Le théâtre de Leptis Magna, une ville fondée par les Phéniciens, puis conquise par Rome, située près de Tripoli, en Libye. © Montage JA; SUPERSTOCK/SIPA
Le théâtre de Leptis Magna, une ville fondée par les Phéniciens, puis conquise par Rome, située près de Tripoli, en Libye. © Montage JA; SUPERSTOCK/SIPA

Le Sahara, trait d’union historique entre l’Afrique du Nord et le Sahel

Bien avant la conquête française de l’Afrique du Nord, les Romains, puis les Arabes avaient eux aussi mis la main sur la « Numidie ». Et comme pour leurs lointains successeurs, la tentation était grande d’étendre leur empire et de découvrir ce qui existait au sud du vaste désert saharien.

Publié le 11 janvier 2024 Lecture : 5 minutes.

Maquette d’un biplan devant le musée consacré à l’Aéropostale et à Antoine de Saint-Exupéry, à Tarfaya, au Maroc. © Montage JA; FADEL SENNA/AFP
Issu de la série

À travers le Sahara, de l’Antiquité au XXe siècle

Un désert stérile et infranchissable, le Sahara ? Bien sûr, il n’en est rien. Et si l’actualité récente prouve que la région est attrayante pour des raisons à la fois économiques et stratégiques, il en a toujours été ainsi. Retour sur une histoire qui commence dès l’Antiquité, voire bien avant.

Sommaire

À TRAVERS LE SAHARA, DE L’ANTIQUITÉ AU XXe SIÈCLE (4/4) – « La frontière méridionale était composée de routes, de fortifications et d’éléments linéaires continus, mais ce choix de la discontinuité n’était pas imposé par le Sahara et résultait d’une conception qui n’était pas exclusivement militaire. La frontière en Afrique était en effet plus une interface économique et culturelle avec l’autre Afrique qu’une barrière plus ou moins efficacement protégée. » Ainsi l’historien Christophe Hugoniot décrit-il la partie sud de la Numidie, le Limes Tripolitanus, dans son ouvrage Rome en Afrique.

À l’époque déjà, cette frontière naturelle présente une certaine porosité. Le Sahara, loin d’être un horizon fermé ou un obstacle insurmontable, titille la curiosité des conquérants, qui doivent en outre faire face à l’hostilité de certains de ses habitants. Les Garamantes, des peuplades berbères, semblent leur donner du fil à retordre, et cela jusqu’au Ier siècle de notre ère. Pas de quoi diminuer l’ardeur des Romains. Ces derniers s’intéressent de près au Sahara, et les vestiges épigraphiques et archéologiques soutiennent cette hypothèse. « L’existence de ruines et d’inscriptions romaines au cœur du Sahara a été révélée par les principaux explorateurs du désert, dont Duveyrier et Barth, affirme l’archéologue français Jules Toutain. À Ghadamès, Duveyrier a copié une inscription et décrit les vestiges d’une forteresse. Sur la route de Tripoli à Mourzouk par le Gharian et Mizda, Barth a vu, outre plusieurs traces de constructions, un poste militaire romain au lieu dit Gharia el-Gharbia. Dans les ruines de ce poste, il a découvert un texte épigraphique. »

la suite après cette publicité

Le Rhinocéros bicorne, trophée sahélien

La présence romaine dans le Sahara est également confirmée par les traces historiques de deux expéditions majeures lancées sous la dynastie des Flaviens, menées en moins de cent ans, dans un contexte de tentative musclée de pacification. Les expéditions de Septimius Flaccus et de Julius Maternus, traversant la Phazanie (le Fezzan actuel en Libye), se sont dirigées vers le lac Tchad. Elles sont distantes d’une ou deux années, autour de l’an 86. Les historiens traitent d’ailleurs les deux missions dans les mêmes termes. Est-ce parce qu’elles sont animées des mêmes objectifs et des mêmes intentions, au point qu’on a fini par les confondre ? Est-ce parce que les données spécifiques à chacune manquent ? Est-ce parce que la mémoire romaine a fini par les confondre toutes les deux ? Impossible de le dire.

Quoi qu’il en soit, les textes évoquent un pays du nom d’Agisymba, difficilement localisable. D’aucuns estiment qu’il s’agit de la partie sahélienne, entre le Tchad et le Niger actuel. D’autres experts pensent que le corps expéditionnaire romain aurait atteint la partie septentrionale du Soudan actuel. Toujours est-il que le périple de Septimius Flaccus aurait duré trois mois, tandis que celui de Julius Maternus, parti de Leptis Magna, dans l’actuelle Libye, aurait mis quatre mois pour rallier l’Afrique sahélienne. Chose fort probable sachant qu’une légion romaine parcourait environ trois cents stades (une trentaine de kilomètres) par jour.

