Biens mal acquis de l’ère Bouteflika cachés à l’étranger : quelles solutions ?
Alors qu’une partie des biens confisqués aux anciens oligarques algériens viennent d’être vendus aux enchères, Alger peine toujours à récupérer ceux qui sont cachés à l’étranger. Avocat et ancien membre de la Cour internationale d’arbitrage, Nasr Eddine Lezzar propose des méthodes alternatives pour sortir de l’impasse.
C’est un pactole que les autorités estiment à plusieurs milliards de dollars que l’Algérie tente de récupérer, à travers la coopération judiciaire avec une trentaine de pays. Mais l’argent peine à rentrer au pays à cause des verrous législatifs qui régissent particulièrement le secteur bancaire. Pour l’avocat d’affaires et ancien membre de la Cour internationale d’arbitrage Nasr Eddine Lezzar, Alger serait sans doute mieux avisé d’envisager un mécanisme de récupération à l’amiable des sommes détournées sous l’ère de l’ex-président Bouteflika.
Le dispositif pourrait par exemple proposer une cessation de poursuites. On pourrait aussi imaginer le maintien des biens dans les pays étrangers tout en les gérant à distance et en en percevant les dividendes. Mais cette voie est-elle réaliste ? Le juriste détaille ici les difficultés auxquelles se heurte l’État algérien et le dispositif alternatif auquel il pense.
Jeune Afrique : La justice algérienne a envoyé par voie diplomatique pas moins de 220 commissions rogatoires et demandes d’entraides judiciaires dans une trentaine de pays, sans résultats probants. Qu’est-ce qui bloque ces nombreuses tentatives de récupérer les biens détournés sous l’ancien régime ?
Nasr Eddine Lezzar : Les conventions multilatérales signées sous l’égide d’organisations régionales ou universelles existent, et il serait très long de les énumérer ici. Cependant la mise en œuvre de ces mécanismes dépend de la volonté politique de deux États, l’État requérant et l’État requis. Cela quand bien même cette mise en œuvre serait faite par les autorités judiciaires. Dans ce domaine, les discours sur l’indépendance de la justice dans les pays émetteur et d’accueil ne doivent pas faire illusion. Des personnes condamnés et sous le coup de mandats d’arrêts internationaux, délivrés par la justice algérienne, courent toujours sans que cette procédure soit concluante. Le rapatriement d’un bien mal acquis est plus difficile que l’extradition de la personne responsable du délit.
La traçabilité des biens mal acquis n’est-elle pas une difficulté supplémentaire ?
En effet, les difficultés et problèmes résident, entre autres, dans la technique des prête-noms. Les personnes poursuivies ont eu le temps de prendre les devants et se sont auto-dépouillées en transférant leurs biens à des prête-noms ou à des gestionnaires de fortune. Même les accusés surpris par leur arrestation ont pu procéder aux transferts par le biais de personnes qui gèrent leurs biens sur place et qui sont dotés des pouvoirs les plus larges. Aussi, de grandes sommes ont été acheminées dans des paradis fiscaux via des canaux et des structures opaques
Si la localisation des avoirs bancaires est problématique, la récupération l’est davantage. La France est, tout comme la Suisse, un des pays les plus réticents à la levée du secret bancaire. Les banques sont rétives lorsqu’il s’agit de restituer des avoirs qui leur apportent des dividendes substantiels. Les banques de recel utiliseront tous les artifices et toutes les techniques dilatoires pour différer cette restitution autant que possible. On trouvera toujours une virgule qui manque dans un document donné pour rejeter la requête en la forme.
Et pour ce qui est des biens immobiliers ou des sociétés ?
Les fonds de commerce et les biens commerciaux peuvent être inventoriés mais parfois avec beaucoup de difficultés en fonction de la fiabilité, de la traçabilité et de la publicité des écritures comptables. La situation se corse pour les actions et les parts sociales détenues dans des sociétés anonymes. Là, l’obtention de l’information est très complexe et ne peut se faire qu’au terme d’une longue procédure, si toutefois elle aboutit.
