Comment la rareté du dollar enfonce encore un peu plus l’Égypte dans la crise

Cafés Starbucks fermés, magasins The Body Shop pliant boutique… Les Égyptiens voient concrètement les effets de la crise et certains experts se demandent comment le plus peuplé des pays arabes remboursera sa dette alors que les dollars manquent.

Un homme passe devant un magasin de change affichant un billet de banque géant en dollars américains, dans le centre du Caire, le 3 novembre 2016. © KHALED DESOUKI / AFP

Un homme passe devant un magasin de change affichant un billet de banque géant en dollars américains, dans le centre du Caire, le 3 novembre 2016. © KHALED DESOUKI / AFP

Publié le 1 février 2024 Lecture : 3 minutes.

Les billets verts sont désormais quasiment introuvables en Égypte. Ceux qui parviennent à s’en procurer les trouvent sur le marché noir à un taux inédit : plus de 70 livres égyptiennes pour un dollar, contre près de 31 au taux officiel affiché par les banques qui, la plupart du temps, refusent de céder des dollars à leurs clients. Les investisseurs « qui dépendent d’approvisionnements en dollars […] ne pourront pas continuer », prévient l’économiste Mohammed Fouad. Le groupe koweïtien Alshaya a été le premier : il a annoncé réduire le nombre de ses enseignes en Égypte, où il tient notamment Starbucks, The Body Shop ou encore Debenhams.

Les particuliers, eux aussi, sont bloqués. Les limites de paiement en dollars n’ont cessé de se réduire : moins de 100 dollars, c’est aujourd’hui le maximum d’espèces qu’un Égyptien peut retirer à l’étranger. Ou le maximum qu’il peut payer en ligne vers l’étranger avec un compte dans une banque égyptienne. L’unique moyen de voyager est donc soit d’acheter son billet en ligne en monnaie locale via la compagnie aérienne nationale, soit de l’acheter en espèces dans une agence de voyage. Pour ceux qui n’ont pas de carte de crédit – mais uniquement de débit –, tout paiement en ligne vers l’étranger est interdit, même un abonnement Netflix pourtant à prix réduit en Égypte : moins de trois dollars.

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Une situation de plus en plus critique

Dans un pays où quasiment tout est importé, acheter une voiture, par exemple, est hors de portée pour la classe moyenne. En 2022, au début de la dévaluation, les Égyptiens achetaient déjà dix fois moins de voitures que les Français – dont la population n’équivaut pourtant qu’à deux tiers de celle de l’Égypte. Si deux tiers des 106 millions d’habitants sont pauvres ou au seuil de la pauvreté, l’inflation à 35 % et la dévaluation touchent aussi jusqu’au plus haut niveau de l’État.

La dette extérieure a explosé à 164,7 milliards de dollars. Son seul service en 2024 s’élève à 42 milliards de dollars et l’Égypte est désormais le deuxième pays le plus à risque de faire défaut de sa dette, juste derrière l’Ukraine en guerre. JP Morgan sortira le 31 janvier l’Égypte de son index des obligations d’État des marchés émergents, notamment pour « des difficultés en termes de liquidités en devises rapportées par des investisseurs ».

L’agence Moody’s juge désormais « négatives » les perspectives de l’économie égyptienne, entre « pénuries de devises », « confiance des consommateurs fragilisée » et « emprunteurs de moins en moins capables de rembourser leurs crédits ». Le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, a récemment expliqué dans un discours que l’État dépensait trois milliards de dollars par mois pour des produits de base tels que la nourriture et l’énergie. « Nous fournissons des services au peuple égyptien en livres égyptiennes et [nous] devons les payer en dollars », a-t-il expliqué.

Des solutions à trouver

Pour James Swanston, analyste chez Capital Economics, la situation empirera si l’Égypte n’adopte pas « un taux de change complètement flottant couplé à un contrôle strict de la politique financière ». Sans cela, le pays sera « encore plus à risque de faire défaut de sa dette ». James Swanston imagine deux étapes. D’abord, ce que tous les Égyptiens redoutent : une nouvelle dévaluation à 40 livres pour un dollar. Puis, « l’adoption d’un taux de change flottant » – ce que Le Caire promet au Fonds monétaire international (FMI) depuis des années.

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Mais, nuance Mohammed Fouad, « dans l’immédiat, l’État a intérêt à la stabilité car il est le plus gros débiteur en dollars et serait donc le plus affecté par une hausse du prix » du billet vert. « À court terme, je suis certain que l’Égypte remboursera ses créances, mais si la situation actuelle persiste, avec une dette qui augmente et une croissance économique incapable de compenser, alors il faudra s’inquiéter », poursuit cet ancien député.

Pour les experts, les raisons de s’inquiéter s’accumulent : les rentrées en devises du tourisme sont en baisse depuis des années et les attaques des rebelles Houthis du Yémen en mer Rouge et dans le golfe d’Aden font désormais baisser les revenus en dollars du canal de Suez. Pire encore, les envois d’argent des travailleurs égyptiens à l’étranger – le double de ces deux secteurs combinés – ont baissé d’environ 30 % au premier trimestre 2023-2024.

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Pour James Swanston, il faut un nouveau prêt du FMI pour « rassurer les investisseurs, relancer le marché obligataire égyptien et contribuer à réduire les taux d’intérêt sur la dette ». Et cela « semble de plus en plus probable » maintenant que le FMI a finalement envoyé une délégation pour les premières évaluations du prêt de trois milliards de dollars accordé fin 2022, selon les médias égyptiens.

(avec AFP)

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