Carnaval de Rio : retour aux sources africaines de la samba

Origines religieuses pour certains, danse collective pour les autres : d’où vient le nom « samba » ? Plus de cent ans après l’invention du genre, le débat persiste parmi les historiens. Décryptage, à l’occasion du 184e carnaval de Rio, qui débute ce 9 février. 

Des membres de l’école de samba Vila Isabel lors du défilé du carnaval de Rio (Brésil), en avril 2022. © William Volcov/Shutterstock/SIPA

Des membres de l’école de samba Vila Isabel lors du défilé du carnaval de Rio (Brésil), en avril 2022. © William Volcov/Shutterstock/SIPA

Publié le 9 février 2024 Lecture : 4 minutes.

« Les Afriques que j’ai recréées, résister c’est la loi/ L’art est une rébellion », chantaient en 2023 les membres de Mangueira, l’une des plus prestigieuses et anciennes écoles de samba de Rio de Janeiro (Brésil), lors de son défilé du carnaval. Car, ce n’est un secret pour personne, la samba s’inspire des danses et des rythmes africains, importés par les esclaves au cours des quasi quatre cents ans de traite négrière. Mais comment et pourquoi le nom « samba » ? Plus de cent ans après les débuts de ce style musical, devenu au fil des années le porte-étendard du Brésil dans le monde, le débat n’est toujours pas tranché. 

De semba à samba, il n’y a qu’un pas

Hypothèse la plus répandue, celle selon laquelle le mot samba serait dérivé de « semba », lui-même issu de la langue kimbundu, parlée en Angola. Le mot désigne une « umbigada », c’est-à-dire un « coup de nombril » par lequel les esclaves s’invitaient à danser. Mais le mot samba pourrait également désigner une prière émise par les esclaves lors des batuques, des rassemblements à la fois festifs et religieux, au cours desquels ces derniers demandaient la fin de leur asservissement et de leurs souffrances. 

la suite après cette publicité

« Il y a l’histoire du mot, et puis il y a l’histoire de la pratique, et les deux sont un peu mêlés », explique Anaïs Fléchet, historienne à l’université Paris-Saclay. « La samba apparaît au départ dans la région du Recôncavo, près de Salvador de Bahia, qui était la grande région des plantations de canne à sucre, et donc une des principales régions d’importation des esclaves africains. Et dans ce contexte se sont développées les batuques. »

Certains éléments laissent à penser que le mot tiendrait davantage de l’aspect religieux. « On retrouve ce “coup de nombril” bien plus fréquemment dans d’autres pratiques, comme le jongo ou le tambor de crioula [d’autres danses afro-brésiliennes]. Mais ces pratiques n’héritent pas du nom de samba », détaille Mauricio Barros de Castro, historien à l’Université de l’État de Rio de Janeiro (UERJ). 

Un ami nommé Samba 

Samba, c’est aussi et surtout un prénom répandu dans les langues bantoues, parlées dans une vingtaine de pays de la moitié sud de l’Afrique. Et si c’était un esclave nommé Samba qui avait donné son nom à la musique qui fait danser le monde entier ? C’est la théorie de Salloma Salomão Jovino Da Silva, musicien et historien, chercheur associé à l’Université de Lisbonne. « En examinant les registres du trafic d’esclaves, j’ai trouvé entre 250 et 300 personnes avec le nom de Samba ou de ses dérivés : Sambi, Sambu, Sambaiba… raconte-t-il. Par ailleurs, on retrouve les mots Sambo aux États-Unis, ou zambo en Amérique hispanophone, où ils sont considérés comme étant des termes à connotation raciste. »

Le prénom Samba, et ses variations, aurait donc été présent parmi tous les esclaves des Amériques. D’où l’idée avancée par Salloma Salomão Jovino Da Silva : « Il est probable qu’au Brésil, une personne nommée Samba ait organisé des rassemblements mêlant des Noirs libres et des Noirs réduits en esclavage. Et quand le public ou les autorités s’y rendaient, elles disaient : « Allons au samba [en portugais, le nom est masculin]. »

Une danseuse de l'école de samba Unidos da Tijuca à l’occasion de la première nuit du défilé du carnaval, à Rio de Janeiro (Brésil), le 20 février 2023. © MAURO PIMENTEL/AFP

Une danseuse de l'école de samba Unidos da Tijuca à l’occasion de la première nuit du défilé du carnaval, à Rio de Janeiro (Brésil), le 20 février 2023. © MAURO PIMENTEL/AFP

la suite après cette publicité

Le nom serait donc ensuite resté pour désigner  la danse et la musique elles-mêmes. Pour autant, l’historien ne rejette pas non plus l’hypothèse religieuse. « Au XIXe siècle, l’ethnologue allemand Leo Frobenius identifiait une divinité nommée Samba, vénérée dans la région du delta du Niger. […] Il est donc aussi possible que les personnes se rendaient à ces événements pour lui rendre hommage. »

Réappropriation culturelle

Malgré ses origines indéniables, l’africanité de la samba n’a pourtant pas toujours été mise en valeur. « À partir de la fin du XIXe siècle et l’abolition de l’esclavage en 1888, les esclaves du Nordeste migrent vers les grandes villes du Sud, comme São Paulo et Rio de Janeiro, alors capitale du pays [Brasilia ne devient la capitale qu’en 1960]. C’est en arrivant à Rio que la samba se transforme musicalement, chorégraphiquement, en se mélangeant aux rythmes des danses de salon européennes », relate Anaïs Fléchet.

la suite après cette publicité

« La samba, qui était vue par les élites comme quelque chose venant des Noirs africains, et donc de barbare, va alors devenir le produit de la culture de masse brésilienne, que ce soit par l’intermédiaire du carnaval, de la radio, et, plus tard, du disque. Mais ce phénomène de nationalisation passe aussi par l’idée d’un blanchiment. On ne va pas mettre en avant uniquement le côté afro-brésilien mais le côté métissé de la musique », poursuit la chercheuse. 

Il faudra attendre les années 1960 pour que les écoles de samba, influencées par l’émergence des mouvements noirs, se réapproprient leur héritage africain. Mais entretemps, la samba, érigée par les dirigeants brésiliens comme symbole de leur pays  à l’international, trouve un écho sur sa terre natale, en Afrique. « Dans les années 1940, par exemple, la radio nationale angolaise diffusait beaucoup de samba, détaille Mauricio Barros de Castro. De nombreux Angolais anticoloniaux se sont alors rendus compte qu’eux aussi avaient besoin d’un style musical qui soit reconnu comme typiquement angolais. Ce qui était très contestataire à l’époque, puisque c’était une manière de lutter contre l’assimilation portugaise », continue le chercheur brésilien. Le plus fameux d’entre eux : le groupe N’gola Ritmos. Originellement appelé Os Sambas, le groupe œuvrera à la diffusion d’un style musical appelé… le semba. Une manière de boucler la boucle ?

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Pelé, l’Africain qui s’ignorait

Contenus partenaires