Aux Jeux olympiques d’hiver de la jeunesse, trois « Rasta rockett » à la tunisienne
Ce lundi 22 janvier, trois jeunes tunisiens disputent les épreuves de bobsleigh dans le cadre des Jeux olympiques d’hiver de la jeunesse qui se déroulent à Gangwon, en Corée du Sud, du 19 janvier au 1er février. Une première pour la Tunisie où les chutes de neige sont rares.
En 1984, Jonathan Lourimi, Sophie Ghorbal et Beya Mokrani n’étaient pas encore nés mais l’athlète sénégalais Lamine Guèye leur traçait déjà la voie, ou plutôt la piste, en devenant le premier skieur d’Afrique subsaharienne à se qualifier pour les Jeux olympiques de Sarajevo. Une avancée de taille après les qualifications de l’Afrique du Sud, dès les années 1960, en patinage artistique.
Quatre décennies et une médaille d’or – remportée par Adam Lamhamedi, skieur alpin marocain – plus tard, trois jeunes Tunisiens se qualifient pour les Jeux olympiques de la jeunesse disputés en ce mois de janvier à Gangwon, en Corée du Sud. Tous les trois concourront en bobsleigh, un sport d’hiver qui se pratique en monobob pour les femmes ou en équipe de deux ou quatre pour les hommes. La discipline consiste à descendre une piste glacée dans un engin constitué d’un châssis en acier et d’un carénage, avec une quinzaine de virage et des vitesses pouvant atteindre jusqu’à 150 km/ heure. Un sport d’adrénaline mais aussi de précision qui a séduit les athlètes tunisiens, qui ne connaissaient pas du tout le bobsleigh avant de participer au programme.
Si les nations africaines sont de plus en plus présentes aux Jeux olympiques d’hiver pour adultes et pour la jeunesse, c’est une première pour la Tunisie. D’autant que Sophie Ghorbal et Beya Mokrani s’entraînent en grande partie à domicile, à Tunis, où elles résident. Jonathan Lourimi, lui, vit en Suède où la neige est plus fréquente. Un atout mais pas forcément un avantage sur les autres compétiteurs selon Ihab Ayed, premier Tunisien à avoir constitué une équipe de hockey sur glace tunisienne et militant pour le développement des sports d’hiver en Afrique.
« La revanche des pays du Sud »
« Au final, ce que montrent les athlètes africains à travers l’histoire, c’est justement que vivre dans un pays de neige et de montagne n’est pas forcément obligatoire pour accéder à ces sports. C’est un peu la revanche des pays du Sud sur le Nord, dans des sports souvent considérés élitistes », explique l’ancien hockeyeur, qui a suivi les athlètes tunisiens durant tout leur entraînement vers les Jeux olympiques. Une aventure qui rappelle forcément celle des athlètes jamaïcains – dont l’épopée a donné lieu à un film célèbre, Rasta rockett – qui avaient donné l’exemple en étant les premiers à venir se confronter aux spécialistes du bobsleigh dès les Jeux olympiques de Calgary, en 1988.
En ce qui concerne les jeunes Tunisiens, leur sélection s’est faite grâce à un programme de la PyeongChang 2018 Legacy Foundation après la tenue des Jeux olympiques d’hiver en Corée en 2018. Cette fondation a été créée par les ministères coréens de la Culture et des Sports, afin de continuer de promouvoir les sports olympiques à travers le monde et de rendre accessible les sports d’hiver aux jeunes âgés de 13 à 23 ans et venant de pays qui n’ont pas d’athlètes dans ces disciplines ni d’infrastructures pour les entraîner.
L’initiative a bénéficié du partenariat de l’Association des comités nationaux olympiques africains (ACNOA), et 50 athlètes africains ont été sélectionné. « J’ai été mandaté par le comité olympique tunisien pour trouver des candidats », explique Ihab Ayed qui a principalement utilisé des annonces sur les réseaux sociaux pour recruter les huit Tunisiens qui pouvaient participer au programme. « Les critères étaient simples, il fallait être un peu passionné, curieux, athlétique et prêt à suivre un programme intensif », ajoute-t-il.
Les huit jeunes se sont entraînés en Corée du Sud, où ils ont effectué des tests physiques et psychologiques. Puis est venue l’initiation à tous les sports d’hiver. Sophie et Beya, alors âgées de 13 ans et copines de collège, n’avaient jamais entendu parler du bobsleigh auparavant. « J’avais déjà fait des sports d’hiver en vacances avec mes parents mais ça s’arrêtait là », se souvient Beya, interviewée lors de son entraînement de renforcement musculaire à Tunis, quelques jours avant le départ pour Gangwon.
