Maroc : Casablanca, un patrimoine architectural remarquable mais menacé
Maisons Art nouveau, édifices coloniaux et immeubles Art déco, le patrimoine architectural du vieux Casablanca, la capitale économique du Maroc, en fait un musée à l’air libre, mais il est menacé par la négligence et la spéculation immobilière.
Sur le boulevard Mohamed V, l’un des plus anciens de "Casa", le chantier du futur tramway qui doit désengorger la première métropole du Maghreb, n’empêche pas les amoureux d’oeuvres d’art d’admirer la diversité architecturale de dizaines d’immeubles datant, pour la plupart, du début du XXème siècle.
"L’une des particularités de Casablanca, c’est qu’elle a constitué, tout au long de la première moitié du XXème siècle, un laboratoire architectural et urbain", souligne Karim Rouissi, vice-président de l’association Casamémoire qui défend le patrimoine de cette ville mythique.
"On peut retrouver des immeubles du style Art nouveau, des immeubles comme le bâtiment +Maroc-Soir+ derrière nous, réalisé par l’architecte français Marius Boyer et qui est de facture néo-mauresque", ajoute M. Rouissi, lui-même architecte.
Construisant pour les colons dans les années 20 et 30, puis la bourgeoisie locale, les architectes internationaux, surtout français, se sont inspirés des courants Art Déco et Art Nouveau en vogue en Europe, y ajoutant des ornementations marocaines traditionnelles, de zelliges, stucs ou sculptures de bois de cèdre, créant un style original.
Dans le centre-ville, à quelques encablures de la médina, le célèbre Excelsior est un vieux bâtiment devenu l’un des cafés les plus prisés par les "bobos" de Casablanca, une cité très mélangée de plus de cinq millions d’habitants, difficilement reconnaissable pour les nostalgiques de Humphrey Bogart et Ingrid Bergman.
Chrétiens et musulmans
L’architecture de l’Excelsior est sobre mais subtile: la façade de ce café, construit par l’architecte français Hippolyte-Joseph Delaporte en 1916, est peinte à la chaux et ornée de zelliges andalous verts datant de près d’un siècle.
L’Excelsior a été édifié face au grand portail de la médina de Casablanca, une vieille ville où "plusieurs religions et nationalités" avaient coexisté.
"Nous avons ici la première église de l’ancienne médina. Elle a été consacrée au culte catholique jusqu’aux années 60, puis désacralisée. Aujourd’hui, elle est en train d’être réhabilitée pour en faire un centre culturel", explique Abdou Berrada, ancien journaliste amoureux de sa ville.
"La particularité de cette médina, c’est qu’elle était habitée par les musulmans et les chrétiens, outre les juifs bien sûr. Parmi les chrétiens il y avait des Espagnols, des Italiens, des Portugais, des Français… et aussi des pêcheurs, artisans, maçons, commerçants", explique-t-il.
Casablanca est appelé Dar el Baida ("Ville blanche") par les Arabes, d’après le nom qui lui a été donné par les Espagnols au moment de son édification au début du XIX siècle, sur un site plus ancien.
Mais le patrimoine architectural de Casablanca est aujourd’hui menacé par la destruction, l’abandon et la spéculation immobilière.
Les appartements sont souvent occupés par des locataires qui paient des "loyers dérisoires", qui vont de 500 à 2.000 dirham par mois (45 à 180 euros), selon M. Rouissi. Ni les propriétaires, ni les locataires n’entretiennent les bâtiments qui se dégradent. Il faut verser jusqu’à 50.000 euros pour faire partir les locataires.
"Préserver les paysages urbains"
L’absence de politique de préservation du patrimoine permet aux promoteurs et spéculateurs immobiliers de détruire des bâtiments anciens pour les remplacer par des immeubles flambant neuf, plus élevés et plus rentables, ou d’ajouter des étages aux anciennes bâtisses au détriment de l’unité architecturale.
"Rebâtir se fait alors au détriment du patrimoine et de la ville", dit M. Rouissi, dont l’association souhaite que Casablanca soit classée au patrimoine de l’Unesco "le plus tôt possible", pour mettre fin aux excès, une tâche qui incombe au ministère de la Culture.
Mais inscrire à l’Unesco "un patrimoine récent comme l’est Casablanca, qui date des années 20, est plus compliqué que s’il s’agissait d’une ville ancienne", souligné à l’AFP l’architecte Jade Tabet, ancien membre du comité du patrimoine mondial de l’Unesco.
"De plus, comme il s’agit de la capitale économique, les autorités marocaines ne veulent peut-être pas adopter des mesures qui pourraient brider le dynamisme économique et l’activité immobilière" de la ville, explique l’architecte français.
L’un des symboles de la menace qui pèse sur le patrimoine est l’hôtel Lincoln, un bijou architectural conçu en 1916 par l’architecte français Hubert Bride à quelques mètres du marché central.
Fermé en 1989, cet hôtel est tombé en ruines vingt ans plus tard, suscitant une vive émotion parmi les habitants.
"Casamémoire a recensé quelque 4.000 vieux bâtiments à protéger", précise Karim Rouissi, le jeune et énergique vice-président de cette association.
"Mais pour nous le problème n’est pas tant de protéger chaque bâtiment que de préserver un paysage urbain. Il n’y a pas de Tour Eiffel au Maroc, il y a des paysages urbains dont il faut protéger l’harmonie architecturale ", nuance-t-il.
"On doit agir vite. On ne cesse de mettre en garde contre les dangers de la spéculation. Il y a des bâtiments qui sont dans un état de délabrement très avancé", souligne M. Rouissi, reconnaissant toutefois que les autorités locales sont de plus en plus sensibles à cette question.
"Il y a différents séminaires, différentes tables rondes sur le patrimoine. Les gens de l’agence urbaine, de la mairie y assistent (…). Maintenant on demande des actions. Or, on en voit très peu, on n’en voit pas encore assez", conclut-il.
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