Quant aux biens immobiliers, ils sont facilement identifiables mais non transférables. Ils font l’objet d’une publicité, c’est-à-dire que les informations sur le patrimoine immobilier de chacun sont à la portée du public. Donc accessibles sans formalités complexes. Mais le transfert est impossible, il faut réfléchir à leur vente par l’État algérien ou à la gestion pour le compte de celui-ci par des structures spécialisées.
La récupération des biens dépend aussi de la législation interne de chaque pays, est-ce que cela complique les choses ?
Effectivement. Prenons le cas de la France qui, selon toute apparence, est le pays qui accueille la majeure partie des fonds et biens mal acquis en Algérie. Elle s’est dotée d’un dispositif opérationnel de restitution des « biens mal acquis », administré par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE), via la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.
Ce mécanisme « innovant » selon ses promoteurs prévoit « la restitution des sommes issues de la vente des “biens mal acquis” définitivement confisqués en France sous la forme d’actions de coopération et de développement dans les pays concernés au plus près des populations ». Ce dispositif est devenu opérationnel depuis que ses modalités ont été déclinées dans la circulaire n° 6379/SG du 22 novembre 2022, signée par la Première ministre de l’époque. La restitution des biens mal acquis selon le droit français s’inscrit comme action de solidarité et lutte contre les inégalités mondiales. Je crois comprendre que l’année 2022 a coïncidé avec la période où les condamnations des affaires de corruption sont devenues définitives. Les autorités judiciaires ont engagé des procédures de récupération des biens et fonds confisqués et expatriés un peu partout dans le monde.
Le texte français enchaîne en précisant que les fonds constitués des ventes des biens mal acquis sont affectés à « l’Aide publique au développement », placés sous la responsabilité du ministère des Affaires étrangères, et « financent des actions de coopération et de développement dans les pays concernés, dans le respect des principes de transparence et de recevabilité, et en veillant à l’association des organisations de la société civile ».
Ces fonds ne sont donc pas restitués à l’État requérant. L’État français, receleur, devient garant de la bonne affectation des fonds volés au profit des populations. Nous sommes devant une atteinte à la souveraineté de l’État requérant et au droit à la libre disposition de ses biens.
Que préconisez-vous pour récupérer ce patrimoine expatrié ?
La récupération des biens mal acquis est un processus complexe qui requiert des préalables et des conditions précises. À savoir, une connaissance du droit de l’État requérant (qui demande une restitution des avoirs) et de celui de l’État requis, ainsi qu’une maîtrise des mécanismes du droit international. Il faudrait aussi distinguer la récupération du rapatriement : il est nettement plus facile de récupérer ces avoirs au nom de l’État algérien et de les maintenir dans le pays d’accueil que d’essayer de les rapatrier.
L’État d’accueil collaborerait plus volontiers s’il avait l’assurance du maintien des fonds sur son territoire et dans ses banques, même si l’État algérien encaisserait les dividendes périodiquement. Il serait judicieux de réfléchir à la création d’une banque, d’un office public, d’un fonds d’investissement, qui se chargerait au nom de l’État algérien de récupérer ces fonds et ces biens, et les ferait fructifier dans les pays qui hébergent ces biens mal acquis. Les dividendes viendraient enrichir le Trésor public algérien.
Il y a, enfin, une autre solution qui mériterait d’être mise en débat : certains des hommes d’affaires détenus dans le cadre de ce qu’on appelle les procès de la « îssaba » (terme qui désigne le « clan » ou la « mafia » qui gravitait autour de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, NDLR) affichaient leur disposition à une restitution des biens contre une cessation de poursuites. L’un d’eux aurait dit : « Qu’on me laisse sortir avec mon pantalon, et je restitue tout ce que j’ai. » Je pense qu’il y a là une piste de négociation, une possibilité de transaction pénale qui aurait pour terme une restitution de l’indu contre une remise de peine.
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