La sous-tarification de l’assurance santé au Cameroun, ce fléau méconnu
Chroniquement déficitaire depuis une décennie, du fait de la concurrence à laquelle se livrent les compagnies, cette branche interpelle désormais l’association des assureurs qui envisage une autorégulation.
Assurances : l’Afrique à un tournant décisif
Empreint des réflexes traditionnels du métier, le secteur, encore fractionné et composé d’entreprises familiales, est en train de se moderniser plus ou moins rapidement grâce à la démocratisation des smartphones. Encore faut-il que la réglementation suive.
Le marché camerounais de l’assurance santé a du plomb dans l’aile. À la fin de 2022, le résultat net d’exploitation de la rubrique « accidents corporels et maladie » – soit plus de 90% de l’assurance santé – enregistrait un record négatif, à -7,3 milliards de F CFA (-11 millions d’euros). Entre 2013 et 2022, il n’avait jamais franchi la barre de 6 milliards de F CFA. La perte consolidée sur cette période s’élevait à -44 milliards de F CFA (-67 millions d’euros). La cote d’alerte a été atteinte, au point de retenir l’attention des dirigeants lors de la dernière assemblée générale de l’Association des sociétés d’assurances du Cameroun (Asac), le 15 décembre 2023.
En cause principalement, la sous-tarification, qui consiste à vendre des polices en dessous de la prime nette de risque, devenue une plaie.
Clause d’ajustement
Le phénomène remonte à plus de dix ans, favorisé par la course aux contrats. « Les assureurs de l’espace [de la Conférence interafricaine des marchés d’assurance, Cima], pour un risque qu’ils savent déficitaire, se livrent une concurrence déloyale à base de sous-tarification, de reprise d’un portefeuille sans en connaître la statistique et même quand elle est connue, ils pensent pouvoir faire mieux avec une prime moindre que le précédent assureur », déplorait en 2017 Théophile Gérard Moulong, ancien dirigeant de la branche vie de Saham et président de l’Asac, dans un état des lieux de l’assurance maladie au sein de la Cima. « On assiste parfois à des propositions allant du simple au double lors des appels d’offres. Un moyen commode de tuer la concurrence pour rafler le marché, mais qui se retourne plus tard contre les initiateurs », observe un assureur local.
L’opération conduit inéluctablement à des régularisations en cours d’année, du fait de l’incapacité des compagnies à payer les factures le moment venu, compte-tenu de la consommation des assurés. Elles font alors jouer la clause d’ajustement contenue dans le contrat. « Si un client est assuré à un plafond annuel de 2 millions de F CFA et que sa consommation dépasse ce seuil en cours d’année, il y a fatalement nécessité de revoir sa prime », schématise notre assureur, tout en regrettant que cette revalorisation ne repose pas toujours sur une évaluation actuarielle du risque.
Les clients ne sont pas en reste. Incapables de payer davantage, ils multiplient des « casseroles » et migrent vers une nouvelle compagnie. À cela s’ajoute une dérive de consommation ou la fraude que constitue la substitution de l’assuré par un non-assuré – généralement un parent malade et non couvert –, qui grève les coûts des soins. « C’est la raison pour laquelle nous militons pour l’avènement de l’assurance santé universelle qui prendrait en charge les pathologies courantes, comme le paludisme, tandis que l’assurance serait à l’aise pour apporter le complément », poursuit notre interlocuteur.
Prix plancher
L’une des principales conséquences est la perte de crédibilité auprès des compagnies. Cela se traduit par la désaffection du marché de certains groupes, notamment des filiales de multinationales, qui ont pourtant développé leur propre réseau de structures sanitaires mais optent pour un courtier dans la gestion de l’assurance santé de leur personnel. « Ces intermédiaires ne sont pas exempts de reproche, dans la mesure où ils retiennent généralement une grande partie de la police par-devers eux », se désole un autre assureur sous couvert d’anonymat.
L’une des parades porterait sur l’autodiscipline au sein de la corporation. Longtemps attentiste, la commission santé de l’Asac peaufine ses propositions. L’une d’elles porterait sur l’élaboration d’un prix plancher en dessous duquel ne devrait pas descendre les offres des assureurs pour chaque appel d’offres. Tout comme il y a nécessité de revoir la clause d’ajustement dans les contrats, pour la rendre facilement applicable.
L’autre piste viendrait du Gabon voisin, où les autorités ont décidé de saisir le taureau par les cornes devant l’incapacité de la profession à s’autoréguler face au désastre. Logée au ministère de l’Économie et des Participations, la direction nationale des assurances de ce pays exige désormais que les compagnies répondant à des appels d’offres lui soumettent préalablement leurs offres pour validation du calcul de la prime avant leur transmission au client.
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