d’historien, en vulgarisant avec talent cette histoire ancienne et complexe à la façon du journaliste qu’il a choisi de devenir, Laurent Larcher résume par le devoir de transmission, corollaire du devoir de mémoire, l’ambition affichée du troisième livre qu’il a jusqu’ici consacré au rôle de la France dans le génocide perpétré contre les Tutsi, trente ans après avoir été brutalement confronté à une zone sombre de l’histoire de France : « On se sent responsable. Que doit-on faire aujourd’hui de ce qu’on a appris ? »
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