À Ouidah, le Bénin célèbre le vodun… et Patrice Talon
Exit, le mythe de la poupée vaudoue truffée d’aiguilles pour jeter de mauvais sorts, « une invention de Hollywood ! » Le gouvernement béninois a pour ambition de faire de la cité historique de Ouidah la destination spirituelle phare des Africains et des diasporas.
« Le vodun n’a rien à voir avec la sorcellerie et encore moins avec la magie ! » Fidèles, chefs de culte et Béninois tout simplement fiers de leur patrimoine culturel, d’aucuns vous diront le contraire, ici, à Ouidah, berceau du vodun. Dans cette petite ville côtière du sud du Bénin d’ordinaire calme, la vie bat son plein. À quelques jours de la fête nationale du vodun, instituée le 10 janvier 1992 par l’ancien chef de l’État Nicéphore Soglo – après des années d’interdiction sous le régime marxiste de Kérékou –, la cité est déjà métamorphosée. Banderoles festives, signalétiques, chapiteaux… Sur la place aux Enchères, anciennement nommée Chacha, du surnom de Francisco Félix de Souza (l’un des plus importants trafiquants d’esclaves brésiliens), les Egungun défilent dans des costumes aux couleurs chatoyantes, et dansent au rythme des tambours pour honorer les ancêtres.
Patrice Talon, fin stratège
Cette année, la célébration a été repensée par l’actuel président Patrice Talon, à travers une nouvelle formule déployant les grands moyens. « Lors des premières éditions, l’organisation était très primaire et mise en place par les chefs de culte et les prêtres, se souvient Christian Houétchénou, maire de Ouidah. Sous Soglo, la fête a pu se structurer. Mais très vite, des affres politiques ont fragilisé la cérémonie, l’ancien président étant issu d’une famille catholique très puissante. »
Si Patrice Talon ne cache pas sa foi catholique, il entend, en fin stratège, mettre l’accent sur ce qui fait la spécificité de la cité historique – son caractère œcuménique –, où toutes les religions cohabitent avec tolérance.
Sur l’esplanade du temple des Pythons, situé face à la magistrale basilique de style néo-gothique, une parade de vodun Hounvè commence. Reconnaissables parmi tous grâce à leurs tuniques brodées de sequins qui scintillent au soleil, ils portent sur leurs épaules d’imposants pompons de plumes. Non loin de là, sur l’ancien site du fort français fraîchement rénové – érigé à Ouidah pendant la traite atlantique pour faciliter les relations diplomatiques et commerciales avec les autorités locales –, les Zangbeto tournoient dans leurs costumes traditionnels chamarrés, confectionnés à partir de feuilles de banane. Eux, ce sont les gardiens de la nuit et de la cité.
« Le vodun est une religion qui dispose d’une théogonie, de plusieurs clergés, de couvents, de prêtres et prêtresses », éclaire le professeur Kakpo Mahougnon, président du Comité des rites vodun – dont le travail consiste à déconstruire les fausses croyances et stéréotypes sur cette religion. Il existe plusieurs types de vodun (divinités intermédiaires entre le Dieu créateur et les fidèles) liés aux éléments de la nature. Mais d’autres ont des fonctions associées aux maladies et à la guérison, comme Sakpata, ou aux énergies de la prospérité et de la fertilité, comme Mami. Exit, le mythe de la poupée vaudoue truffée d’aiguilles pour jeter de mauvais sorts, « une invention de Hollywood ! » s’insurge le spécialiste des études africaines. La religion vodun est positive. « Sa philosophie repose sur la protection de l’homme et son épanouissement. »
Fon, yoruba, créole haïtien et martiniquais…
Que l’on comprenne ou pas la portée spirituelle du vodun, et que l’on y adhère ou non, on se laisse facilement happer par son expression artistique. Et c’est sans doute là toute l’habileté de la stratégie d’expansion de cette fête nationale vers l’international, laquelle conjugue tourisme, arts et spiritualité, tout en respectant le principe de laïcité consacré par l’article 2 de la Constitution fondé sur la liberté des cultes traditionnels. Mais c’est à l’intérieur des couvents, majoritairement réservés aux initiés, que certains rites se pratiquent, à l’abri du regard des touristes. N’en déplaise à certains sceptiques, pointant du doigt une forme de désacralisation de la célébration.
Rebaptisée « Vodun days », à l’anglo-saxonne, cette fête sponsorisée par le gouvernement de la République du Bénin se tient désormais sur plusieurs jours, comme un festival – avec la possibilité de camper sur place pour « une expérience immersive », de s’offrir un « carré or » pour les concerts ou encore de manger des brochettes de poulet braisé en sirotant une Béninoise dans le « village vodun ». Tout a été pensé pour répondre aux standards internationaux. Dans les dédales de terre rouge qui habillent la ville, on entend parler français, fon, yoruba, créole haïtien et martiniquais, anglais, portugais… Le signe d’une communion afrodescendante qui se rallie autour d’un socle culturel et cultuel commun.
