« Les élections n’ont pas mis fin à la crise de légitimité de Tshisekedi »
Alors que le président Félix Tshisekedi est investi ce samedi 20 janvier pour un second mandat, le chercheur congolais Trésor Kibangula tire les grands enseignements d’un scrutin contesté.
L’ACTU VUE PAR… – Ancien journaliste à Jeune Afrique, Trésor Kibangula est aujourd’hui analyste politique à l’institut congolais de recherche Ebuteli. Depuis Kinshasa, il décrypte les résultats des élections générales du 20 décembre 2023 qui ont vu le président sortant, Félix Tshisekedi, l’emporter largement avec plus de 73,4 % des suffrages, selon les résultats validés par la Cour constitutionnelle.
Officiellement investi ce samedi 20 janvier au stade des Martyrs de Kinshasa en dépit des protestations de l’opposition quant au déroulé du scrutin, le chef de l’État peut également s’appuyer sur une confortable majorité à l’Assemblée nationale. L’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, le parti présidentiel) dispose en effet de près de 70 sièges à elle seule. Si l’on totalise les sièges de tous les partis se réclamant de l’Union sacrée, la majorité présidentielle, ou ayant soutenu la candidature de Tshisekedi à la présidentielle, le chef de l’État peut compter, sur le papier, sur plus des deux tiers des députés nationaux.
Jeune Afrique : Quels sont les principaux enseignements de la victoire de Félix Tshisekedi ?
Trésor Kibangula : Il est très complexe de séparer l’ampleur du score réalisé par le président des problèmes liés au processus électoral. En même temps, on doit reconnaître qu’il a réussi à distancer de manière très nette ses concurrents, malgré les irrégularités reconnues par la Commission électorale nationale indépendante [Ceni]. Il ne s’agit donc pas de remettre en cause sa victoire, mais peut-être son ampleur.
Les irrégularités constatées discréditent-elles l’ensemble du processus ?
Cela entache la crédibilité du score du chef de l’État. C’est une tâche noire sur sa victoire. La manière dont la Ceni a conduit ce processus ne l’aide pas à asseoir sa légitimité. Ces élections n’ont pas permis de mettre fin à la crise de légitimité qui frappe le sommet de l’État depuis vingt ans. En même temps, la dynamique de campagne imprimée par le chef de l’État a démontré qu’il se passait quelque chose autour de sa candidature.
Aurait-il fallu reporter les élections ?
Au vu de la situation, le 20 décembre, les élections ne pouvaient être que ce que l’on a constaté avec plus de 11 000 bureaux de vote qui, soit n’ont pas pu ouvrir, soit n’ont pas pu transmettre les résultats à la centrale, ou encore avec des problèmes sécuritaires.
À la décharge de la Ceni, la pression politique était telle, que tout report même technique aurait provoqué des tensions, donné à l’opposition des prétextes pour demander un dialogue politique, pour remettre à plat les institutions. La Ceni s’est retrouvée entre le marteau et l’enclume. Le pouvoir a, lui, maintenu son agenda, malgré les défis techniques, car ce n’était pas dans son intérêt d’ouvrir la porte à un dialogue et à un partage du pouvoir.
Au regard de ces difficultés, comment juger le taux de participation de 43 % ?
C’est le plus faible depuis 2006. À Kinshasa, c’est très difficile de trouver des bureaux de vote où le taux de participation a dépassé les 50 %. Cela aura des conséquences sur la légitimité du président. On a malgré tout pu constater l’engouement de la population pour aller voter. Il y a eu un tournant pendant la campagne.
Il y a un an, il y avait une forte démobilisation. Les gens n’y croyaient plus. Mais la dynamique de la campagne et le discours souverainiste du chef de l’État sur la sécurité dans l’Est, sur les risques d’infiltrations, ont mobilisé. Malheureusement, les contraintes techniques n’ont pas permis à tous les Congolais de voter.
Le discours souverainiste de Tshisekedi explique-t-il à lui seul sa victoire ?
La résurgence du M23, avec le soutien avéré de Kigali, l’a aidé à mobiliser, surtout à l’Est. Il a surfé sur cela. Il n’y a pas d’adhésion populaire à l’action du M23. Le président s’est présenté comme celui qui vient littéralement en découdre avec les rebelles et le Rwanda. Il a poussé très loin et très efficacement ce discours. Cela fait partie des éléments qui expliquent sa victoire.
Son bilan était mitigé, mais il y a quelques mesures dont les résultats se sont fait sentir, notamment la gratuité de l’enseignement. Il y a aussi la solidité de sa machine politique. L’Union sacrée est soutenue par des figures importantes, des gens influents dans chaque région, comme le vice-Premier ministre chargé de la Défense, Jean-Pierre Bemba, ou le ministre de l’Aménagement et du Territoire, Guy Loando Mboyo.
