Elisabeth Daldoul, fondatrice d’Elyzad : « Le secteur du livre se revivifie »

Elle a fondé en 2005, à Tunis, la maison Elyzad, qui publie Yamen Manaï et Beyrouk. Entretien avec une éditrice optimiste.

Elisabeth Daldoul, la fondatrice de la maison d’édition Elyzad, à Tunis. © Montage JA; FETHI BELAID/AFP

Elisabeth Daldoul, la fondatrice de la maison d’édition Elyzad, à Tunis. © Montage JA; FETHI BELAID/AFP

Publié le 3 mars 2024 Lecture : 4 minutes.

Dans un contexte morose, Elisabeth Daldoul, est une éditrice optimiste. Née à Tunis en 2005, la maison Elyzad, à l’image de sa fondatrice, promeut la littérature francophone, a fait ses premiers pas en France et grandit en Afrique. Avec un souci d’exigence permanent et de la détermination, sa créatrice a constitué un catalogue foisonnant où, d’un livre à l’autre, les fictions esquissent la géographie du continent et celle, plus intime, de chaque auteur.

Les nouveaux écrivains y côtoient ceux qui sont devenus des compagnons d’Elyzad, comme Cécile Oumhani, Ali Bécheur, Yamen Manaï, Karim Kattan, Émilienne Malfatto ou Beyrouk. Elisabeth Daldoul s’était engagée à faire circuler les textes du Sud vers le Nord. Ils suivent désormais la boussole du succès, rayonnent en Afrique et dans les pays francophones. Entretien avec une éditrice qui déborde de projets et qui, face aux écueils du marché du livre, ajuste sa stratégie.

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Jeune Afrique : Elyzad revendique son africanité. Les bouleversements qui se produisent actuellement en Afrique subsaharienne affectent-ils le monde de l’édition ?

Elisabeth Daldoul : Les entraves politiques et les difficultés économiques rejaillissent sur la circulation des livres. Mais une nouvelle dynamique vivifie le secteur de l’édition, en Afrique de l’Ouest et au Maroc. Depuis deux ans, des initiatives privées ont favorisé la naissance de salons et de festivals qui s’ouvrent au continent dans toutes ses composantes. La Rentrée littéraire du Mali, à Bamako, le Festival du livre africain de Marrakech (Flam), ou le Festival international de littérature de Dakar (Fild) traduisent notre conscience de faire partie d’un même continent, et la volonté des uns et des autres de jeter des passerelles. En 2023, à Bamako, les éditeurs ont créé le Réseau africain des manifestations littéraires et du livre (Ramali), afin de mutualiser les efforts et de constituer une force de proposition. C’est une première, qui suscite beaucoup d’espoir dans des temps compliqués.

Ces initiatives ont-elles un effet sur le modèle économique de l’édition ?

Elles permettent l’éclosion de partenariats non négligeables, comme les coéditions, les traductions, les cessions de droits. Sur le continent, les cessions de droits ou les coéditions fonctionnent bien pour les collections jeunesse. En littérature, la situation est plus compliquée, mais, par exemple, les droits de Bel Abîme, de Yamen Manaï, ont été achetés dans le cadre d’un projet solidaire dans six pays africains. C’est une formule à développer. Toutes ces dynamiques font qu’il y a moins de cloisonnement. Les prix littéraires produisent aussi des effets ; 28 000 exemplaires de Que sur toi se lamente le tigre ont été écoulés, et des traductions ont été négociées après l’attribution du Goncourt du premier roman à Émilienne Malfatto, en 2021.

Faire découvrir, c’est aussi faire entendre des voix qui peuvent être dissonantes, qui interpellent.

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Y a-t-il une appétence pour le livre ?

Quand la demande est inexistante, on a envie de la susciter. À travers l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, qui réunit 70 éditeurs francophones et dont je fais partie, je perçois une prise de conscience des enjeux, qui donne envie d’apporter aux lecteurs de l’inédit, de faire découvrir d’autres auteurs. Les prix littéraires destinés à des écrivains du continent (comme le Prix Ivoire, à Abidjan) se développent. Mises bout à bout, ces initiatives, souvent petites, ont du sens et donnent de l’énergie. Désormais, on peut publier des auteurs du monde entier en sachant qu’ils apportent une ouverture aux lecteurs.

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Encore faut-il trouver les textes, les bons auteurs. Comment cela se passe-t-il ?

Cela passe d’abord par des rencontres, d’où l’importance de ces festivals et de ces salons récents. Chaque année, environ 700 manuscrits nous parviennent ; on choisit les textes en fonction de leur potentiel, de ce qu’ils suscitent, de ce en quoi ils surprennent. La suite est un accompagnement du texte et de l’auteur jusqu’à la mise au point finale. La fiction me fait voyager, et c’est ce que j’ai envie de partager. Elyzad, qui compte aussi des auteurs du Moyen-Orient, comme le Palestinien Karim Kattan, ajoutera à son catalogue, à la fin de 2024, un ouvrage de la Guinéenne Bilguissa Diallo. Faire découvrir, c’est aussi faire entendre des voix qui peuvent intégrer un marché élargi, ou celles qui peuvent être dissonantes, qui interpellent.

Comment Elyzad parvient-il à maintenir son positionnement ?

Montrer que, depuis le nord de l’Afrique, qui est un sud de la France, on peut proposer des textes, être lisibles et être lus à notre tour, relève du défi. Tout cela n’est possible que grâce à une chaîne de personnes engagées et passionnées, notamment les libraires et les directeurs de festivals. L’édition est une aventure humaine.

Qu’en est-il de l’édition numérique ?

Elle ne semble pas avoir créé de nouveaux lecteurs ou de nouvelles dynamiques de lecture ; c’est pratique pour lire quand on ne veut pas s’encombrer de livres, mais il faut être lecteur avant tout et avoir les outils de lecture nécessaires.

Avec la hausse des coûts de transport et du prix du papier, comment maîtriser le prix du livre ?

On y parvient grâce au soutien du ministère [tunisien] des Affaires Culturelles ; les subventions, bien qu’elles aient considérablement diminué, existent encore. Nous avions une subvention pour le papier et un achat en nombre pour les bibliothèques publiques. Il semble qu’à compter de 2024 ces deux formes de soutien ne seront plus cumulables. Pour les livres en langue française, nous sollicitons également l’Institut français de Tunisie (IFT). Ces soutiens permettent d’adapter les prix au marché tunisien, sachant que les tirages sont petits, puisque la littérature de fiction est une niche. Les exportations et les coéditions amortissent les coûts.

Quel est l’avenir du livre ?

Pour Elyzad, il est dans la publication, au premier semestre de 2024, de Malentendues, de Azza Filali, de Paris est une dette, de Saber Mansouri, d’un roman de Cécile Oumhani, et du lancement d’une collection de longues nouvelles traduites à des prix modérés. Pour la Tunisie, l’avenir du livre relève d’une décision politique.

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