Boycott des ports marocains : Alger revient sur sa décision

Moins d’un mois après avoir interdit tout transbordement ou transit au Maroc, l’Algérie vire de bord. Un changement de cap étonnant.

Terminal 3 du port Tanger Med. © Tanger Alliance

Terminal 3 du port Tanger Med. © Tanger Alliance

Publié le 2 février 2024 Lecture : 4 minutes.

La volte-face est à peine assumée. Dans une lettre datée du 29 janvier, l’Association professionnelle des banques et établissements financiers (Abef) algérienne a informé les importateurs qu’il est désormais possible de « procéder à la domiciliation de toutes les opérations d’importation de produits, notamment ceux périssables, et en particulier les viandes, dont la date d’embarquement à bord des navires est antérieure au 10 janvier ». Dans la même correspondance, on apprend que l’Abef a été rendue destinataire d’un courrier émanant du ministère du Transport à ce sujet.

Pour comprendre la portée exacte du message, il faut remonter au 10 janvier. Ce jour-là, l’Abef met une note confidentielle, dont le contenu fuite dès le lendemain sur le site spécialisé maritimenews.ma. La missive rend compte de la décision des autorités algériennes d’interdire « toute opération de domiciliation pour les contrats de transport qui prévoient le transbordement et le transit via les ports marocains ».

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Avant l’entame de toute procédure d’importation, la note confidentielle a invité les banques de la place à s’assurer auprès des opérateurs que le transit ne faisait pas étape par les ports marocains. « Serait-ce la réponse du régime algérien à l’initiative royale, qui est de donner, aux pays du Sahel, accès à l’Atlantique [via le futur port de Dakhla] ? » s’interroge alors le site spécialisé. La mesure sonne en tout cas comme une preuve de plus de la défiance qui règne entre les deux voisins. Autant dire que le revirement du 29 janvier détonne.

Cercle vicieux

« Les décisions du 10 et du 29 janvier rentrent toutes les deux dans le cadre de la politique d’hostilité contre le Maroc », assure à Jeune Afrique l’activiste algérien, Oualid Kebir. Une hostilité qui a connu son point culminant en août 2021, avec la rupture totale des relations diplomatiques avec le Maroc, décidée unilatéralement par l’Algérie. Plus récemment, Alger a manifesté son mécontentement à l’égard des pays du Sahel qui ont répondu positivement à la proposition marocaine de leur offrir une interface atlantique.

Fondateur de l’Association maghrébine pour la paix, la coopération et le développement et très impliqué dans le difficile rapprochement entre les deux pays, Oualid Kebir ajoute que « l’utilisation de la carte du boycott laisse penser que le régime algérien est en train d’imposer des sanctions sur le Maroc », mais que la décision initiale du 10 janvier « résulte d’abord d’un faux calcul qui ne prend pas en compte les répercussions sur l’économie algérienne ». S’agissant du donneur d’ordre, l’observateur ajoute : « Il apparaît à première vue que c’est l’Abef qui donne des instructions aux opérateurs économiques. En vérité, ce sont les militaires qui décident – par le biais du ministère de la Défense nationale – de tout ce qui touche de près ou de loin aux rapports avec le Maroc, et principalement aux pressions à exercer sur le royaume dans le dossier du Sahara. »

Habitué à ne pas mâcher ses mots, Oualid Kebir qualifie la décision de « débile ». « Ça a affecté en premier lieu les importateurs, avant d’avoir un retour négatif sur le pouvoir d’achat du citoyen algérien », rapporte-t-il, tout en rappelant l’augmentation du prix du fret au niveau mondial à partir du 1er janvier, conséquence de la situation d’instabilité en mer Rouge. Pour lui, le rétropédalage du 29 janvier ne constitue pas un retour complet sur la décision initialement prise. Dans le fond, « il s’agit d’une dérogation spéciale concernant les transactions via les ports marocains, uniquement pour les importateurs algériens de produits périssables ayant fait des commandes avant le 10 janvier », nuance-t-il.

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Incontournable Tanger Med

Pour autant, le réajustement « prouve que la décision du 10 janvier était purement politique, et irréfléchie d’un point de vue économique », juge celui qu’il n’exclut pas un recul définitif sur cette question, « si les dégâts s’avèrent être plus importants sur les frais de port ». Oualid Kebir compare ce rebondissement à la récente prise de bec entre Alger et Madrid après le changement de position espagnole sur la question du Sahara. « Ils [les Algériens] ont suspendu l’accord gazier avec l’Espagne, et ont rappelé l’ambassadeur à Madrid, mais ils ont fini par rétablir la relation bilatérale. »

Autre aspect de cette animosité, exprimée cette fois-ci dans le domaine maritime : la place occupée par Tanger Med dans l’ouest de la Méditerranée. « Un port incontournable, de dimension mondiale, connecté à tous les continents, et qui bénéficie de l’appui de grandes compagnies maritimes », relève notre interlocuteur. Qui poursuit : « Ce qui lie les deux pays sur le plan commercial, c’est Tanger Med, et rien d’autre. Il assure le dispatching des conteneurs algériens de différentes provenances, puisque l’Algérie n’a pas pu construire un port doté d’une capacité similaire. »

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La décision du boycott peut ainsi être interprétée comme une tentative de faire pression sur le grand terminal portuaire. « Mais dans les statistiques de Tanger Med, les transactions algériennes ne sont qu’une goute d’eau dans l’océan », minimise l’observateur.

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