Modou Lô, le roi des arènes au Sénégal

L’illustre lutteur a remporté un nouveau combat le 1er janvier, conservant son titre et son statut de star de la discipline dans le pays. Portrait d’un homme qui, parti de rien, s’est imposé à la force des poings.

 © Montage JA : Lionel Mandeix

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Publié le 11 janvier 2024 Lecture : 4 minutes.

DIX CHOSES À SAVOIR SUR… Véritable star au pays de la Teranga, le lutteur Modou Lô, 38 ans, a défrayé la chronique en enchaînant deux combats en quelques mois, qu’il a tous deux remportés. Consacré roi des arènes depuis sa victoire sur Eumeu Sène, en 2019, ce lutteur professionnel, issu d’une famille modeste de la banlieue de Dakar, a empoché 150 millions de F CFA (environ 230 000 euros) lors de son dernier combat contre le prometteur Boy Niang 2. Une 22e victoire grâce à laquelle la star de l’écurie Rock Énergie confirme sa suprématie dans le monde de la lutte.

1. « Combat royal »

Le combat a duré une quinzaine de minutes. Mis en difficulté par Boy Niang 2, qui s’accroche à sa jambe, Modou Lô parvient à se défaire de son emprise. Au corps à corps avec son adversaire, les genoux presque à terre, le lutteur parvient à se redresser et bondit. Il renverse son rival et remporte le combat. Ce 1er janvier, Modou Lô venait remettre son titre en jeu lors d’un « combat royal », organisé chaque année au Sénégal dans l’arène nationale. Des cris de joie ont retenti de toutes parts, à Dakar, pour fêter la victoire de l’un des lutteurs les plus célèbres du pays.

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2. Unité 10

Modou Lô est né aux Parcelles Assainies, l’une des communes les plus peuplées de la banlieue dakaroise. Extrêmement populaire dans son fief, le quartier Unité 10, il est devenu une star. Sport national au Sénégal, la lutte fait en effet de ses champions des demi-dieux aux cachets mirobolants. Le soutien des habitants des Parcelles n’est pas pour rien dans la célébrité du lutteur, qui a appris à soigner son image et sait mobiliser ses fans.

3. Parti de rien

Issu d’une famille modeste (son père était vendeur de poissons aux Parcelles), Modou Lô ne vient pas d’une famille de lutteurs, comme c’est généralement le cas des grands champions. Il a débuté dans les mbappats, ces tournois de lutte sans frappe qui se déroulent généralement de nuit. Il se fait rapidement un nom et enchaîne les victoires. La consécration vient en 2019, lorsqu’il terrasse le champion Eumeu Sène par K.-O.

4. À la force des poings

D’un gabarit plus modeste que les principaux lutteurs de sa génération, Modou Lô s’illustre par sa grande technicité et par sa force de frappe. « En dehors de ses aptitudes physiques, il n’a pas son égal dans la lutte sénégalaise, observe le journaliste Abdoulaye Dembélé, coordonnateur du journal Sunu Lamb (« Notre lutte », en wolof). Il allie lutte pure et frappes, ses mains vont et viennent avec une telle force que ça laisse des impacts. Il a déstabilisé de nombreux lutteurs avec ses poings et en a battu beaucoup par K.-O. »

5. Légende

Invaincu depuis 2019, Modou Lô règne depuis bientôt cinq ans sur la lutte avec frappe (seul Yékini a pu faire mieux en conservant son titre durant près de vingt ans). Un palmarès d’autant plus impressionnant qu’il est engagé dans davantage de combats que la plupart des adversaires de son niveau. Il faut pourtant plusieurs mois à un lutteur pour préparer chaque combat.

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6. Intrépide

Endurant, il s’entraîne avec application pour ne rien laisser au hasard. « Lorsqu’il entre dans l’arène, il se métamorphose. Il n’a peur de rien, même si son adversaire est un monstre physique », poursuit Abdoulaye Dembélé. Contrairement à ses illustres prédécesseurs, Modou Lô n’hésite pas à se frotter à des lutteurs qui ne sont pas de sa génération – chose rare pour un sportif de sa catégorie. En novembre 2023, sa victoire sur Ama Baldé, issu, comme Boy Niang 2, d’une génération plus jeune que la sienne, a suscité un vif émoi dans le pays.

7. Cachets mirobolants

Le sportif a obtenu un cachet de 150 millions de F CFA lors de son combat du 1er janvier – une somme équivalente à celle que demandaient ses prédécesseurs, mais qui tend à croître. Tyson, ancienne gloire de la lutte sénégalaise, avouait lui-même faire du « sport-business ». Le succès phénoménal de ce sport, qui a toujours profité aux promoteurs et aux annonceurs, permet aujourd’hui aux sportifs eux-mêmes de s’enrichir.

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8. Sans protection mystique

Modou Lô a décidé de livrer ses deux derniers combats sans les protections mystiques qui vont généralement de pair avec la lutte sénégalaise. Il avait pourtant débuté sa carrière en sollicitant la protection de ses marabouts. « Avant chaque combat, ses adversaires devaient barricader leur maison pour éviter que des objets mystiques y soient introduits, relate Abdoulaye Dembélé. Mais, au fil du temps, il a considéré que c’étaient des futilités. » Cela aussi fait de Modou Lô un cas à part dans le monde de la lutte sénégalaise.

9. Un modèle d’exportation ?

Si ce sport est extrêmement suivi sur le plan national, il ne s’est jusqu’à présent pas exporté. Pour Cheikh Tidiane Diop, spécialiste en politique sportive, il faudrait pour cela que ses aspects les plus mystiques soient mis de côté. « Cela peut être considéré comme du dopage. On pourrait pourtant exporter la lutte sénégalaise en conservant certains de ses aspects traditionnels, comme les pas de danse ou la tenue traditionnelle », estime-t-il.

10. Geste de Macky Sall

Ayant des difficultés à vivre des seuls revenus de la lutte, de nombreux sportifs tentent de se reconvertir dans les MMA (Arts martiaux mixtes) pour gagner en notoriété. En mai dernier, le chef de l’État, Macky Sall, a annoncé l’adoption d’une série de mesures en faveur des lutteurs, comme la création d’un fonds de garantie à l’intention des promoteurs et d’une mutuelle spécifique.

« On pourrait envisager d’organiser un championnat national, qui débute dans les régions et s’achève dans la capitale, avec des écoles de lutte qui rémunèreraient leurs sportifs », avance Cheikh Tidiane Diop. Le spécialiste préconise aussi une réforme du Conseil national de gestion de la lutte (CNG) ; il s’agirait de le transformer en fédération, afin que le système profite à tous les sportifs – et pas seulement aux rois des arènes.

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