Financé par une fondation coréenne
Dès qu’elle touche à son premier bob, un engin dont le nom vient de l’anglais « bob » (osciller) et « sleigh » (traîneau), la vitesse de la descente sur la glace pentue, la concentration et la rage de gagner deviennent une addiction. Idem pour Sophie Ghorbal, qui cultivait surtout le rêve d’être la première tunisienne à gagner une médaille dans un sport d’hiver. « Mais ensuite je me suis passionnée pour le sport. Il y a beaucoup d’éléments qui interviennent dans le bobsleigh : la force, le physique, l’explosivité, mais aussi la concentration, le mental », explique Sophie qui admet qu’être avec sa camarade de classe pour s’entraîner constitue « un gros plus, on découvre tout ensemble, on se soutient aussi mutuellement dans les moments un peu durs ».
Après avoir été sélectionnées en vue d’une qualification aux Jeux olympiques, le programme d’entraînement, entièrement financé par la fondation coréenne, n’a pas toujours été des plus faciles. Lors des premiers essais aux États-Unis, les jeunes filles enchaînent les « crashs » selon le jargon du bobsleigh : « C’est-à-dire que le bob se retourne ou s’écrase sur la piste, et là, il faut se relever et continuer », explique Beya, « même quand ça se répète des dizaines de fois et que vous avez super froid et que vous n’en pouvez plus », ajoute-t-elle en souriant.
Garder la « grinta », la gniaque en dialecte tunisien, mais aussi arriver à suivre les cours : un équilibre exigeant pour les deux adolescentes. La Tunisie n’ayant pas de piste de bobsleigh, les jeunes filles alternent des entraînements de musculation et d’athlétisme au centre médical sportif de Tunis et les stages à l’étranger, soit 136 jours loin de chez elles pendant près de deux ans. « Les professeurs nous ont vraiment aidées avec les devoirs pour ne pas qu’on perde le fil », explique Sophie qui a aussi été soutenue par ses parents, tout le long.
« Je connaissais déjà le bobsleigh dont j’avais vu les épreuves à la télévision parce que c’est un sport très populaire en Allemagne, explique Carolin Ghorbal, la mère de Sophie, tuniso-allemande, mais quand j’ai vu ma fille en direct, descendre la piste à toute vitesse dans son monobob, c’est un autre sentiment, la peur mais aussi beaucoup de fierté. » Une fierté partagée par Ihab Ayed qui voit dans la qualification des trois jeunes un symbole pour toute une génération. « Très peu de pays ont leur propre piste de bobsleigh et pourtant beaucoup arrivent à produire des champions. C’est un vrai pas en avant pour encourager d’autres jeunes à aller vers ces sports », insiste-t-il. Les compétitions de bobsleigh sont actuellement dominées par les athlètes américains, allemands, canadiens et suisses avec quelques victoires françaises, belges et italiennes mais la Tunisie a déjà prouvé sa capacité à former des champions.
Les JO 2026 en ligne de mire
La génération de Beya et Sophie a ainsi été influencée par le parcours de la tenniswoman Ons Jabeur, première championne arabe et africaine à disputer des grands chelems et à remporter Roland Garros Junior en 2011 et un tournoi WTA avec l’Open de Madrid en 2022. Les victoires d’Ahmed Ayoub Hafnaoui, médaillé d’or en natation aux Jeux olympiques de Tokyo en 2020 et double champion du monde à Fukuoka en 2023 pour les épreuves de nage au 800 mètres et au 1 500 mètres ont aussi contribué à faire rêver les jeunes Tunisiens d’exploits sportifs. « Il faut leur prouver que c’est possible, démocratiser davantage différents sports dans le pays et aussi promouvoir une culture du sport et des valeurs olympiques », ajoute Ihab Ayed.
Beya et Sophie disputent l’épreuve du bobsleigh ce 22 janvier. Elles se sont envolées pour la Corée dimanche 14 janvier, « une semaine d’avance pour pouvoir s’entraîner un peu sur place », explique Sophie qui se dit confiante et motivée. Elle et Beya sont surtout focalisées sur la compétition à venir mais une question demeure : comment continuer à s’entraîner en vue d’une qualification pour les Jeux olympiques d’hiver adultes de 2026 ? Le partenariat coréen prend fin avec cette qualification et Sophie, Beya et leurs parents vont devoir financer l’entraînement des athlètes. « Sachant qu’un bobsleigh coûte dans les 50 000 euros, ça devient une question sérieuse, le grand défi va être de décider ce qu’il va se passer après ces Jeux olympiques », questionne la mère de Sophie.
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