L’art contemporain, passion des grands patrons

Créé par des artistes volontiers transgressifs, l’art contemporain africain est plus souvent soutenu par de riches collectionneurs que par les États. Mais le public et le privé semblent complémentaires pour construire un marché en devenir.

La Marocaine Touria El Glaoui a créé la première foire d’art contemporain africain 1-54, à Londres, en 2013. © Montage JA; Javier Salas

La Marocaine Touria El Glaoui a créé la première foire d’art contemporain africain 1-54, à Londres, en 2013. © Montage JA; Javier Salas

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 1 mars 2024 Lecture : 4 minutes.

En 2022, la présentation des 26 trésors royaux d’Abomey restitués par la France au Bénin s’est accompagnée d’une vaste exposition présentant les travaux des artistes contemporains béninois. C’était là une volonté affichée du président Patrice Talon, qui a fait de la culture le fer de lance de sa politique volontariste, reprenant le flambeau que l’ancien président sénégalais Léopold Sédar Senghor avait laissé en déshérence. Pour autant, cette mise en avant des plasticiens contemporains n’est pas une idée neuve : elle vient couronner le travail d’un secteur qui, en une quinzaine d’année, a su se professionnaliser et acquérir une visibilité toujours plus large.

Au Bénin par exemple, une grande partie des artistes contemporains promus par l’exposition « Arts du Bénin d’hier et d’aujourd’hui, de la restitution à la révélation » et conduits à voyager à travers le monde (Musée Mohamed-VI au Maroc, Fondation Clément en Martinique, Cartoucherie en France métropolitaine) avaient déjà été exposés à de multiples reprises par la Fondation Zinsou, financée par l’ex-concurrent de Talon, l’homme d’affaires Lionel Zinsou, et pilotée par sa fille, Marie-Cécile. Au cours de la dernière décennie, ce sont en effet souvent les initiatives privées qui ont été à la pointe de la promotion de l’art contemporain africain.

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Une africanité revendiquée

Après le temps des polémiques, au cours desquelles nombre d’artistes du continent refusaient de se voir accoler l’épithète «africains », est venu le temps d’une revendication identitaire assumée – par ailleurs payante en termes de marketing. Même s’il existait déjà quelques foires d’art sur le continent, notamment en Afrique du Sud, la première à mettre en avant et à revendiquer l’africanité des créateurs à l’international a été la Marocaine Touria El Glaoui, avec la création de la foire d’art contemporain africain 1-54 en 2013. Une naissance à Londres, suivie d’une expansion à New York et Marrakech, qui ont permis une vaste promotion des plasticiens africains sur un marché de l’art dont ils étaient, jusque-là, en grande partie exclus. Touria El Glaoui a fait des émules, notamment en France avec la naissance d’une autre foire, dès 2016 : Also Known as Africa (AKAA) pilotée par la Franco-Américaine Victoria Mann.

Dans un même mouvement, parfois légèrement antérieur, parfois postérieur, des initiatives privées conduites par de grandes entreprises ou par de riches collectionneurs contribuaient à placer le continent sur la carte du marché de l’art. On citera parmi les précurseurs : le collectionneur franco-italien Jean Pigozzi, héritier Simca conseillé par celui qui est désormais galeriste, André Magnin ; le patron français de Blachère Illuminations, Jean-Paul Blachère ; l’époux d’Isabel Dos Santos, le Congolais Sindika Dokolo, décédé en 2020 ; le CEO français de Tilder, Matthias Leridon.

Plus récemment, ce sont l’ex-PDG de Puma et actuel patron de Harley Davidson, Jochen Zeitz, et le PDG d’Axian, Hassanein Hiridjee, qui ont investi en Afrique pour la promotion des artistes africains (et celle de leur propre image de marque, bien entendu). Hiridjee a ainsi créé la Fondation H, dotée depuis 2023 de superbes locaux d’exposition et de médiation à Tananarive. Quant à Jochen Zeitz, il est à l’origine de l’ouverture du Zeitz Mocaa de Cape Town, en Afrique du Sud, le plus important musée privé d’Afrique consacré à l’art contemporain.

Transgressif et déférent

Ce dernier est actuellement dirigée par la Camerounaise Koyo Kouoh, fondatrice du centre d’art Raw Material Compagny à Dakar, passée par l’organisation des forums de la foire 1-54, mais aussi par une vaste gamme d’événements culturels internationaux comme la triennale de photographie de Hambourg, la biennale EVA d’art contemporain d’Irlande, à Limerick ou, bien sûr, les rencontres africaines de la photographie de Bamako et la biennale de Dakar.

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Ladite biennale, portée par le Sénégal, sera cette année pilotée par Salimata Diop, qui fut, elle, directrice artistique de la foire AKAA. Cette perméabilité, dans le monde de l’art, entre le privé et le public, n’effraie par la jeune commissaire qui y voit plutôt une complémentarité : « C’est aussi grâce aux biennales de Dakar que le marché de l’art contemporain a pu se développer, dit-elle. Il y a sans doute, par exemple, une corrélation entre le succès de la biennale de 2016 et le fait que la galerie Cécile Fakhoury se soit installée dans la capitale sénégalaise. »

Petit milieu dynamique faisant fi des frontières, tant physiques que mentales, le secteur des arts plastiques est traversé de vives contradictions : à la fois porteur de valeurs et créateur de valeur, il est tantôt élitiste, tantôt populaire, simultanément transgressif et déférent, provocateur et consensuel. Les artistes africains dont on admire les œuvres – les El Anatsui, Barthelemy Toguo, Yinka Shonibare, Aboudia, Zanele Muholi… – doivent constamment faire le grand écart entre convictions profondes et lois du marché. Leur influence, néanmoins, est loin de se cantonner aux salles des musées – et certains l’ont bien compris.

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