Crédit carbone : une mine d’or inégalée pour l’Afrique ?

Entre soupçons de greenwashing au seul bénéfice des Occidentaux et promesses de rentabilité sans pareille, le crédit carbone fait débat sur le continent.

Restauration d’une ancienne mangrove endommagée, sur la côte sud-ouest de Madagascar. © Jean-Philippe Delobelle / Biosphoto via AFP

Restauration d’une ancienne mangrove endommagée, sur la côte sud-ouest de Madagascar. © Jean-Philippe Delobelle / Biosphoto via AFP

Serge Éric Menye

Publié le 3 février 2024 Lecture : 4 minutes.

Sur le continent, l’utilisation des crédits carbone est à l’origine d’un vif débat entre défenseurs de l’environnement et dirigeants politiques. Les premiers y voient un outil de greenwashing au service des pollueurs occidentaux – des personnalités telles que Mohamed Adow, fondateur de Power Shift Africa, un groupe de réflexion sur le changement climatique, n’hésitant pas à évoquer l’idée d’un « loup déguisé en mouton » qui aggraverait les effets néfastes du changement climatique. Cette position est toutefois marginale. Les seconds sont persuadés des bénéfices inhérents au marché du carbone, à l’instar du président kényan, William Ruto, pour qui il constitue une « mine d’or économique sans précédent ». En effet, le changement climatique s’accélère, la demande de crédits carbone explose, et l’Afrique a besoin d’argent pour lutter contre le changement climatique et se développer.

Un marché en pleine expansion

L’histoire des crédits carbone remonte au protocole de Kyoto, en 1997. Cependant, c’est après l’entrée en vigueur de l’Accord de Paris, en 2015, que l’utilisation des crédits carbone a pris de l’ampleur. Ainsi sont nés deux types de marchés carbone : le marché réglementé et le marché volontaire. Dans le premier, les intervenants échangent des quotas d’émission, tandis que le second permet aux entreprises et aux gouvernements d’acheter des crédits carbone sur une base volontaire et, de cette façon, de compenser leurs émissions. Actuellement, le marché volontaire du carbone (MVC) vaut deux milliards de dollars. Sa valeur a quadruplé depuis 2020, selon Ecosystem Marketplace. Et, d’après le rapport de Shell-BCG, elle devrait atteindre, d’ici à 2030, 10 à 40 milliards de dollars. C’est précisément là que l’Afrique a une carte à jouer.

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D’une part, les projets de réduction et d’évitement permettent de diminuer les émissions. Cela se fait avec les énergies renouvelables, ainsi que d’autres technologies à basse teneur en carbone. L’évitement cible la source des émissions, en luttant contre la déforestation, et en soutenant des procédés moins carbonés. D’autre part, les projets d’élimination et de séquestration favorisent le retrait du carbone de l’atmosphère, à travers des programmes de reforestation, connus sous l’acronyme  « REDD+ », et la restauration des écosystèmes de séquestration, aussi bien dans les océans que sur les sols.

L’Afrique a urgemment besoin d’électricité et peut émettre des crédits en contrepartie d’un développement des énergies propres, ou en protégeant ses forêts, comme l’a fait le Gabon. Des entrepreneurs dans la fourniture d’alternatives à l’usage du bois peuvent plus aisément se financer. Les forêts africaines représentent la deuxième plus grande surface de forêt tropicale au monde et de vastes écosystèmes absorbeurs comme les mangroves. On sous-estime l’intérêt de cette période pour l’Afrique, et le président du Kenya a raison, lui dont la production d’électricité de son pays, à 90 % géothermique, a attiré une entreprise pionnière dans la capture du CO2, car le processus est énergivore.

Des préoccupations éthiques

L’Afrique a d’autres arguments quant à l’effectivité de la compensation, en raison de son faible risque de feux de forêt, au regard des flammes qui ont ravagé des projets de compensation en Amérique du Nord. Ensuite, deux tiers des États africains (37) sont des États côtiers, grignotés par l’érosion dans un contexte de forte progression démographique. Or, il se trouve que, là aussi, l’écologie financiarisée offre des opportunités pour la restauration des mangroves élevées en digues naturelles et en refuges écosystémiques pour les espèces. S’ajoutent les parcs nationaux et les réserves naturelles africaines qui préservent les animaux et leur environnement. Et, l’activité animalière quotidienne permet d’enfouir le carbone dans le sol. C’est d’ailleurs l’origine d’un accord signé en 2023 par la Tanzanie sur six parcs nationaux.

Cependant, il convient de prêter attention aux préoccupations éthiques, qui soulignent les risques pour les communautés rurales et un néocolonialisme environnemental. La population Masaï, expulsée de ses terres pour faire place aux touristes et aux riches chasseurs occidentaux et émiratis, est repoussée encore plus loin dans le cadre de projets dédiés à la compensation carbone. La République du Congo a vécu une expérience similaire pour un projet du pétrolier TotalEnergies. En 2023, les Émirats arabes unis ont signé un accord avec le gouvernement du Liberia, cédant pour 30 ans à la société Blue Carbon des droits exclusifs sur un million d’hectares de forêts, soit 10 % de la surface du pays. Blue Carbon toucherait 70 % des revenus des crédits carbone.

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Au prix d’un baril de pétrole

C’est là qu’intervient le rôle des États africains, qui ont la responsabilité d’œuvrer pour le bien de leurs populations et de la nature. Il leur incombe également de bâtir une architecture réglementaire. Le succès du marché carbone en Afrique dépendra de l’exactitude et de l’intégrité de la certification, notamment via des normes de qualité vérifiables par des tiers indépendants, pour le suivi et le contrôle des émissions liées aux projets carbone.

L’enjeu est de taille : les coûts d’adaptation et de développement en Afrique sont colossaux. Les États africains devront veiller au respect des réglementations internationales s’ils veulent optimiser le prix encore bas de leurs crédits carbone. C’est essentiel pour les augmenter. Les experts estiment qu’ainsi, le prix mondial du carbone pourrait atteindre 75 dollars la tonne d’ici la fin de la décennie, soit quasiment celui d’un baril de pétrole.

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