Algérie : des biens mal acquis impossibles à récupérer ?

Si Alger affirme avoir récupéré l’équivalent de 30 milliards de dollars de biens appartenant aux anciens dirigeants et ex-hommes d’affaires sous Bouteflika, la récupération des avoirs détenus à l’étranger se révèle compliquée, voire impossible.

Le président Abdelmadjid Tebboune lors de son discours à la nation, le 25 décembre 2023. © APP via PRESIDENCE ALGERIENNE

Le président Abdelmadjid Tebboune lors de son discours à la nation, le 25 décembre 2023. © APP via PRESIDENCE ALGERIENNE

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Publié le 16 janvier 2024 Lecture : 4 minutes.

Abdelmadjid Tebboune le répète comme un mantra : l’une de ses principales missions depuis qu’il est à la tête de l’État est la récupération des biens et des avoirs détournés par la « Issaba », la bande mafieuse qui a pillé les richesses du pays au cours des deux dernières décennies. Il le répète avec d’autant plus de conviction et de volonté qu’il n’a pas pardonné à certains membres de cette clique son limogeage brutal du poste de chef du gouvernement, en août 2017, au motif qu’il s’était attaqué à l’argent sale et avait réclamé des comptes aux oligarques qui gravitaient autour du cercle présidentiel.

Mais plus de quatre années après le début, à l’été 2019, des grands procès pour corruption, quel est le bilan de ce processus de récupération, alors que la quasi-totalité des grandes affaires sont closes et les condamnations définitives actées par la Cour suprême ? Si les montants annoncés sont substantiels, ils n’en sont pas moins fournis presque à la louche. Au cours d’une interview accordée en décembre 2022 à des journalistes algériens, le locataire du palais d’El Mouradia indique ainsi qu’à cette date, l’État a récupéré l’équivalent de 20 milliards de dollars. Cinq mois plus tard, en mai 2023, il avance le chiffre de 22 milliards de dollars récupérés, aussi bien sur le territoire national qu’à l’étranger. Enfin, lors du discours prononcé en décembre 2023 devant les deux chambres du Parlement, Abdelmadjid Tebboune annonce la récupération de l’équivalent de 30 milliards de dollars en argent liquide, en biens immobiliers et en unités industrielles.

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Comment ce montant est-il passé en l’espace d’une année de 20 à 30 milliards de dollars ? Mystère. L’autre mystère réside dans la dotation du Fonds des avoirs et biens confisqués ou récupérés dans le cadre des affaires de lutte contre la corruption. Créé en juin 2021, celui-ci enregistre en « recettes les fonds confisqués par décisions de justice définitives en Algérie et à l’étranger ainsi que le produit de la vente des biens confisqués ou récupérés et en dépenses, le règlement des frais liés à l’exécution des procédures de confiscation, de récupération et de vente ainsi que l’apurement des dettes grevant les biens confisqués ou récupérés ». Au 31 décembre 2023, ce fonds enregistre un solde de 21 424 781 956 dinars (environ 159 millions de dollars).

Demandes insuffisamment étayées

Si le processus de saisie et de récupération des biens détenus sur le sol national (usines, villas, des bateaux de plaisance, appartements, hôtels, lots de terrains, immeubles, voitures, bijoux et avoirs bancaires) s’est soldé par des montants conséquents – en dépit de l’opacité qui entoure ce dossier –, il n’en est pas de même pour les fortunes amassées à l’étranger. Là-dessus, l’opération a pour le moment fait chou blanc.

Certes, Abdelmadjid Tebboune et son ministre de la Justice répètent à l’envi que les partenaires étrangers, particulièrement les pays européens, sont disposés à coopérer avec l’Algérie pour la restitution de ces biens détenus par d’anciens hommes d’affaires et d’ex-ministres et hauts gradés de l’armée. Mais les résultats sont largement en dessous des attentes, des espérances et des effets d’annonce.

Au cours des quatre dernières années, la justice algérienne a envoyé par voie diplomatique pas moins de 220 commissions rogatoires et demandes d’entraides judiciaires dans une trentaine de pays (France, Suisse, Luxembourg, États-Unis, Belgique, Irlande, Canada Chine, Espagne, Panama, Liban, Émirats arabes unis, Italie, Royaume-Uni…). Selon divers avocats contactés par Jeune Afrique, presque toutes les demandes sont restées lettre morte. C’est que ces demandes d’entraide judiciaire se résument à un listing des biens immobiliers ou des montants transférés par les personnes qui ont fait l’objet de condamnations, sans être étayées par des documents irréfutables.

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À preuve, les réponses des magistrats sollicités en Europe, en Asie ou au Moyen-Orient se résument à des requêtes pour des compléments d’informations. Il faudra sans doute attendre plusieurs années avant que l’État algérien ne commence à récupérer une partie des biens mal acquis. D’autant que plusieurs obstacles se dressent sur son chemin.

D’abord, de l’avis de nombreux experts, les magistrats algériens ne sont pas suffisamment formés et outillés pour piloter et mener à terme des dossiers aussi délicats et complexes. L’autre écueil, et non des moindres, consiste à identifier ces biens acquis à l’étranger comme appartenant réellement aux personnes condamnées en Algérie, et à vérifier qu’ils ne sont pas inscrits au nom de leurs proches, de tierces personnes ou d’entités fiduciaires anonymes. Il faut enfin prouver de façon irréfutable que ces biens sont bel et bien le fruit de blanchiment d’argent, de malversations ou de détournement.

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Une fois ce processus mené à terme, il reste une autre digue difficile à franchir : remporter la bataille judiciaire contre des avocats que ces personnes fortunées ont déjà engagés, ou pourraient engager, pour s’opposer à une éventuelle confiscation de leurs biens. Le cas d’Abdeslam Bouchouareb, ancien ministre de l’Industrie, qui fait l’objet de plusieurs condamnations, est édifiant. Pour défendre ses intérêts en Suisse à la suite d’une demande d’entraide judiciaire envoyée par un juge algérien, l’ex-ministre s’est attaché les services d’un cabinet réputé à Genève. C’est dire combien la mission des juges algériens est délicate, compliquée. Presque impossible.

Saïd Bouteflika lâché par la Suisse

Une lueur d’espoir, tout de même, est récemment venue de Suisse. La justice helvétique a répondu favorablement aux commissions rogatoires visant Saïd Bouteflika, frère de l’ancien président condamné à douze ans de prison ferme, en transmettant des informations sur des virements qu’il a reçus sur un compte bancaire à Genève dont un provenant d’un compte au Koweït. Mais avant que la justice de son pays mette la main sur ces virements, il est à parier que beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts.

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