« La Couleur pourpre » : un casting quatre étoiles, mais peu d’émotion
Le film du Ghanéen Blitz Bazawule, inspiré du livre d’Alice Walker, était très attendu. Mais, si les acteurs sont remarquables, le choix d’en faire une comédie musicale nous a laissés dubitatifs.
La Couleur pourpre a eu plusieurs vies : c’est, d’abord, un livre écrit par Alice Walker, prix Pulitzer en 1983, puis un film de Steven Spielberg, sorti en 1985 et nommé onze fois aux Oscars, puis une comédie musicale récompensée par de multiples Tony Awards et jouée plusieurs fois dans le monde entier. Le dernier avatar de cette œuvre à succès qui traverse les âges est encore une comédie musicale, cette fois signée Samuel « Blitz » Bazawule, également connu sous le pseudonyme de Blitz The Ambassador.
Le précédent Spielberg
Le long-métrage de Spielberg avait marqué un tournant dans la carrière de l’homme qui transformait en or tout ce qu’il filmait. Réalisateur de blockbusters comme Les Dents de la Mer, les deux premiers opus d’Indiana Jones ou encore E.T., il ouvrait un chapitre plus intimiste de son œuvre avec La Couleur pourpre. Il avait, dans un premier temps, refusé de se lancer dans ce projet parce qu’il ne se sentait pas la légitimité nécessaire pour traiter le destin des Africains-Américains dans le « Sud profond » des États-Unis. Il avait finalement consenti à s’engager, sur les instances d’Alice Walker… mais en se faisant rétribuer au salaire minimum.
Oprah Winfrey, Whoopi Goldberg, Danny Glover…
Le casting ressemblait à une dream team avant l’heure : Oprah Winfrey et Whoopi Goldberg y jouaient leur premier rôle, Danny Glover était au tout début de sa carrière, et la « légende » Quincy Jones composait la musique et figurait parmi les producteurs (il était déjà, entre autres, celui de Thriller, de Michael Jackson).
La Couleur pourpre cartonna au box office, mais, au-delà des chiffres, le film fut précurseur à plusieurs titres : les premiers rôles étaient essentiellement féminins et africains-américains ; il traitait de la violence conjugale, de la domination masculine, de l’inceste ; enfin, il mettait en scène deux femmes qui nouent une relation amoureuse. À l’instar de L’œil le plus bleu, le premier roman de Toni Morrison, cette image loin d’être lisse provoqua quelques réactions mitigées au sein de la communauté africaine-américaine, même s’il devint un classique.
Version musicale
Dans la version actuelle, qui prend la forme d’une comédie musicale, on retrouve Oprah Winfrey et Steven Spielberg, cette fois à la production. C’est le jeune réalisateur et artiste protéiforme ghanéen Blitz Bazawule qui tient la caméra. Le scénario est issu du roman d’Alice Walker, ainsi que du livret et des dialogues de Marsha Norman pour la partie spectacle.
Celie et Nettie sont sœurs. Celie est victime d’abus de la part de son père, avec qui elle a eu deux enfants. Ces derniers lui ont été arrachés à la naissance et ont été envoyés vers une destination inconnue. Cédée en mariage à « Mister », que précède une réputation de « diable », elle est maltraitée, et devient sa domestique et celle de ses trois enfants. Un soir, Nettie, que son père vient de tenter de violer, sonne à la porte de Mister. Ce dernier, qui la convoitait déjà, tente de l’agresser à son tour. Nettie est chassée en pleine nuit, sous l’orage. Elle promet à sa sœur de lui écrire chaque jour. Mais a-t-elle seulement survécu ?
On est à Broadway !
La saga se déploie de 1909 à 1947. La chanson introductive, « Les voies (et les voix) du Seigneur sont impénétrables », donne le ton et le thème du film. Les multiples rebondissements confèrent à l’intrigue un certain souffle épique, et l’interprétation des comédiens –jeu, chant, danse – est remarquable. On est à Broadway ! Fantasia Barrino, Taraji P. Henson, Danielle Brooks et Halle Bailey brillent dans un casting féminin quatre étoiles.
Mais dans la force de cette Couleur pourpre résident aussi ses faiblesses. Le parti pris d’en faire une comédie musicale atténue sa portée dramatique. Il arrive que juste après une scène triste les personnages chantent et virevoltent. Les émotions contradictoires se succèdent… et s’annulent les unes les autres. Parfois, c’est au sein d’une même scène que se situe le conflit des sentiments : la condition des travailleurs noirs dans les champs est si bien chorégraphiée et interprétée qu’on ne sait s’il faut swinguer ou pleurer sur le sort de ces personnes qui se cassent le dos en labourant la terre.
Révoltante injustice
Le moment le plus fort est celui où Sofia, une forte tête qui résiste à tous les hommes, y compris à son mari – un boxeur qu’elle a épousé en secondes noces –, refuse de devenir la gouvernante des enfants du maire. Pour appuyer son refus, elle balance à la femme de l’édile une gifle monumentale. Cette réaction de fierté se retourne immédiatement contre elle : un policier l’assomme d’un coup de matraque qui la marquera à vie. Emprisonnée, elle devient mutique, et, au sortir de sa longue incarcération, subit le terrible affront de devoir travailler pour celle-là même qui est à l’origine de son malheur. Filmée sans fard, l’injustice n’en est que plus révoltante, et la fatalité de la domination raciale blanche, criante.
La version musicale de La Couleur pourpre était très attendue, comme en témoigne le montant des recettes (18 millions de dollars) engrangées le jour de sa sortie, ce qui en fait le deuxième score de tous les temps au box-office de Noël, aux États-Unis. Mais les résultats ont dégringolé dès le lendemain, et la chute n’a fait que s’accentuer les jours suivants. Le mélange des genres – trop dramatique pour une comédie musicale, trop musical pour un drame – explique sans doute pourquoi, tout comme nous, les spectateurs n’ont pas été convaincus.
La Couleur pourpre, de Blitz Bazawule, avec Fantasia Barrino, Taraji P. Henson, Danielle Brooks, Halle Bailey. Sortie dans les salles françaises le 24 janvier 2024.
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