Le dessein des Romains était également de porter l’épée au cœur des peuplades indigènes rebelles. En tous cas, Flaccus semble bien avoir châtié les Garamantes, alors que Maternus, lors de l’expédition suivante, a obtenu l’aide et l’assistance du roi des Garamantes. Le deuxième a aussi découvert l’Agysimba, dont il décrit avec curiosité la faune, particulièrement le rhinocéros bicorne, caractéristique de l’Afrique, contrairement à son congénère asiatique unicorne. Maternus aurait ainsi ramené à Rome quelques-uns de ces animaux qui ont été produits dans les jeux du cirque, probablement entre 87 et 92. Le rhinocéros à deux cornes fut ainsi la première preuve vivante de la traversée du Sahara par des Européens, bien avant le XIXe siècle.

Aux Romains succédèrent d’autres envahisseurs : les Arabes, eux aussi intéressés par la vaste étendue désertique. Issus de la bédouinité, ces conquérants sont bien moins dépaysés que les légions de Rome, et nullement découragés par les dunes. Leur progression se heurte toutefois à une résistance tenace des populations berbères. « La Libye arabe des premiers siècles devait beaucoup ressembler à la Libye byzantine, notent les historiens François Burgat et André Laronde. Très vite les conquérants étaient arrivés au Fezzan, en 663, sous la conduite de Oqba Ibn Nafi. Seule Ghadamès aurait, selon la légende, opposé une résistance guidée par la prophétesse berbère Dihya [Al Kahina]. »

la suite après cette publicité

Vers le Maroc et la Tunisie

Le général arabe Ibn Nafi continue donc sa conquête vers l’Ouest, par le Sahara, évitant ainsi le rivage méditerranéen dominé par la marine byzantine. Oqba Ibn Nafi al-Fihri est ainsi le premier commandant arabe à fouler le sol du futur Maroc. Quant aux premiers raids arabes dans l’Ifriqiya (la Tunisie), ils datent de 647, et la conquête se fait à partir du Sahara égyptien en direction de la Libye. D’une pierre, deux coups : les expéditions arabes dans le Sahara sont à la fois exploratoires et répressives.

Ainsi, en 661, selon l’historien arabe Ibn al-Athir, Ibn Nafi, conquérant peu enclin à l’indulgence et ayant eu vent d’une rébellion imminente contre le pouvoir arabe, pousse une pointe vers l’extrême Sud libyen. C’est la ville de Waddan, dans le Fezzan, qu’il a dans sa mire. Fort de quatre cents cavaliers, il ne tarde pas à soumettre la cité et son roi, qu’il mutile en lui tranchant une oreille. Il exige, comme le dicte la coutume bédouine, un lourd tribut d’esclaves. En mettant au pas le monarque, Ibn Nafi met ainsi la main sur tout le sud de la Tripolitaine. Un an plus tard, c’est à Ghadamès que le général arabe fait son entrée triomphale.

la suite après cette publicité

Faut-il présenter la cité antique aujourd’hui inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco ? « Bâtie dans une oasis, Ghadamès, « la perle du désert », est une des plus anciennes cités présahariennes et un exemple exceptionnel d’habitat traditionnel. Son architecture domestique se caractérise par les différentes fonctions assignées à chaque niveau : rez-de-chaussée servant de réserve à provisions, étage familial surplombant des passages couverts aveugles qui permettent une circulation presque souterraine dans la ville et terrasses à ciel ouvert réservées aux femmes », indique le site dédié au patrimoine culturel du monde.

Tué précocement lors d’un guet-apens, Ibn Nafi ne sera pas le dernier général arabe a étendre sa mainmise sur le Sahara. Ses successeurs prennent possession de Sijilmassa vers 757, c’est-à-dire peu après sa fondation. Érigée dans le Tafilalet aux portes du Sahara occidental, la ville devient très rapidement un véritable carrefour du commerce transsaharien. Ainsi les Arabes, venus d’un désert, avait-ils mis la main sur un autre désert, prélude à un fructueux négoce d’or et d’esclaves pour les mille ans à venir.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Dans la même série

Maquette d’un biplan devant le musée consacré à l’Aéropostale et à Antoine de Saint-Exupéry, à Tarfaya, au Maroc. © Montage JA; FADEL SENNA/AFP
À travers le Sahara, de l’Antiquité au XXe siècle EP. 1

[Série] À travers le Sahara, de l’Antiquité au XXe siècle

Le pilote français Raymond Vanier (à g.), qui dirige la ligne postale Toulouse-Rabat, devant un Bréguet XIV de la compagnie Latécoère, en 1920. © Montage JA; KEYSTONE-FRANCE/Gamma-Rapho
À travers le Sahara, de l’Antiquité au XXe siècle EP. 2

Sahara : l’Aéropostale, une épopée aérienne

La croisière noire, organisée par Citroën en 1924-1925, ici à Zinder, au Niger. © Montage JA; Photo12
À travers le Sahara, de l’Antiquité au XXe siècle EP. 3

Le transsaharien, ou le Sahara vaincu par la mécanique