Enfin, le candidat Tshisekedi a démontré une capacité à se déresponsabiliser. L’échec de la pacification de l’Est ? La faute du Rwanda. Les couacs des premières années de son mandat ? Celle de Kabila. Aujourd’hui, il a tous les leviers. Donc plus d’excuses.
Quels sont ses principaux chantiers ?
Félix Tshisekedi est principalement attendu sur la question sécuritaire. Comment va-t-il décliner sa politique de défense pour éradiquer le M23 et les autres groupes armés ? Il a déclaré qu’à la moindre escarmouche, il pourrait déclarer la guerre au Rwanda. La population de l’Est attend la matérialisation de cette rhétorique. Or on semble repartir sur les mêmes bases, avec une sorte de sous-traitance des questions de sécurité.
Félix Tshisekedi bénéficie également d’une forte majorité à l’Assemblée nationale. Quels sont les grands gagnants et les grands perdants de ce scrutin ?
Le premier grand gagnant, c’est l’UDPS, qui a adopté la même stratégie que le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie [PPRD, l’ancien parti au pouvoir]. Le parti présidentiel s’est adjoint des sous-ensembles, ce qu’on appelle la mosaïque, pour rafler un maximum de sièges. Si on comptabilise tous les petits partis fabriqués par l’UDPS, on est autour de 130 députés. C’est une base importante pour peser dans les discussions avec les autres groupements de l’Union sacrée, notamment pour savoir qui va prendre la primature.
À l’inverse, avec en tout 20 députés, le score du Mouvement de libération du Congo [MLC] de Jean-Pierre Bemba est assez faible. Dans le cas de Vital Kamerhe, les résultats sont plus honorables. Mais on peut se demander quelles marges de manœuvre ces deux personnalités auront. Félix Tshisekedi devra réussir à rassurer ses alliés s’il ne veut pas qu’ils partent.
Comment expliquer les scores des trois principaux candidats de l’opposition, Moïse Katumbi, Martin Fayulu et Denis Mukwege ?
D’abord, comme pour le score du chef de l’État, on ne peut pas dissocier leurs résultats des irrégularités du processus.
Passé ce constat, on peut dire que l’échec de l’opposition s’explique par l’incapacité de ses leaders à créer un moment d’union, comme cela avait été le cas à Genève en 2018, quand Martin Fayulu avait été désigné. Malgré les désunions qui avaient suivi, les Congolais s’étaient reconnus dans le candidat commun de l’opposition. Cette fois-ci, face à une machine politique et dans un scrutin à un tour, il a manqué cet effet psychologique pour que le peuple croit en ses chances.
Le pouvoir avait fait le pari de la désunion en validant toutes les candidatures, en misant sur leur incapacité à s’entendre, ce qui s’est vérifié. Pire, les candidats de l’opposition ont passé leur temps à se taper dessus. En Afrique du Sud, les délégués de Martin Fayulu ont refusé de signer la déclaration finale. Il y a eu, par médias interposés, des insultes, des diffusions de rumeurs. Cela n’a pas permis à l’opposition d’émerger comme une force alternative.
Quel peut être leur avenir ?
La position de Martin Fayulu est la plus inconfortable car il n’est pas représenté à l’Assemblée nationale. En 2018, il avait au moins des députés qui prenaient la parole. Sa stratégie va peut-être le poursuivre. Il aura du mal à exister lors des cinq prochaines années.
C’est pourquoi, je pense que Moïse Katumbi n’aura pas d’autre choix que de permettre à ses députés de siéger. Tout au long de cette campagne, on a constaté un instinct de survie de l’élite politique congolaise. Les gens se sont positionnés pour exister. Si un dirigeant de parti politique fait l’erreur de dire à ses députés de ne pas siéger, beaucoup vont virer de bord.
Le grand défi de l’opposition reste la stratégie de la rue. Ils continuent à avoir du mal à mobiliser la rue. Leur seule option est de réussir à se mettre ensemble. Martin Fayulu et Moïse Katumbi appellent aujourd’hui à une manifestation, jour de l’investiture du président Félix Tshisekedi. Ce sera un autre test après la répression de la tentative de marche du 27 décembre 2023.
Joseph Kabila est resté silencieux tout au long de la campagne. Comment peut-il exister lors de ce deuxième mandat ?
En ne prenant pas part directement à ce processus électoral, il a d’une certaine manière échoué dans sa stratégie. Malgré le silence, il tablait sur le fait que les élections n’auraient pas lieu, ce qui aurait permis au Front commun pour le Congo [FCC] de se positionner dans un processus de dialogue. Ils ont beaucoup misé sur un report. Tshisekedi l’a compris. Il a tenu à organiser les élections le 20 décembre coûte que coûte.
Kabila va désormais revoir sa stratégie. Va-t-il s’afficher avec une rébellion armée ? Ou va-t-il tenter de jouer un rôle politique actif contrairement aux trois dernières années ? Sa stratégie reste illisible.
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