Tessala el-Merdja : la ville de la seconde chance

Dans la banlieue sud-ouest d’Alger, Tessala el-Merdja accueille depuis cinq ans les relogés des bidonvilles de la capitale. Reportage.

La commune de Tessala el-Merdja compte aujourd’hui 13 000 jeunes de moins de 18 ans. © Louiza Imma/JA

La commune de Tessala el-Merdja compte aujourd’hui 13 000 jeunes de moins de 18 ans. © Louiza Imma/JA

Publié le 6 novembre 2013 Lecture : 5 minutes.

C’est l’histoire du premier village socialiste agricole (VSA), inauguré en 1975 en grande pompe par le président Houari Boumédiène, accompagné de Fidel Castro. Ce jour-là, les deux chefs d’État n’imaginaient sans doute pas que Tessala el-Merdja, bourgade de 150 maisons destinées aux ouvriers agricoles de la Mitidja, à une trentaine de kilomètres au sud-ouest d’Alger, deviendrait une ville de plus de 25 000 habitants, sacrifiant sa vocation agricole pour devenir une zone d’activités, après avoir troqué son statut de village socialiste contre celui de cité de la solidarité.

Cinq ans à peine après son inauguration, le village avait accueilli une partie des sinistrés du terrible séisme d’El-Asnam (rebaptisé Chlef), survenu en octobre 1980, et avait vu sa population tripler, à plus de 6 000 habitants. « C’était notre destinée, dit Ammi Moussa, 68 ans, ouvrier agricole à la retraite. Depuis, notre village n’a cessé de grandir. » À tel point qu’il accède en 1984 au rang de commune, rattachée à la wilaya de Blida, puis à celle d’Alger, en 1997.

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« Les programmes de construction de logements se sont enchaînés, poursuit Ammi Moussa. Chaque fois que des immeubles d’habitation étaient achevés, ils servaient à parer aux urgences dues aux catastrophes naturelles qui ont frappé la côte : inondations à Bab el-Oued en novembre 2001, tremblement de terre à Boumerdès en 2003. Puis est venue la politique de lutte contre l’habitat précaire dans la capitale. En 2008, nous avons accueilli la population de plusieurs bidonvilles démantelés. » C’est en effet à Tessala que les autorités ont relogé, entre 2008 et 2012, 1 300 familles qui vivaient dans des quartiers insalubres de la capitale : le Val d’Hydra à Doudou Mourad, les Zaatchas à Sidi M’hamed ou encore Diar Es-Saada.

Parachutage

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Les contacts entre les villageois et les nouveaux venus n’ont pas toujours été cordiaux. Les premiers, ruraux, conservateurs et généralement méfiants à l’égard des citadins, ne supportaient guère le « parachutage » des seconds, qui venaient occuper les logements construits sur leur terre et qui auraient dû revenir de droit à leurs enfants. « En quatre décennies, notre village a grossi de près de 2 000 logements, confirme Khaled, élu local du Rassemblement national démocratique (RND). Or moins de 150 ont été attribués à des enfants de Tessala. »

Entre les villageois et les nouveaux venus, les contacts n’ont pas toujours été cordiaux.

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Quant aux relogés, l’euphorie née du bonheur d’avoir enfin un toit s’est rapidement envolée au fur et à mesure qu’apparaissaient les problèmes de leur nouvelle vie. Au premier rang desquels l’éloignement des établissements scolaires et le manque de transports en commun… Les jeunes déplorent le déficit d’infrastructures culturelles ou de loisirs. « En quelques années, le nombre de mosquées est passé de une à cinq, mais Tessala n’a toujours pas la moindre salle de cinéma », explique Oumeima, étudiante. Arrivée de Diar Es-Saada en 2009, elle a passé son baccalauréat l’année suivante dans l’unique lycée de la commune. En matière d’infrastructures sportives, la municipalité ne dispose que d’un stade communal et de deux salles de sport, pour une population d’environ 13 000 jeunes de moins de 18 ans.

