États-Unis et Maroc, deux armées main dans la main
Du 29 janvier au 2 février, les états-majors marocain et américain se sont réunis pour organiser la 20e édition de l’exercice African Lion, qui se déroulera au mois de mai dans le royaume et regroupera des troupes de dix pays. L’occasion de rappeler que pour Rabat et Washington, la coopération militaire est loin d’être récente.
Le 31 janvier s’ouvrait à Marrakech une session de l’Initiative de sécurité contre la prolifération (PSI) des armes de destruction massive (ADM) sous l’égide des États-Unis et du Maroc. Au même moment ou presque, des représentants des états majors marocain et américain discutaient de l’organisation de la 20e édition de l’exercice conjoint African Lion, prévu du 20 au 31 mai 2024 dans les régions d’Agadir, Tan-Tan, Mehbes, Tata, Kénitra, Ben Guerir et Tifnit. Des événements auxquels on peut ajouter les visites régulières de responsables sécuritaires et militaires des deux pays, qui se sont multipliées ces derniers mois.
L’impression qui se dégage de ce dialogue permanent est celle d’une collaboration militaire ininterrompue entre Rabat et Washington. Que l’histoire ne fait que confirmer, révélant des relations plus de deux fois centenaires entre les armées des deux pays, puisqu’elles remontent à 1786. À cette époque, le sultan Mohammed ben Abdallah fait un premier pas en direction de la toute jeune république américaine – l’indépendance ne datant que du 4 juillet 1776 – : il reconnaît les États-Unis d’Amérique et accorde à leurs navires un libre accès aux ports du Royaume chérifien. Dans la foulée, un traité est signé entre Thomas Jefferson, John Adams et le souverain alaouite. L’amitié entre le Royaume et la République ne va dès lors plus se démentir.
Opération Torch
Il faut toutefois attendre presque deux siècles pour assister à l’événement militaire le plus spectaculaire de l’histoire conjointe des deux nations, qui se déroule en pleine Seconde Guerre mondiale. En décembre 1942, l’attaque japonaise sur Pearl Harbour précipite les États-Unis dans le conflit, alors qu’ils se contentaient, jusqu’à présent, d’apporter une aide matérielle et logistique aux Britanniques et aux Soviétiques. Quant au Maroc, sous protectorat français, il est contrôlé par les représentants du régime collaborationniste de Vichy. Mais il ne va pas rester bien longtemps à l’égard des combats.
Plus à l’est, en Égypte et surtout en Libye, les troupes britanniques – épaulées par des régiments du Commonwealth venus, notamment, d’Inde, d’Australie et de Nouvelle-Zélande – affrontent le fameux Afrikakorps allemand et ses alliés italiens. Pour les nazis, l’Afrique du Nord a une vraie importance stratégique. Elle permet de contrôler la Méditerranée et l’accès au Canal de Suez, mais aussi de protéger le flanc sud de l’Axe, c’est-à-dire les côtes italiennes. Hitler aimerait aussi mettre la main sur le pétrole du Proche-Orient, ses armées ne pouvant compter pour s’approvisionner que sur les gisements de Roumanie et sur le carburant de synthèse produit par les usines allemandes.
Les Alliés, quant à eux, hésitent. Certes le pourtour méditerranéen les intéresse pour les mêmes raisons, mais l’allié soviétique les presse de débarquer le plus rapidement possible en Europe de l’Ouest, afin d’obliger l’Axe à déplacer une partie de ses troupes vers la France et ainsi à relâcher un peu la pression exercée sur le front russe, en particulier à Stalingrad. Roosevelt et Churchill débattent longuement du sujet, sous la pression constante de Staline qui, à l’époque, affronte l’essentiel des troupes de la Wehrmacht. Après de longues discussions, c’est pourtant l’option africaine qui l’emportera, avec le lancement de l’opération Torch, fin 1943.
C’est la Western Naval Task Force sous le commandement du contre-amiral Hewitt qui supervise le débarquement américain au Maghreb. Initialement prévu en octobre 1942, il est retardé pour cause de météo défavorable. C’est finalement le 8 novembre qu’amenés par 850 navires, quelque 110 000 soldats prennent pied sur les rivages marocains. Ils vont se répartir sur trois sites – Fédala, Port-Lyautey (Kénitra) et Safi – pour converger ensuite vers Casablanca.
Potentiel géostratégique
« Au Maroc, les États-Unis ont bénéficié des droits d’exterritorialité, les consuls pouvant ainsi librement circuler sur le territoire », détaille l’historienne Christine Levisse-Touzé dans L’Afrique du Nord dans la guerre, 1939-1945 (Albin Michel, 1998). En quelques jours, les Américains ont le dessus sur les forces françaises fidèles à Vichy. Ils font dès lors de l’Empire chérifien, une base-arrière de leur effort de guerre contre le IIIe Reich. Vingt jours après le débarquement des forces armées américaines, ce sont quelques 65 000 fantassins qui sont stationnés à Casablanca, Agadir et Marrakech. Ce n’est que le début. Les Américains vont très rapidement réaliser le potentiel géopolitique et géostratégique d’un Maroc à califourchon entre l’océan Atlantique et la mer Méditerranée avec une vue imprenable sur le détroit de Gibraltar, seul accès naturel vers la Mare Nostrum.
