Hommage. Lahcen Zinoun, premier danseur étoile du Maroc
Pionnier de la danse classique au Maroc, il en fut le plus grand chorégraphe, en dépit des mœurs conservatrices et virilistes. Il vient de s’éteindre.
Le royaume a perdu son étoile.
Lahcen Zinoun, premier danseur de ballet marocain, considéré comme le plus grand chorégraphe du Maroc, est décédé ce mardi 16 janvier à Casablanca, à l’âge de 80 ans. Touche-à-tout, il était également un cinéaste reconnu et un artiste pluridisciplinaire, à la fois peintre et sculpteur. Son parcours de vie, jonché d’obstacles et semé d’épreuves, restera une véritable source d’inspiration pour toutes celles et tous ceux qui, un peu à la marge, anticonformistes, capables de sortir des sentiers battus, rêvent loin et grand en dépit des regards en biais.
Cet enfant de Hay Mohammadi, un quartier ouvrier de Casablanca d’où sont sortis les meilleurs artistes – notamment le groupe Nass El Ghiwane – est né en 1944, une période d’effervescence nationaliste contre le Protectorat français. Le quartier était alors aussi un patchwork culturel, où des tribus originaires des quatre coins du royaume venaient s’établir après avoir rejoint la cité ouvrière pour subvenir à leurs besoins. Si bien qu’au pas de sa porte, les jours de fête, de mariage ou de naissance, Lahcen Zinoun put découvrir, ébahi, le folklore marocain, et surtout la danse.
Trou de serrure
Plus tard, il franchit les limites de Hay Mohammadi et part explorer la Ville blanche. Un jour de 1958, attiré par une mélodie au piano, il pousse – sans trop savoir pourquoi – les portes du Conservatoire de Casablanca, où l’inscription est gratuite. « Obnubilé par le piano« , selon ses propres mots lors d’une interview fleuve accordée au magazine historique marocain Zamane, en 2020. Cinq mois plus tard, à la faveur d’un heureux coup d’œil indiscret à travers le trou d’une serrure, il aperçoit un élève en train de danser. Charmé, conquis, Lahcen Zinoun décide de s’inscrire en cours de danse classique, qui manque cruellement de garçons.
La famille ou le ballet
Adolescent, il passe la moitié de son temps entre l’usine, où il travaille, et le Conservatoire, dont il obtient le Premier prix en 1964. Jusqu’à ce que son père lui pose un ultimatum : « Sa famille ou le ballet. » Zinoun choisit la danse. Et au milieu des années 1960, grâce à une bourse, le jeune homme intègre le prestigieux Conservatoire de la Monnaie de Bruxelles, sur les conseils du chorégraphe Maurice Béjart. Il y devient le premier danseur étoile marocain et les représentations s’enchaînent à travers le monde. Un jour, une danseuse de l’Opéra de Paris lui confie que le roi Hassan II apprécie beaucoup la danse classique. Il n’en faut pas plus pour que Lahcen Zinoun se mette à rêver de faire de la danse classique une véritable discipline au Maroc.
« Nous sommes des hommes, des vrais »
Au début des 1970, avec son épouse, Michèle Barrette – également danseuse –, Lahcen Zinoun s’installe à Rabat afin d’enseigner au Conservatoire. Puis, en 1978, les époux fondent une école de danse et une compagnie, le Ballet-Théâtre Zinoun, qui forme de nombreux danseurs. En particulier leurs deux fils, Jaïs (lauréat du 1er prix de Lausanne en 1988) et Chems-Eddine, membre du Ballet du Nord en France. La compagnie « Zinoun », elle, se produit dans le monde entier : Hammamet, Lisbonne, Madrid, Paris, Amsterdam, Abidjan. Le style Zinoun ? La fusion du classique et des éléments de folklore marocain.
En 1986, consécration ultime, Lahcen Zinoun danse avec la Troupe nationale des arts traditionnels, soutenue par le ministère marocain de la Culture. La même année, coup double, Zinoun et sa troupe, en déplacement à Madrid, sont appelés en urgence à Rabat pour offrir une représentation à Hassan II et son entourage. Mais au beau milieu du spectacle, le souverain interrompt les danseurs et lance à Zinoun : « Nous sommes un pays d’hommes et de cavaliers, pas de danseurs. Nous sommes des hommes, des vrais. Je jure par Dieu que si tu touches encore au patrimoine, je déposerai plainte contre toi. Si tu veux faire quoi que ce soit, hors de mon pays ! » Un épisode traumatisant, qui marque Zinoun au fer rouge : « Tout était détruit en moi. J’aurais aussi bien pu disparaître. Tout ce que j’avais comme projet et vision était anéanti« , confiera-t-il à l’hebdomadaire TelQuel en 2021.
Le chemin qui mène à Dieu
Quand une porte se ferme, il y en a toujours une autre qui s’ouvre. Pour Lahcen Zinoun, ce sera celle du cinéma, qui lui permet de devenir chorégraphe pour de nombreux films, et non des moindres : La Dernière Tentation du Christ de Martin Scorsese, Un thé au Sahara de Bernardo Bertolucci, Les Beaux Jours de Shéhérazade de Mustapha Derkaoui, ou encore L’Ombre des pharaons de Souheil Ben Barka.
Jamais les deux pieds dans le même sabot, Zinoun décide à son tour de passer derrière la caméra en tant que réalisateur. Il tourne deux long-métrages : Flagrant Délire, en 1991, et plus récemment La Femme écrite (2013) avec l’actrice Fatym Layachi. En parallèle, il devient le chorégraphe des plus grands danseurs internationaux : Peter Van Dijk, André Leclair, Janine Charrat, Valentina Kozlova.
En 2021, il publie son autobiographie Le Rêve interdit et ambitionne jusqu’à ces derniers jours de réaliser son propre biopic, tout en continuant de plaider pour une valorisation des arts traditionnels et des artistes en général. Laisser une trace, graver une mémoire, était un désir. La danse et l’art, ses seuls exutoires, sont également le chemin pour le mener à Dieu.
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