L’Afrique a besoin de toutes ses énergies face à la transition climatique
Face aux enjeux de la transition énergétique, un collectif d’artistes et acteurs du monde culturel africain appelle à ne pas tourner le dos aux industries extractives et aux investissements étrangers dans l’énergie. Avec pour préalable un accès universel à l’électricité.
Nous tous, Africains avant d’être artistes, ne le savons que trop : notre continent est l’un des plus exposés aux effets du changement climatique, à travers la hausse des températures, la désertification, l’érosion des littoraux et les phénomènes météorologiques extrêmes. La transition énergétique, destinée à limiter le réchauffement et à laisser une planète vivable à la génération qui vient, est une ardente obligation. Elle ne se discute pas !
Mais cette transition doit être juste. Les efforts doivent être également répartis. Or, à observer la tournure souvent dogmatique du débat sur le climat, il nous arrive de nous demander si celui-ci n’est pas par trop occidentalo-centré… Une réflexion globale sur la transition énergétique et les moyens d’arriver à la neutralité carbone à l’horizon 2050 ne peut faire l’impasse sur la question de la pauvreté énergétique de l’Afrique, et son corollaire, sa marginalisation économique.
Un enjeu pour l’emploi
L’Afrique sera en 2050 le continent le plus peuplé du monde. Or actuellement, 43 % de sa population – 600 millions de personnes – n’a pas accès à l’électricité. Et le coût de l’énergie demeure trop élevé pour permettre l’essor de l’industrie, qui, avec l’agriculture, est la condition d’une croissance soutenue et inclusive. Cette situation, déjà insupportable en termes de dignité humaine, entraîne une autre conséquence : l’impossibilité pour la majorité des 25 millions de jeunes Africains arrivant chaque année sur le marché du travail de trouver un emploi décent.
L’Afrique aura besoin de toutes ses sources d’énergie pour assurer son développement, pour offrir un avenir digne à ses enfants, et pour dégager des surplus qui lui permettront in fine de financer durablement la décarbonation de ses activités. Les ressources énergétiques dont dispose le continent peuvent être des vecteurs d’industrialisation si les investissements sont bien dirigés et s’ils sont adossés à une bonne gouvernance. Le développement de l’industrie gazière peut en particulier permettre de résorber une partie du déficit de la production énergétique africaine et stimuler l’industrialisation, car cette production alimentera le marché local de l’énergie.
Promesse non tenue
L’Afrique, faut-il le rappeler, ne contribue qu’à hauteur de 4 % aux émissions de gaz à effet de serre alors qu’elle concentre 17 % de la population mondiale. Sa « dette climatique » – le total des émissions de carbone depuis le début de l’ère industrielle, en 1850 – est inférieure à 3 %. Demander aux pays africains de supporter les conséquences de la transition écologique alors qu’ils ne sont en rien responsables du dérèglement climatique reviendrait à les condamner à une double peine. Ils doivent pouvoir bénéficier d’une approche souple, pragmatique, progressive, intégrant leurs contraintes et leurs priorités.
En 2009, lors de la conférence du climat de Copenhague, les pays industrialisés avaient promis 100 milliards de dollars (91 milliards d’euros) par an pour aider l’Afrique à lutter contre le dérèglement climatique et engager sa transition énergétique. Cette promesse ne s’est toujours pas matérialisée.
On peut aussi regretter que les priorités de notre continent, en termes d’efforts d’adaptation au changement climatique, n’aient pas été au centre des discussions de la COP 28, alors qu’il y a urgence. Enfin, de l’aveu même de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’Afrique, malgré son potentiel solaire considérable et la puissance de ses grands fleuves, n’attire que 3 % des investissements mondiaux dans l’énergie. Autant dire : une goutte d’eau !
Une énergie abordable, fiable et durable
En tant qu’artistes, nous sommes bien conscients de la difficulté de s’adresser à l’autre, au producteur, au sponsor, au mécène, pour obtenir ce dont nous avons besoin pour faire vivre notre art. Ces problématiques de financement, nous les vivons au quotidien.
À force de travail, d’ingéniosité, certains d’entre nous arrivent maintenant à vivre de leur art. Et s’il en allait de même pour les questions de développement et de lutte contre la pauvreté énergétique ? En tant qu’artistes africains, nous ne pouvons pas ne pas nous sentir concernés par ces sujets. Et nous nous estimons en droit d’exprimer nos convictions, au risque de froisser.
L’Afrique est riche en ressources, fossiles comme renouvelables, sans parler de son potentiel minéral (cobalt, lithium, terres rares, indispensables à la transition écologique). Elle doit avant tout compter sur elle-même et sur ses ressources pour financer son développement et sa transition. Il ne peut y avoir de transition énergétique sans qu’au préalable l’accès universel à une énergie abordable, fiable et durable ne soit garanti, à nos populations, mais aussi à nos entreprises. Bien utilisées, toutes nos ressources constituent un vecteur puissant de développement.
Nous sommes convaincus qu’en comptant sur nous-mêmes, en étant vertueux et responsables dans l’utilisation de nos ressources, nous arriverons à développer notre continent et à faire rayonner sa culture.
*Liste complète des signataires :
les chanteurs et chanteuses, Baaba Maal (Sénégal), Oumou Sangaré (Mali), Jemiririye (Nigeria), Oum El Ghaït (Maroc), Kader Tarhanine (Algérie), Mouna Dendeni (Mauritanie), Pépé Oléka (Bénin), Boune (France), Yinka Rythmz (États-Unis) ; les sculpteurs et peintres Tchif (Bénin) et Charly d’Almeida (Bénin) ; Nelly Wandji (propriétaire d’une galerie au Cameroun) ; Lat Ndiaye (expert en culture au Sénégal) ; Sarah Coquard (slameuse française) ; Akheline (producteur congolais) ; Mamar Kassey (groupe nigérien).
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