« Je viens au Bénin depuis une dizaine d’années, tout comme un musulman va à la Mecque, ou un chrétien se rend au Vatican, confie Georges-Emmanuel Germany, ancien bâtonnier de Martinique, intronisé prince et ambassadeur du royaume d’Allada par le Bénin. Je suis sur la Terre sainte d’Afrique pour me reconnecter à mes origines et à moi-même, car cela fait 300 ans que l’on nous enseigne le déni de notre propre humanité et de notre africanité en prétendant à un métissage, alors que nous sommes tous africains, revendique-t-il dans un apparat royal. Je viens faire un voyage de réparation et je constate que de plus en plus de frères de la diaspora sont aussi ici dans cette logique-là. »
Le vodun, première religion du Bénin
Dans le monde, ils seraient plus de 500 millions de fidèles (vodunsi). Malgré des statistiques en faveur du christianisme, le vodun est considéré comme la première religion du Bénin, pratiquée depuis des siècles avant d’être diffusée depuis Ouidah, l’un des principaux centres de vente et d’embarquement d’esclaves vers les Antilles françaises et le Brésil pendant la traite atlantique. Patrice Talon ne cache pas son ambition : faire de Ouidah une destination de pèlerinage spirituel pour doper l’économie du pays, à l’image de « The Year of Return » (l’année du retour), au Ghana.
« L’expansion des religions du livre, notamment le christianisme et l’islam, ont dépeint le vodun de manière tellement sombre que les Africains ont abandonné leur histoire et leur patrimoine au profit des religions importées. Ce n’est pas un drame puisque le monde est dynamique. Les communautés humaines adoptent d’autres modes de pensée et de résistance. Mais ce qui relève de notre identité doit pouvoir être préservé pour que les populations, dans le contexte de la communauté mondiale, puissent s’exprimer avec leur plein potentiel », a déclaré le chef de l’État devant un parterre de journalistes internationaux triés sur le volet au palais de la Marina.
Tourisme mémoriel
Les « Vodun Days » ne représentent qu’une étape du vaste programme axé sur le tourisme mémoriel qui verra le jour au troisième trimestre 2025. Orchestré par l’Agence nationale de promotion des patrimoines et de développement du tourisme (ANPT), cet ambitieux projet bénéficie d’une enveloppe d’un milliard d’euros (couverte à plus de 50 % par des fonds privés) pour la restauration et la mise en place d’un circuit vodun à Porto-Novo, lequel accueillera notamment son futur Musée international du vodun (MIV), ainsi que pour l’ouverture du Musée d’art contemporain de Cotonou (MACC), du Musée des rois et des amazones du Danxomè à Abomey, et de la Maison de la mémoire des esclaves dans l’ancien fort portugais de Ouidah, actuellement en rénovation. « On attendait la restructuration de cette célébration et tous ces projets culturels, car Ouidah est dotée d’un fort potentiel sur le plan touristique, grâce à ses vestiges de l’esclavage, sa position balnéaire, sa bande de terre bien entretenue, sa lagune préservée, etc. », reconnaît le maire de la ville.
Direction la plage, où s’érige, devant l’océan, la porte du non-retour. Face au monument mémoriel, une énorme scène a été installée pour accueillir, en cette veille de jour férié pour les Béninois, des artistes locaux (Jah Baba, Teriba, Pépé Oléka, etc.) et d’envergure internationale (la Nigériane Yemi Alade, le DJ haïtien Gardy Giraud, le Congolais Koffi Olomidé, etc.). Tous réunis, ils incarnent la vision panafricaine promue par l’exécutif à travers l’événement. Une dynamique que le chef de l’État assumera par sa présence, en fendant la foule, casquette vissée sur la tête, malgré l’heure déjà bien avancée dans la nuit. Au rythme du kompa haïtien du groupe Tabou Combo, escorté de son épouse et du ministre du Tourisme, de la Culture et des Arts (Jean-Michel Abimbola), Patrice Talon donne le ton.
Récupération politique
Si certains doutaient d’une apparition furtive, le chef de l’État leur a donné tort en rejoignant à nouveau les quelque 44 000 spectateurs au petit matin, soignant ainsi son image de président omniprésent et proche du peuple. Question symbole, rien n’est laissé au hasard. Et c’est ponctuel, à 19 heures tapantes, qu’il s’est rendu le lendemain à la grande cérémonie pour assister, en présence de dignitaires, hauts dignitaires, têtes couronnées et fidèles, aux différentes processions vodunsi. Bientôt, le maire de la ville de Ouidah est désigné pour poser la préoccupation du pays à soumettre au Fa. « Le Fa annonce du positif pour le Bénin cette année. Il dit que le président apporte beaucoup au pays et qu’il fait preuve de bonne volonté. » À la lecture de l’interprétation de l’année 2024 du Dieu ultime par le professeur Kakpo Mahougnon, il y a de quoi s’interroger sur la récupération politique de la cérémonie. Mais pour le professeur, également premier secrétaire parlementaire à l’Assemblée nationale du Bénin, il n’y a pas de débat. « C’est celui qui commandite la consultation qui la reçoit. » Au travers de cette célébration vodun, c’est aussi Patrice Talon – dont le mandat prendra fin dans deux ans – que les quelque 53 000 visiteurs ont célébré. Reste à voir ce qui perdurera de ce vaste chantier spirituel après sa présidence.
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