Mohamed Benamor : « Le pétrole ne sera pas éternel »
Le PDG du groupe Benamor, leader national de la transformation des céréales, exhorte les patrons algériens à investir dans l’agriculture.
Il est des entrepreneurs algériens qui ne râlent pas contre le système, qui se satisfont de leur marché, qui ne grognent ni contre les banques ni contre le pouvoir. Mohamed Laïd Benamor, 47 ans, est de ceux-là. PDG du groupe familial du même nom, fondé par son père en 1984, et président du Comité interprofessionnel des céréales, il dit être un entrepreneur heureux. Et comment ne le serait-il pas à la tête d’un groupe de 2 000 salariés dont le chiffre d’affaires est passé en dix ans de 3 milliards à 20 milliards de dinars (de 27 millions à plus de 180 millions d’euros), surfant sur la demande de semoule, de pâtes, de harissa, de conserves de tomates, de fruits et de sauces ?
Implanté à Guelma, Annaba ou Skikda, son groupe s’est lancé récemment dans un partenariat public-privé à 60 % sous son contrôle, en reprenant les installations du complexe agroalimentaire Eriad de Corso, à Boumerdès, très endommagées par le séisme de 2003. Quelle est sa recette ?
Propos recueillis par Alain Faujas
Jeune Afrique : Comment se porte le secteur agroalimentaire algérien ?
Mohamed Benamor : On ne peut pas dire qu’il aille mal.
Et le climat des affaires ?
Il n’est pas parfait, mais nous sommes sortis d’une crise, et les choses progressent bien. Il ne faut cependant pas penser à construire des conglomérats.
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Ne souffrez-vous pas d’un carcan administratif ? Ne rencontrez-vous pas d’obstacles pour vos permis de construire ?
À Paris, où je voulais ouvrir un bar à couscous, les démarches administratives ont été un vrai parcours du combattant. Plus de quatre mois pour avoir toutes les autorisations ! Jamais je n’ai attendu autant en Algérie. Nous avons obtenu une concession à M’Sila en moins d’un mois et nous avons aussitôt lancé notre production de carottes, d’abricots et d’ail.
Vous avez beaucoup d’amis…
Oui, mais il n’y a néanmoins pas de lenteurs bureaucratiques chez nous. Et je ne fais pas de démagogie en l’affirmant.
N’y a-t-il rien à améliorer dans les procédures administratives ?
Si. Cependant, le plus important, c’est que nos entreprises s’intéressent davantage à ce qui est en amont de l’agriculture. Les pouvoirs publics nous aident, mais ils ne connaîtront jamais la filière comme nous. Nous avons changé nos relations avec les agriculteurs. Avant, c’étaient des relations de clientèle. Aujourd’hui, ce sont des liens de partenariat.
Le pétrole ne sera pas éternel, et nous devons ensemble développer notre agriculture, faire passer la productivité de nos champs de tomates de 12 à 50 tonnes à l’hectare, mais nos confrères nous ont dit que ce n’était pas leur problème… Les pouvoirs publics n’y sont pour rien si le blé canadien vaut 300 dollars alors que le nôtre coûte le double. Toutes les aides possibles et imaginables n’y changeront rien. Au lieu de critiquer constamment, il faudrait réfléchir à la manière de tirer le pays d’affaire.
Pensez-vous étendre les activités de votre groupe à l’international ?
Pas vraiment, la sécurité hors des frontières laisse à désirer. Et puis, il y a chez nous de grands potentiels, et nous maîtrisons mieux les choses en Algérie. La consommation y progresse au rythme du pouvoir d’achat qui s’améliore, même timidement.
Par exemple, nous allons nous mettre à produire de la farine et nous lancer dans la boulangerie industrielle et dans la viennoiserie. Il y a beaucoup de gaspillage chez les boulangers, qui sont obligés de jeter leurs excédents de pain, ou qui, au contraire, ne parviennent pas à répondre à la demande. À partir du mois de décembre, nous fabriquerons quotidiennement 450 000 baguettes que nous livrerons surgelées. Le boulanger disposera d’un stock pour la semaine et le client ne patientera pas plus de dix minutes pour que sa baguette soit cuite. Nous sommes les premiers sur ce créneau.
Qu’exportez-vous ?
Des pâtes et du couscous vers la France, la Belgique, le Royaume-Uni, l’Arabie saoudite et Dubaï. Nous allons doubler nos capacités pour répondre à la demande. Exporter, c’est préparer l’avenir. Nous pourrions faire encore mieux, car les Chinois ne sont plus compétitifs.
Rencontrez-vous des difficultés pour exporter ou rapatrier vos devises ?
Aucune.
Oublions la politique et créons de la richese !
La création d’un marché commun maghrébin vous permettrait-elle de développer vos affaires ?
Oui, surtout avec la Tunisie. Ce serait gagnant-gagnant. Nous trouverions des produits à échanger.
Le ministère de l’Agriculture vous épaule-t-il ?
Parfaitement. Mais c’est à nous de faire évoluer les mentalités agricoles. Par exemple, il nous faudrait tripler nos capacités de production de tomates. Jadis, nous étions à couteaux tirés avec les agriculteurs. Aujourd’hui, ils s’intéressent à la couleur et à la fermeté de la tomate qu’ils cultivent. Ils sont devenus de vrais professionnels et commencent à coopérer entre eux. De mon côté, je préfère payer 1 ou 2 dinars de plus des produits locaux, parce que cela contribue à l’autosuffisance de notre pays.
Comment avez-vous obtenu une amélioration des rendements ?
Ce n’est pas une question de superficie, mais de vulgarisation. Les agriculteurs ne savaient pas ce qu’était la protéine pour les céréales. Aujourd’hui, ils s’en préoccupent parce que nous avons organisé pour eux des concours récompensés par des voyages en France afin qu’ils y rencontrent des confrères. Nous voyons ainsi apparaître une autre race de producteurs. Ils se préoccupent de désherbage ; ils calculent les quantités de phosphate à épandre ; ils suivent de près leurs rendements…
Ne faites-vous pas un travail de vulgarisation qui incombe aux pouvoirs publics ?
Ces derniers organisent des formations et mettent en place des mécanismes d’accompagnement pour les agriculteurs, mais nous, nous sommes sur le terrain, et quand nous communiquons bien, c’est gagné ! Nous les emmenons dans les foires agricoles, et cela les intéresse plus que d’avoir de l’argent. Il faut oublier la politique et créer de la richesse de cette manière.
Êtes-vous satisfait de vos résultats ?
Oui, je suis un entrepreneur heureux, et comment ne le serais-je pas avec un chiffre d’affaires qui progresse de 20 % à 30 % par an ?
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