Plus grave : le manque de cohésion sociale. L’installation des relogés s’est accompagnée de nombreuses rixes, avec l’apparition de gangs d’adolescents aspirant à contrôler leurs nouveaux territoires. De quoi provoquer le ras-le-bol des autochtones. « Tout cela n’est qu’un vieux souvenir, assure Hamid Rabah, administrateur auprès du conseil communal. La ville dispose aujourd’hui d’une brigade de gendarmerie et d’un commissariat de police. »

Paradoxe

Mais d’autres problèmes empoisonnent la vie des relogés. Rachid, ancien du bidonville du Val d’Hydra à Doudou Mourad, reconnaît que son mode de vie a été bouleversé. « J’habitais un taudis, j’occupe aujourd’hui un F3 dans une cité agréable, avec toutes les commodités. Mais j’ai un nouveau problème : l’accès aux soins. » En effet, des trois centres de santé dont dispose Tessala, un seul est opérationnel. Les deux autres ont été transformés en logement d’astreinte pour les fonctionnaires. Les urgences médicales sont transférées à l’hôpital de la commune de Douera, distante de seulement 5 km, mais le mauvais état des routes complique les évacuations sanitaires.

Le paradoxe de Tessala el-Merdja est que, bien que située à proximité de l’autoroute est-ouest et de la rocade sud d’Alger, la cité est boudée par les transporteurs publics Tessala-el-Merdja-terrain-foot Louiza-Ammi-JAcomme privés. Sa chaussée défoncée et ses pistes malmenées par les saisons pluvieuses découragent les taxis collectifs et autres bus de desservir la commune. Rachid est technicien dans la Société d’exploitation des eaux d’Alger (Seeal), qui le dote d’un véhicule de service. « Je suis un privilégié, car tous mes voisins ne disposent pas d’une voiture. Or la plupart d’entre eux travaillent à Alger. Le seul arrêt de bus est de l’autre côté de l’autoroute. Comme il n’y a pas de passerelle, ils risquent chaque matin leur vie en traversant. » Alors la mairie a lancé des travaux de réalisation d’une gare routière. Quant au problème de l’état des routes, il devrait être réglé par le programme d’aménagement urbain. « Revenez d’ici à la fin de 2014, s’engage Hamid Rabah, vous verrez le résultat. » Promesses en l’air ? Rien n’est moins sûr.

En effet, située au coeur de la Mitidja, Tessala el-Merdja et ses 2 050 km2 de terres agricoles, désormais livrées au béton, séduisent les investisseurs. Le groupe Bellat, l’un des leaders de l’agroalimentaire en Algérie, y a installé une unité de produits carnés. Renault Algérie y a investi 2 milliards de dinars (18 millions d’euros) pour construire, sur 15 000 m2, son magasin central de pièces détachées. « Cela n’assure pas le plein-emploi, affirme Mounir, technicien du froid au chômage. Mais le fait que ces deux groupes aient choisi Tessala pour y investir donne de l’espoir pour l’avenir. »

Le logement et l’emploi restent les principales préoccupations des habitants. « Les anciens n’en ont pas eu, et les nouveaux en veulent plus », témoigne Ammi Moussa. Même si le budget de la commune a augmenté, il demeure insuffisant pour absorber la masse des jeunes chômeurs. « Les différents dispositifs d’incitation nous permettent de recruter quelques dizaines de jeunes chômeurs, explique Hamid Rabah, mais en aucun cas de réduire notre taux de chômage chez les jeunes pour le rapprocher du niveau national, qui est de l’ordre de 20 % pour cette catégorie. Chez nous, il est estimé à 30 % ! »

En attendant, Tessala continue de croître. Des centaines de logements devraient être livrés d’ici à la fin de 2014. De nouveaux relogés vont venir grossir sa population, qui devrait dépasser les 30 000 habitants en 2015. Et un second lycée vient d’être construit, qui devrait ouvrir ses portes à la rentrée 2014-2015.

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