Algérie : faut-il avoir peur du gaz de schiste ?
Les réserves d’hydrocarbures non conventionnels du sous-sol algérien viennent d’être revues à la hausse. Analyse des enjeux et des contraintes liés à leur exploitation par Abdelmadjid Attar, Ancien PDG de Sonatrach.
Contrairement aux hydrocarbures conventionnels, piégés dans des roches réservoirs poreuses, perméables et sous pression – ce qui permet leur extraction par simple déplétion ou pompage -, les hydrocarbures non conventionnels (gaz et huile de schiste) sont piégés dans des roches caractérisées par une microporosité qui rend leur récupération impossible sans stimulation.
Ce qui n’est pas sans incidence sur le coût d’exploitation, qui est de quatre à cinq fois supérieur.
Il s’agit d’une opération chimique ou hydromécanique, appelée fracturation, permettant la libération des hydrocarbures piégés et leur production en surface, avec toutefois des débits beaucoup plus faibles que ceux des hydrocarbures conventionnels.
l’Algérie, la Chine et l’Argentine disposent de réserves similaires, voire supérieures, à celles des États-Unis
La controverse autour de l’exploitation du gaz et de l’huile de schiste est liée à cette opération de stimulation, du fait de son coût, mais aussi de ses conséquences sur l’environnement et sur les activités humaines.
En effet, pour compenser la faible productivité par surface de drainage, des milliers de puits doivent être réalisés, chacun d’entre eux nécessitant un drain horizontal, des canalisations et des installations très denses en surface.
Au-delà de son coût financier, la mise en place de ce dispositif est donc gourmande en espace et exclut toute autre activité humaine, rurale ou citadine. Par ailleurs, cette opération requiert de très importants volumes d’eau (voir encadré), un système de traitement-stockage des rejets, ainsi que l’utilisation de produits chimiques.
MIRACLE AMÉRICAIN
Le gaz et l’huile de schiste ont provoqué un véritable miracle aux États-Unis, dont les réserves de gaz sont passées de 1 500 trillions de pieds cubes (TPC, soit plus de 42 475 milliards de m3) en 2000 à 2 327 TPC en 2013. La production actuelle a atteint 15 TPC/an, soit près de 425 milliards de m3, ce qui représente 62 % de la production totale de gaz naturel aux États-Unis.
Résultat : arrêt des importations, création de milliers d’emplois et probabilité d’exportation à partir de 2017. Cela a entraîné l’effondrement du prix du gaz sur le marché intérieur américain à 3,8 dollars/million de British Thermal Unit (BTU, unité d’énergie : 1 watt équivaut à environ 3,4 BTU/h).
Les cours se sont également effondrés sur le marché mondial du fait de la crise financière de 2008 et de l’abondance de gaz, qui a entraîné une compétition féroce entre producteurs et exportateurs.
Il est désormais clairement prouvé que ce type d’hydrocarbure existe ailleurs dans le monde, notamment dans trois pays disposant de réserves similaires, voire supérieures, à celles des États-Unis : l’Algérie, la Chine et l’Argentine.
Tous trois affichent déjà leur intention de suivre l’exemple américain et ont démarré des travaux de recherche et d’évaluation, précédés parfois par une modification du contexte législatif et contractuel afin d’en permettre l’exploitation.
Cependant, de nombreux problèmes restent à résoudre, des résistances à vaincre, de façon spécifique à chaque région, sur des domaines sensibles comme l’environnement, le savoir-faire technologique, l’importance des investissements à consentir, mais aussi l’objectif recherché, à savoir la rente ou la sécurité énergétique.
TRANSITION
Qu’en est-il de l’Algérie ? Selon les experts de la Sonatrach, cette dernière recèle plus de 19 820 milliards de m3 (700 TPC) de réserves de gaz techniquement récupérables. Quant aux hydrocarbures liquides non conventionnels (huile), les ressources sont estimées à 215 milliards de barils, mais aucune précision n’est fournie concernant les réserves récupérables.
Il est peu probable que le miracle américain survienne en Algérie.
Comparativement, les réserves de gaz conventionnel sont, elles, estimées à 4 500 milliards de m3, avec une production moyenne annuelle de 85 milliards de m3, dont 55 milliards destinés à l’exportation.
Certains analystes estiment qu’un potentiel conventionnel plus important reste à découvrir dans les zones peu ou pas explorées. D’autres, plus pessimistes, mettent en doute ces réserves et ce potentiel.
Mais l’essentiel est ailleurs : il s’agit de mettre en oeuvre une stratégie à long terme, qui prenne en compte toutes les hypothèses, et un modèle de consommation énergétique évolutif en fonction de toutes les ressources disponibles, fossiles ou renouvelables. D’où la nécessité d’arbitrer sur le sujet de la rente pétrolière, qui est hélas nécessaire aujourd’hui et sur la transition et la sécurité énergétique, qui risque d’être cruciale au-delà de 2030.