Trois bases aériennes assurent, par ailleurs, le contrôle des airs : la base de Sidi Yahya, celle de Kénitra (anciennement Port-Lyautey) et enfin celle de Bouknadel. Les aéronefs américains peuvent de cette manière se projeter sur toute la zone des Canaries. Mais pas uniquement, car c’est tout le trafic naval entre l’Europe et l’Afrique subsaharienne qui est ainsi sous le contrôle de l’US Air Force (USAF). « Les bases américaines au Maroc ont joué un grand rôle dans le redéploiement des forces américaines en Europe et au Proche-Orient », souligne l’historien marocain El-Mostafa Azzou. Elles permettent aussi d’éviter une présence allemande sur les côtes marocaines, un temps redoutée par les Américains car elle aurait pu offrir aux nazis une base de départ pour des offensives en direction de l’Amérique du Sud.
Après la Seconde Guerre mondiale, place à la Guerre froide. Là également, le Maroc va être un atout géopolitique majeur dans la confrontation Est-Ouest, d’autant que l’Algérie bascule très vite vers le bloc soviétique après son indépendance en 1962. Les bases aériennes installées au Maroc sont achevées, même si trois seulement voient le jour au lieu des cinq prévues. « Grâce à un travail de jour et de nuit, les 3 000 mètres de pistes nécessaires à chaque base et les diverses installations sont rapidement réalisées. En 1953, les bases de Ben Guerir, Sidi Slimane et Nouaceur (la plus importante) sont terminées », indique un article publié dans la revue Maghreb-Machrek en février 1965.
Alliés de la Guerre froide
Une station de transmission de l’USAF va également être mise sur œuvre. Mais c’est un incident, survenu le 31 janvier 1958 à Sidi Slimane, qui donne montre l’importance que les Américains accordent à leur implantation marocaine. Ce jour-là, un bombardier B-47 Stratojet de l’USAF prend feu sur la base. Événement sans grande gravité en soi, si ce n’est qu’on apprendra par la suite que l’appareil était porteur d’une charge nucléaire.
Ainsi, dans le contexte bipolaire de la Guerre froide, la frontière du Maroc et de l’Algérie est une ligne de séparation les deux blocs. Dès lors, les affrontements plus ou moins importants qui, se dérouleront le long de cette frontière seront analysés sous un jour particulier. Ce sera d’abord la Guerre des sables, en 1963, qui donne un premier aperçu de l’importance de la question du Sahara. Dès lors, l’armée marocaine se confrontera régulièrement aux indépendantistes saharaouis avec, à partir de 1979, le soutien de plus en plus visible des États-Unis.
Le Congrès approuve d’ailleurs l’envoi de formateurs militaires américains, notamment des « bérets verts », pour former les soldats marocains à la contre-guérilla, mais aussi l’envoi de matériel en quantités conséquentes. Dès février 1979, six hélicoptères Chinook sont expédiés. Huit mois plus tard, ce sont six avions Bronco, 24 hélicoptères Cobra et 20 avions de chasse Northrop F-5. Un an plus tard, il double son aide de 1979, en accordant 105 millions de dollars aux FAR. Parallèlement, l’armée américaine participe activement à la construction du mur du Sahara, une barrière de sable visant à endiguer les intrusions intempestives des combattants du Polisario sur le territoire marocain. L’entreprise américaine Westinghouse, en particulier, y installe un système de radars et de détection.
Une région clé
En avril 1982, une visite au Maroc du secrétaire d’État adjoint Paul Wolfowitz permet de comprendre l’importance du royaume dans le dispositif occidental. Le monde a alors les yeux tournés vers l’Afghanistan, envahie depuis 1979 par les troupes soviétiques. « Il faut admettre que cette région (du Maghreb et de la Méditerranée occidentale, NDLR) a aujourd’hui acquis une importance qu’elle n’avait pas il y a vingt ou trente ans, souligne le diplomate dans une interview au journal marocain Le Matin. Ce qui s’est passé avec l’invasion soviétique en Afghanistan nous a montré que le problème pour nous était de déplacer des forces du Proche-Orient vers cette région. »
Ajoutons que pour Washington, le Maroc peut aussi participer à sa stratégie sur le continent africain. Son intervention au Zaïre, en 1977, pour aider le régime chancelant de Mobutu, mis à l’épreuve par des milices communistes venues d’Angola, en est l’illustration. Une opération que les Américains avaient envisagé de mener eux-mêmes, jusqu’à ce que le Congrès refuse de donner son accord au président Jimmy Carter.
En 1990, après l’invasion du Koweit par l’Irak de Saddam Hussein, un contingent de 2 000 soldats marocains est dépêché aux côtés de la force de coalition régentée par les États-Unis pour participer à cette première Guerre du Golfe. Le royaume permettra aussi aux bombardiers américains à long portée de se ravitailler sur son territoire.
Une proximité qui ne se dément pas et s’est encore vérifiée, en 2023, avec l’exercice African Lion. Les observateurs ont pu y voir d’autres nations africaines – ainsi qu’Israël, une première – se joindre au duo Maroc-États-Unis pour des manœuvres terre-air-mer. Comme chaque année, le message est clair : les ennemis du Maroc et de l’Amérique n’ont qu’à bien se tenir, car l’ennemi de mon ami est mon ennemi !
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