L’ouest de la Côte d’Ivoire sous la menace d’une « guerre » des terres
Un an après avoir connu les tueries de la crise postélectorale, l’ouest de la Côte d’Ivoire reste en proie à de vives tensions intercommunautaires liées au sol : « la pression sur nos terres peut déclencher une autre guerre », avertit le chef du village de Niambly.
"Est-ce parce que Dieu nous a donné des terres si riches que nous sommes chaque fois meurtris, persécutés, pourchassés?", lance le chef Patrice Sanhan, 60 ans, entouré de ses notables à l’ombre d’un manguier dans la cour de sa maison. Il évoque une "malédiction".
Niambly est un gros village de planteurs aux maisons de banco (terre séchée) ou de briques, au coeur de la forêt de l’Ouest. La région est visitée depuis ce week-end par le président Alassane Ouattara, qui doit conclure son périple lundi à Duékoué, théâtre des pires tueries de la crise de décembre 2010-avril 2011 (quelque 3.000 morts au total dans le pays), par suite des rivalités politiques, des tensions ethniques et des litiges fonciers. On cultive à Niambly (6 km au sud de Duékoué), comme dans tout l’Ouest, riz, maïs, hévéa et cacao dont le pays est premier producteur mondial. Les riches sols ont attiré des Baoulé (ethnie du Centre), des Dioula du Nord mais aussi des Burkinabè et des Maliens, aux côtés des autochtones guéré.
"Ce n’est pas parce qu’on a accepté de vivre avec nos frères burkinabè qu’ils doivent être propriétaires de nos terres", s’insurge Patrice Sanhan. Les Burkinabè, les "allogènes" comme on dit ici, sont accusés par les Guéré d’occuper illégalement leurs terres, des litiges qui débouchent depuis des années sur des violences dans toute la zone. Selon le chef de Niambly, "il est vital de désamorcer la bombe foncière" alors que "des cars remplis de Burkinabè arrivent chaque jour" dans la région.
"Déclaration de guerre"
Ces tensions ont été aiguisées par la crise postélectorale: les partisans du président déchu Laurent Gbagbo étaient nombreux parmi les Guéré, face aux autres communautés, largement pro-Ouattara. Beaucoup de Guéré avaient fui le village pendant les troubles et certains ont encore peur de regagner leurs champs, selon eux souvent occupés à présent par leurs anciens ouvriers "allogènes". Des craintes balayées par leurs voisins.
A Niambly, le quartier des "allogènes" est séparé de celui des Guéré par la route principale. C’est là que vit Georges Souli, petit commerçant burkinabè de 30 ans. Au milieu de sacs de riz et de bidons d’huile, il reproche aux Guéré de manquer à "la parole donnée", ce qui expliquerait pour lui de nombreux conflits. "Ce sont les mêmes qui vous cèdent les terres et veulent vous en déposséder quelques années après", affirme-t-il. Près de lui, plusieurs de ses compatriotes acquiescent.
Sans état d’âme, il oppose l’immigré "travailleur" à l’Ivoirien du cru, le "forestier paresseux" et "jaloux" des "fruits de notre labeur, nos motos, nos vélos", reprenant une distinction qui a la vie dure et dont le romancier ivoirien Venance Konan a tiré un parti humoristique dans ses livres ("Robert et les Catapila", notamment). Chaussé de bottes et machette en main, Michel Kaboré revient de sa plantation de cacao. Ce Burkinabè met en garde : "tenter de nous retirer les terres serait considéré comme une déclaration de guerre".
Une question au programme de l’Assemblée nationale
De l’avis général, une régularisation des actes de vente par l’administration pourrait résoudre bien des problèmes. Un "comité de règlement des litiges fonciers", dirigé par le préfet et composé des chefs locaux, vient d’ailleurs d’être créé dans le département.
A chaque étape de sa visite dans l’Ouest, le président Ouattara vient parler réconciliation et développement, mais ces défis seront difficiles à relever si le problème des terres n’est pas traité. La question sera en tête des dossiers qui attendent la nouvelle Assemblée nationale. Elle ouvre ses travaux la semaine prochaine.
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