CAN 2024 : pour l’Algérie, one, two, three… petits tours et puis s’en va

Arrivée à la CAN en favorite de son groupe, la sélection algérienne s’est finalement fait sortir par la modeste Mauritanie après deux matchs nuls. Une immense déception et l’échec de trop pour le sélectionneur star Djamel Belmadi, dont le départ est annoncé ce soir.

Djamel Belmadi, lors du match de la CAN entre la Mauritanie et l’Algérie (groupe D), à Bouaké, le 23 janvier 2024. © KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Djamel Belmadi, lors du match de la CAN entre la Mauritanie et l’Algérie (groupe D), à Bouaké, le 23 janvier 2024. © KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Publié le 24 janvier 2024 Lecture : 5 minutes.

Arrivée en terre ivoirienne dans les habits d’un favori, l’Algérie est sortie par la petite porte en s’inclinant 1 but à 0 face à une modeste mais vaillante équipe de Mauritanie, qui n’était jusque-là pas répertoriée au bataillon des grandes nations du football africain. Le 23 janvier, jour de la rencontre, les Algériens ont désespérément attendu jusqu’aux dernières secondes du match ce petit but qui allait les sauver de l’humiliation, mais il n’est point venu  ; ni de Riyad Mahrez, qui n’était que l’ombre de lui-même, ni de Youcef Belaïli, trop brouillon et manquant visiblement de souffle, ni même de l’autre vétéran, Islam Slimani, trop nerveux pour être efficace devant l’imperturbable géant Babacar Niasse qui, du haut de ses presque deux mètres (1 m 96), veillait sur les buts mauritaniens comme une imprenable tour de guet.

Après la rencontre, certains des nombreux supporters algériens présents à Bouaké étaient furieux au point de tenter de pénétrer à l’intérieur de l’hôtel qui abritait les joueurs et le staff pour s’en prendre à eux. Il faut dire que cette équipe, à laquelle les pouvoirs publics avaient pourtant offert tous les moyens matériels, financiers et humains, n’a finalement tenu aucune des nombreuses promesses qu’elle faisait miroiter sur le papier. Ni spectacle ni résultats : une défaite, deux nuls et trois petits buts marqués en trois matchs.

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Tel est le triste palmarès affiché par des Fennecs, complètement transparents et presque aussi timides que l’animal dont ils portent le nom. Au terme des onze minutes de prolongation, c’est donc le plus logiquement du monde que le sifflet de l’arbitre a mis fin aux illusions des supporters et de tout un peuple qui s’accrochait à son équipe comme à un symbole d’espoir.

C’est la fin d’une époque, d’une génération marquée par un entraîneur qui a, certes, beaucoup donné au football algérien mais qui, pour bon nombre d’observateurs, n’aura pas su prendre ses responsabilités et partir dignement. Surtout à temps. Sur les réseaux sociaux, en un peu plus de quatre-vingt-dix minutes, le destin de Djamel Belmadi a fini de basculer : de « ministre du bonheur », comme il avait été surnommé après leur victoire en 2019, il est passé à « porte-malheur ». Dès le coup de sifflet final, il semblait clair que les heures du coach à la tête de la sélection nationale étaient comptés.

Le foot, deuxième religion d’État

Il faut dire qu’en Algérie, le football est le deuxième plat national après le couscous. On mange foot, on respire foot, on dort foot et on se réveille foot. Quand l’équipe nationale joue, tout le pays est au stade ou devant la télé. Le lendemain d’une rencontre, près de 45 millions d’experts et consultants analysent et dissèquent le match. Le football est la deuxième religion d’État après l’Islam, et de très grands moyens sont mis à la disposition des joueurs. On ne lésine pas sur la dépense, à commencer par le salaire du coach. Dans un pays ou le Smig est de 266 euros en moyenne, Djamel Belmadi est tout de même l’entraîneur national le mieux payé du continent avec la coquette somme de 208 000 euros par mois pour un salaire annuel à 2,5 millions d’euros. Alors, à ce tarif, et étant donné qu’il s’agit de l’argent du contribuable, les citoyens s’estiment en droit d’exiger un minimum de résultats.

Arrivé en 2018, Belmadi remporte la CAN 2019 en terre égyptienne et signe au passage un contrat en or massif qui court jusqu’en 2026. Il sera au sommet de sa gloire jusqu’à cette fameuse CAN 2022 organisée au Cameroun. L’Algérie, alors grande favorite de la compétition, est tenue en échec par la Sierra Leone (0-0) pour son premier match puis s’incline 1 à 0 face à la Guinée équatoriale avant de se faire étriller par la Côte d’Ivoire (3-1). Un revers et des défaites qui actent la fin d’une incroyable série d’invincibilité de 35 matchs.

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Depuis, c’est la dégringolade. Les cadres vieillissent, les talents s’émoussent et l’équipe n’arrive à renouveler ni son fond de jeu ni ses schémas tactiques. Petit à petit, c’est la personnalité du coach qui accapare les débats. Pour beaucoup, il est trop impulsif, trop susceptible et manque visiblement de sérénité. Ses relations avec la presse s’enveniment et les journalistes doivent apprendre à faire avec ses sautes d’humeur en conférence de presse. Pour beaucoup de consultants, cet état d’esprit a même fini par déteindre sur ses joueurs, soumis à trop de pression, et à qui il communique son stress. Djamel Belmadi est devenu « toxique », selon le mot d’un journaliste sportif.

« Tout va mal dans ce pays »

Consultant pour une chaîne de télévision sportive, l’ancien joueur international Ali Bencheikh me mâche pas ses mots et reproche aux responsables de la Fédération algérienne de football de n’avoir pas pris leurs responsabilités en 2021 en maintenant Belmadi et son staff en poste après deux échecs retentissants : élimination en match barrage de la Coupe du monde face au Cameroun et sortie au premier tour en Coupe d’Afrique des nations. « Ces responsables nous ont fait perdre cinq ans ! », s’est offusqué l’ancien milieu de terrain sur le plateau de l’émission où il officie.

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« Tout va mal dans ce pays. Pas seulement l’équipe nationale », rappelle sur son compte Facebook Abderrezak, militant politique. Sur les réseaux sociaux, cet échec est également l’occasion pour les langues de se délier. Pour rappeler que nombre de militants, dont des journalistes, croupissent encore en prison, que toutes les voix discordantes sont bâillonnées, que l’inflation est galopante, que les salaires stagnent, que l’huile, le lait, la pomme de terre et la semoule manquent souvent sur les étals des marchés, que des milliers de jeunes cadres quittent chaque année définitivement le pays, et que tout le monde est sous surveillance policière.

Dans la grisaille d’un quotidien morose et anxiogène, le football est souvent un exutoire, une thérapie de groupe. Lors des matchs du championnat national, les gradins sont souvent des tribunes politiques et sociales. Des milliers de jeunes scandent à gorge déployée ce qu’ils ne peuvent dire en public ou en privé. L’Algérie est éliminée ? Certes, c’est un coup dur pour le moral des troupes, mais c’est surtout un coup dur pour le gouvernement et le pouvoir en place qui viennent de perdre le seul ministre sur lequel ils pouvaient compter pour donner de temps à autre un peu de cette joie et de ce bonheur qu’ils peinent à donner au peuple.

Quant à Djamel Belmadi, son départ a été officiellement confirmé ce mercredi en début de soirée.

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