Industries culturelles et créatives : quand les grands bailleurs s’y mettent

Conscients depuis longtemps de l’intérêt économique et social de développer le secteur, les financiers ne se sont intéressés que très récemment aux entrepreneurs de la culture. Pourquoi ?

Funke Akindele (assise au centre), entourée des cinq acteurs principaux de son film « A Tribe Called Judah ». © Montage JA; Facebook Funke Akindele

Funke Akindele (assise au centre), entourée des cinq acteurs principaux de son film « A Tribe Called Judah ». © Montage JA; Facebook Funke Akindele

QUENTIN-VELLUET_2024

Publié le 23 février 2024 Lecture : 4 minutes.

Le cinéma nigérian a démarré l’année 2024 en trombe. Pour la première fois de son histoire, un film produit par Nollywood – de surcroît réalisé par une femme – a engrangé plus d’un milliard de dollars de recettes. Réalisé par Funke Akindele et baptisé A Tribe Called Judah, il raconte le parcours de cinq frères résolus à mettre fin aux difficultés financières de leur mère en cambriolant un centre commercial.

Afreximbank et Proparco enfin mobilisés

Le succès local de ce long-métrage, qui dépasse de loin Battle on Buka Street, le précédent succès de Funke Akindele, est une preuve de plus pour le gouvernement, les bailleurs et l’ensemble de l’industrie du cinéma, que soutenir les secteurs créatifs peut aussi contribuer au rayonnement et au développement économique d’un pays. Dans les stratégies économiques des États, il est pourtant encore rare de lire de grandes ambitions en la matière.

la suite après cette publicité

Les outils d’aide à la décision ne manquent pourtant pas et ne datent pas d’hier. Dès 2005, la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles a souligné la nécessité d’intégrer les industries culturelles et créatives (ICC) dans les politiques de développement durable des États. « Au fil des années, différentes institutions onusiennes et bilatérales ont à leur tour produit des rapports qui ont permis de porter un plaidoyer auprès des décideurs politiques », explique Yacine Simporé, consultante indépendante spécialisée dans le capital-investissement et les industries créatives.

Il aura fallu attendre plus de dix ans pour observer les premiers projets concrets chez les bailleurs de fonds. En 2020, Afreximbank a mis en place une facilité de 500 millions de dollars dévolue au secteur local et aux entreprises créées par les diasporas. Elle a été élargie à un milliard de dollars en novembre 2022. La même année, Proparco, branche privée de la coopération française, a lancé le Creative Enterprise Action Fund (CREA Fund), une facilité de 6,5 millions d’euros, composée d’un volet consacré aux garanties (5 millions d’euros) et d’un autre créé pour l’accompagnement technique des entreprises (1,47 million d’euros).

L’IFC de la Banque mondiale allié à Sony

Plus récemment, IFC – branche privée de la Banque mondiale dont le dirigeant, Makhtar Diop, est personnellement très engagé dans la promotion des ICC – s’est allié au japonais Sony pour identifier les acteurs à accompagner dans le cinéma, les studios d’animation, les services de post-production, la mode, les sports et la technologie. « IFC et Sony travailleront ensemble pour identifier les investissements, en mettant particulièrement l’accent sur les start-up en amorçage et en phase de démarrage », indiquent les deux partenaires dans un communiqué. Selon nos informations, deux à trois transactions sont déjà en cours de finalisation.

Mais pourquoi ces grandes institutions de financement ont-elles attendu si longtemps pour accompagner des secteurs qui pèsent actuellement 4,2 milliards de dollars selon l’IFC ? Pour la Française Marie Lora-Mungai, fondatrice de la société de conseil Restless Global et spécialiste des ICC en Afrique, l’engouement relativement récent des investisseurs est le produit de deux facteurs.

la suite après cette publicité

D’une part, « ces deux ou trois dernières années, le monde a découvert de grands artistes anglophones ou francophones du continent qui se sont faits seuls et ont prouvé que leur activité pouvait générer d’importants revenus », explique celle qui accompagne les grands bailleurs comme la Banque mondiale, l’IFC ou l’AFD à mieux comprendre les ICC et à imaginer des mécanismes de financement adaptés. D’autre part, autour de 2013, le recalcul du PIB nigérian (passant de 270 à 510 milliards de dollars) a fait prendre conscience qu’une industrie comme le cinéma, comptant pour 1,3 % de la richesse nationale, était susceptible de fournir une contribution non négligeable à l’économie d’un État.

Le manque de données refroidit les investisseurs

La plus grande économie du continent reste néanmoins une exception. Ailleurs, les données sur le potentiel économique de ces industries continuent de manquer, ce qui refroidit les ardeurs des investisseurs, en quête perpétuelle de maximisation de leurs placements. « Les ICC sont des secteurs qui font encore face à de nombreux défis, comme la prédominance de l’informel, la jeunesse relative de ses entreprises qui ne peuvent souvent pas absorber des investissements en dette ou en capital et des enjeux de protection des droits d’auteur », explique Yacine Simporé.

la suite après cette publicité

Sur le plan financier, Marième Diop, directrice des activités technologies et fonds de l’IFC, reconnaît une inadéquation entre la taille des investissements que son employeur peut fournir et les besoins des entrepreneurs culturels : « Nous affûtons en ce moment notre thèse d’investissement et travaillons à des partenariats avec des acteurs sur le marché qui ont la capacité d’exécution et le financement adapté », explique l’investisseuse sénégalaise.

En juillet, l’institution a par exemple noué un partenariat avec Orange Bank Africa et Birimian Ventures – une société d’investissement dans la mode et l’artisanat local – pour faciliter l’accès au crédit à des « sociétés œuvrant au développement de l’industrie créative et culturelle ivoirienne », indiquent les deux entreprises.

Une solution potentiellement pertinente dans un contexte où « 99 % des activités se résument à des petites ou très petites entreprises qui enregistrent 100 000 à 600 000 dollars par an », conclut Marie Lora-Mungai.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires