Au Zimbabwe, entre Emmerson Mnangagwa et Grace Mugabe, tout est oublié…
Le chef de l’État cherche à se réconcilier avec celle qui fut pourtant son ennemie jurée : la veuve de Robert Mugabe, qu’il a chassée du pouvoir – en même temps que son président d’époux – en novembre 2017.
C’était en décembre dernier, en l’église catholique Saint-Gerard, dans la banlieue de Harare. Ce jour-là, le puissant vice-président du pays, Constantino Chiwenga, épouse la colonelle Miniyothabo Baloyi Chiwenga. La noce a lieu en présence du chef de l’État et de celle qui fut son ennemi jurée, Grace Mugabe, la veuve de l’ex-président.
« Vous êtes des nôtres ! »
Emmerson Mnangagwa en profite pour enterrer publiquement la hache de guerre. « L’histoire est l’histoire, lui lance-t-il. On ne peut pas la changer. Je suis heureux que vous soyez venue. Vous êtes l’une des nôtres. Ne pensez jamais que vous ne l’êtes pas. »
Cela fait pourtant des années que les deux entretiennent des relations compliquées. Elles se sont détériorées dans les mois qui ont précédé le coup d’État de novembre 2017, lorsque deux factions du parti au pouvoir, la Zanu-PF, se sont engagées dans un bras de fer sans merci. À l’époque, la première dame fait partie de la « Génération 40 » et elle est parvenue à agglomérer autour d’elle une partie des jeunes cadres de la Zanu-PF.
Ensemble, en 2014, ils ont « neutralisé » la vice-présidente Joice Mujuru, qui passait pour être une possible dauphine du vieux président. Emmerson Mnangagwa est le prochain sur la liste. La première dame se comporte en président bis, convoque les ministres, leur demande des comptes, et ne fait plus mystère de ses ambitions.
Contre Emmerson Mnangagwa, Grace Mugabe se déchaîne. Elle l’invective publiquement, ainsi que les généraux qui lui sont proches, lors de rassemblements de la Zanu-PF. Elle réclame sa tête et l’obtient. Limogé, le « Crocodile » doit prendre la fuite. Lorsqu’il revient d’exil, c’est pour prendre le pouvoir avec l’aide de Constantino Chiwenga.
Mugabe disparu, la querelle ne s’éteint pas
Robert Mugabe est mis hors jeu, mais la guerre entre les deux camps continue. Lorsqu’il prête serment comme nouveau président, Mnangagwa promet de rompre avec l’ancien régime, dont il est pourtant issu. Mugabe, lui, répète à qui veut l’entendre qu’il a été victime d’un coup d’État et conteste la légitimité de son successeur. À la veille de l’élection présidentielle organisée en 2018, il annonce même qu’il votera pour Nelson Chamisa, le candidat de l’opposition. Il s’éteint à Singapour, le 6 septembre 2019, après quatre mois d’hospitalisation et convaincu jusqu’à la fin d’avoir été « trahi ».
Mugabe disparu, la querelle ne s’éteint pas. Elle porte maintenant sur ce qui doit être la dernière demeure du défunt président. Mnangagwa veut qu’il soit enterré au National Heroes Acre, à Harare, tandis que Grace Mugabe souhaite qu’il repose dans son village natal de Kutama, à une centaine de kilomètres de la capitale. Elle obtiendra finalement gain de cause.
« L’unificateur »
Aujourd’hui encore, le président et l’ancienne première dame ont besoin l’un de l’autre, explique Ngonidzashe Marongwe, maître de conférences à l’Université du Grand Zimbabwe. « Pour Mnangagwa, il s’agit d’être perçu comme un unificateur, ce qui lui permet de consolider son pouvoir et d’essayer de réparer les vieilles fissures au sein de la Zanu-PF. »
« Pour Grace, il y a beaucoup d’intérêts à protéger, poursuit Ngonidzashe Marongwe. Elle n’a pas vraiment le choix, si ce n’est d’être perçue comme ayant pardonné à Mnangagwa et Chiwenga. C’est plus pour les caméras. »
De fait, le chef de l’État s’est appliqué à neutraliser ou à courtiser tous ceux qui étaient du côté des Mugabe ou qui lui étaient hostiles au sein de la Zanu-PF, l’idée étant de tuer dans l’œuf toute velléité contestataire. À cet égard, Grace constitue une prise de choix.
Ce n’est pas la première fois qu’elle et sa fille Bona participent à des événements officiels de la Zanu-PF depuis le coup d’État. En septembre dernier, elles ont assisté à l’investiture d’un Mnangagwa tout juste réélu à l’issue d’un scrutin entaché de fraudes massives, documentées par les observateurs de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). Quant à Robert Junior, le fils de l’ancien couple présidentiel, il avait apporté son soutien à Mnangagwa lors de la campagne et même fait campagne pour lui.
Fausse réconciliation ?
Les Mugabe lui ont-ils pardonné ? Mnangagwa s’efforce en tout cas de donner l’image d’un homme d’État à la fois indulgent et conciliant, même si la façade ne trompe personne, ainsi que l’explique l’universitaire Fidelis Duri, coéditeur du livre Mugabeism after Mugabe. « Il faut comprendre [ce rapprochement] dans un contexte plus large de consolidation du pouvoir, qui consiste à tendre la main à d’anciens ennemis et à prétendre se réconcilier avec eux », résume-t-il.
Et Grace Mugabe ? À en croire Fidelis Duri, ce sont des considérations économiques qui jouent. « Sa ferme laitière de Gushungo est en train de s’effondrer et a désespérément besoin de fonds et d’un marché fiable, que l’État peut en grande partie lui fournir. L’ancienne première dame souhaite également préserver ses intérêts commerciaux, dont la plupart dépendaient et dépendent encore de l’aide de l’État. »
C’est notamment le cas de son lycée, Amai Mugabe Senior, qui a souvent remporté des appels d’offres pour accueillir des événements organisés par des institutions liées au gouvernement. Sans compter qu’après la réforme agraire lancée au début des années 2000, Grace, tout comme de nombreux hauts responsables de la Zanu-PF, a par ailleurs obtenu 16 fermes. L’ancienne première famille possède également de nombreuses entreprises et propriétés à travers le pays.
Soit avec lui, soit contre lui
Sans le Zimbabwe de Mnangagwa, on est soit avec lui, soit contre lui. Les membres du G40, dont Jonathan Moyo, ancien ministre de l’Enseignement supérieur et membre du politburo de la Zanu-PF, Saviour Kasukuwere, Patrick Zhuwao (un neveu de Robert Mugabe) ou Walter Mzembi sont tous en exil.
Mnangagwa attend son heure, estime Daglous Makumbe, maître de conférences à l’université du Cap-Occidental, en Afrique du Sud. « Il n’a rien à perdre et sait que beaucoup d’entre eux finiront par le rejoindre », explique-t-il. Un dicton populaire au Zimbabwe veut qu’un membre de la Zanu-PF soit toujours… un membre de la ZANU-PF. En effet, une affiliation antérieure au parti au pouvoir rend difficile l’adhésion aux partis d’opposition zimbabwéens.
Rester à l’extérieur du pays en tant que réfugié politique pendant des années n’est pas aisé, reprend Makumbe. « Beaucoup de ceux qui sont en exil commencent à exprimer leur intention de rejoindre la Zanu-PF. En la matière, Jonathan Moyo a donné le ton en chantant les louanges de Mnangagwa et d’autres pourraient être tentés de lui emboîter le pas. »
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