Il est peu probable que le miracle américain survienne en Algérie, du fait des moyens logistiques et financiers gigantesques à mobiliser.
On peut aussi imaginer le contraire, à cause d’un épuisement plus rapide des réserves conventionnelles actuelles et, surtout, d’une augmentation rapide de la consommation interne : celle-ci, aujourd’hui de l’ordre de 30 milliards de m3 de gaz par an, devrait doubler en 2030 pour atteindre 60 milliards de m3/an. Qu’en sera-t-il en 2040, en 2050 et plus tard ?
C’est maintenant qu’il faut y réfléchir et qu’il convient d’agir. En premier lieu, il faut évaluer les ressources, les enjeux et les contraintes, et se préparer à une éventuelle exploitation des hydrocarbures non conventionnels qui ne surviendra pas de façon significative avant 2030. Les programmes et travaux en cours, ainsi que les éventuels progrès technologiques à venir, devraient contribuer à résoudre aussi bien les problèmes de coût que ceux liés à l’environnement et à la contrainte de surface.
Par ailleurs, il faut agir dans un objectif de satisfaction des besoins en énergie et non de rente, à travers une transformation du gaz et de l’huile en énergie sur les sites même de leur extraction, en combinaison avec les énergies renouvelables (solaire), pour permettre le développement d’autres activités et richesses au niveau local, ainsi que la création de milliers d’emplois dans les secteurs périphériques tels que la pétrochimie, l’industrie ou l’agriculture.
Gaz de Schiste : les risques du métier
Récupérer le gaz et l’huile de schiste requiert d’énormes besoins en eau. Ce qui soulève des inquiétudes tant au niveau financier qu’environnemental.
En matière d’environnement et sans tenir compte d’éventuels progrès à venir en matière de technologie de fracturation, il est prouvé que le domaine saharien (87 % du territoire algérien) renferme des ressources en eau suffisantes et à même de subvenir à tous les besoins, pour peu que le soutirage se fasse de façon contrôlée et strictement dans les zones éloignées de celles où il y a des activités humaines, urbaines ou rurales.
Ressources peu renouvelables
Le système aquifère saharien renfermerait en effet 40 000 milliards de m3 d’eau, dont 60 % en Algérie. Son exploitation agricole et industrielle actuelle utiliserait 1,5 milliard de m3 par an, pour quelque 6 500 puits et autres foggara [galeries souterraines drainantes].
Cette ressource n’est cependant renouvelée qu’à raison de 1 milliard de m3 par an et, surtout, n’existe pas partout. Le bassin de Tindouf, par exemple, en est totalement dépourvu. Par ailleurs, il est prévu que le soutirage atteigne 3,2 milliards de m3 par an d’ici à l’horizon 2020, alors que le potentiel du système aquifère pour le seul Sahara septentrional (l’Algérie) est de 5 milliards de m3 par an.
150 millions de m3 d’eau par an
L’exploitation des hydrocarbures non conventionnels nécessiterait le forage de 35 000 puits en Algérie, ce qui mobiliserait tout au plus 150 millions de m3 d’eau par an, pour peu que le traitement des rejets se fixe comme objectif la récupération d’au moins 50 % du volume utilisé pour chaque opération de fracturation.
Le défi à relever sera essentiellement réglementaire (contrôle du respect des lois en vigueur) et « arbitral » : au-delà de 2030, aura-t-on besoin de plus d’eau ou de plus d’énergie ? Les deux à la fois et combien ? Et quelles sont les zones pouvant supporter un soutirage raisonnable ?
Gestion des rejets
Pour ce qui est des rejets, il va de soi que le traitement sera inévitable et obligatoire. Il faut peut-être rappeler que la fracturation hydraulique est déjà utilisée en Algérie depuis des décennies sans problème et que, dans d’autres cas, quand le gaz naturel contient du dioxyde de carbone (CO2) tant décrié, ce CO2 est réinjecté dans une couche géologique profonde sans aucune incidence sur l’environnement.
On peut donc envisager le même processus pour ce qui est des rejets de la fracturation. Sans oublier toutefois que cela aura aussi une incidence financière, à comptabiliser sur le prix de revient du gaz.
Enfin, s’agissant de la contrainte posée en termes de surface, il n’y a aucune comparaison possible entre les immenses étendues complètement désertes du Sahara et le Bassin parisien, les plaines verdoyantes de Pologne ou encore les pâturages américains, dont les occupants, citadins ou agriculteurs, ont été effectivement victimes d’une « ruée vers l’or de schiste », qui les a enrichis à court terme, puis appauvris à long terme.
S’il fallait chercher cet « or de schiste » dans la Mitidja, la vallée du Cheliff, la plaine d’Abadla ou les oasis du Sud, je dirais personnellement non. Mais ce n’est pas le cas.
Abdelmadjid Attar
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