Le Maroc et l’Union africaine, une pièce en plusieurs actes

Le 1er février 2024, le Maroc a pris la présidence du Conseil de paix et de sécurité de l’UA. L’occasion de revenir sur l’histoire, parfois tumultueuse, des relations entre le royaume et l’organisation panafricaine.

Le roi Mohammed VI lors du 28e sommet de l’Union africaine (UA), à Addis-Abeba, le 31 janvier 2017. © Minasse Wondimu Hailu / Anadolu Agency via AFP

Le roi Mohammed VI lors du 28e sommet de l’Union africaine (UA), à Addis-Abeba, le 31 janvier 2017. © Minasse Wondimu Hailu / Anadolu Agency via AFP

Publié le 11 février 2024 Lecture : 5 minutes.

C’est en 1963, à Addis-Abeba, capitale de l’empire éthiopien sous le négus Haïlé Sélassié, que l’Organisation de l’unité africaine (OUA) voit le jour. Le continent est alors en pleine phase de décolonisation et, dans ce contexte, l’Éthiopie est une référence d’africanité, car, hormis une brève période d’occupation par les forces italiennes entre 1936 et 1941, elle n’a jamais été colonisée. La symbolique est grande.

Quant à l’idée de créer l’OUA, le mérite en revient au Ghanéen Kwame Nkrumah, militant africaniste de la première heure. C’est à lui que l’on doit l’organisation, en 1945, à Londres, du cinquième Congrès panafricain. C’est aussi grâce à sa détermination que la Côte d’or, colonie britannique et futur Ghana, recouvre, en 1956, son indépendance. Quatre ans plus tard, il en devient le premier président.

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Quant aux objectifs de la charte de l’OUA, ils sont on ne peut plus clairs : assurer une solidarité intra-africaine pour accompagner les pays encore colonisés vers l’indépendance et lutter contre l’apartheid qui mine l’Afrique du Sud. Raison pour laquelle cette dernière ne fait pas partie des membres fondateurs de la première institution continentale africaine.

Une africanité à laquelle tient Hassan II

Le Maroc a lui aussi conquis son indépendance en 1956. Sept ans plus tard, il fait partie des trente-deux pays signataires de la charte de l’OUA. Le royaume chérifien a alors à sa tête le roi Hassan II, fils de Mohammed V, le sultan – puis le roi – qui a conduit le pays à l’indépendance.

Mais la monarchie alaouite cherche encore ses marques. Arabité, africanité et islamité sont à l’agenda et l’adhésion à l’OUA épouse la logique identitaire qui prévaut alors. La première Constitution du Maroc, promulguée un an plus tôt, ne dit d’ailleurs pas autre chose dans son article 1er : « Le Royaume du Maroc, État musulman souverain, dont la langue officielle est l’arabe, constitue une partie du Grand Maghreb. État africain, il s’assigne en outre, comme l’un de ses objectifs, la réalisation de l’unité africaine. » Le mot d’ordre est lancé.

Cette africanité, Hassan II y tient comme à la prunelle de ses yeux. N’a-t-il pas déclaré dans un discours, en 1976, que « le Maroc ressemble à un arbre dont les racines nourricières plongent profondément dans la terre d’Afrique et qui respire grâce à son feuillage bruissant aux vents d’Europe » ?

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Le cadre est planté : le royaume est un pont entre l’Afrique et l’Europe. Par ailleurs, il n’est pas le seul pays arabo-musulman à adhérer à l’OUA dès sa fondation. L’Algérie, fraîchement indépendante, mais aussi l’Égypte, la Tunisie et la Mauritanie répondent présents à l’appel panafricain.

Et pourtant, en 1984, le royaume du Maroc décide de claquer avec fracas la porte de l’OUA. Ce qui paraît presque être un geste impulsif ne l’est en fait pas du tout. Entre Rabat et l’organisation continentale, des sujets de friction existent depuis l’origine. Le cas de la Mauritanie, notamment.

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À l’époque, le Maroc considère que celle-ci fait partie de son territoire national. L’adhésion du pays à l’OUA a donc fait grincer beaucoup de dents à Rabat. Autre source de tension : le Groupe de Casablanca. Créé en janvier 1961, cette association de pays a, en concurrence avec le « groupe de Monrovia », participé à la réflexion qui a mené à la création de l’organisation panafricaine. Mais les deux groupes, tout en partageant des objectifs communs – indépendance, panafricanisme… – avaient aussi des vues différentes sur certains sujets, et les débats ont laissé des traces.

En juillet 1979, au sommet de l’OUA qui se tient, justement, à Monrovia, au Libéria, le roi Hassan II monte à la tribune pour faire état de ses désaccords. « Ce qui se passe à l’OUA depuis des années, s’agace-t-il, sont des conférences tam-tam […], des conférences de danse de Saint-Guy […]. Je dois être isolé de ce cloaque… pour refaire cette Afrique. »

Cinq ans plus tard, le divorce est consommé. L’admission de la République arabe sahraouie démocratique (Rasd) comme membre de l’OUA est la goutte qui a fait déborder le vase, alors que les combattants du Front Polisario affrontent périodiquement les troupes marocaines depuis 1975.

La rupture avec l’OUA en 1984

Lors du 20e sommet de l’organisation, qui se tient le 12 novembre 1984 à Addis-Abeba, le conseiller du roi, Reda Guedira, « porte-parole » du souverain marocain, déclare : « Voici l’heure de nous séparer […] En attendant des jours plus sages, nous vous quittons. Mais africain est le Maroc et africain il le demeurera. »

Depuis plusieurs années déjà, Rabat travaillait à retarder l’arrivée de la Rasd au sein de l’organisation. Faute d’avoir pu l’empêcher, le royaume semble alors, pour un temps, tourner la page et lorgner d’autres horizons. En juin 1984, il demande officiellement son adhésion à la Communauté économique européenne (CEE), l’ancêtre de l’actuelle Union européenne. Les regards, désormais, sont tournés vers la Méditerranée et les voisins du Nord. Le demande sera toutefois rejetée par les Européens trois ans plus tard.

Il faudra attendre trente-trois ans pour voir le Maroc faire son retour au sein de l’organisation continentale, devenue entre temps Union africaine (UA). Un changement acté en 1999 par la signature de la déclaration de Syrte. Pour les États membres, l’OUA avait fait son temps et les enjeux avaient changé. À l’anticolonialisme et à la lutte contre l’apartheid avaient succédé l’ouverture de l’Afrique sur le monde, les défis socio-économiques, la promotion des libertés… En 2002 à Durban, en Afrique du Sud, l’UA remplace officiellement l’OUA.

Demande d’adhésion à la Cedeao

Le 30 janvier 2017, lors du 28e sommet de l’organisation, c’est le roi Mohammed VI en personne qui célèbre le retour de son pays au sein de l’UA.

« Il est beau le jour où l’on rentre chez soi, après une trop longue absence ! Il est beau le jour où l’on porte son cœur vers le foyer aimé […] Je rentre enfin chez moi et vous retrouve avec bonheur », s’enthousiasme le souverain. Et Rabat ne s’arrête pas en si bon chemin.

La même année, Rabat, ainsi que Nouakchott et Tunis, formulaient une demande d’adhésion à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Rien d’étonnant quand on sait que Mohammed VI, depuis son accession au trône en 1999, a multiplié les ouvertures vers l’Afrique. Cet intérêt se jauge à la quarantaine de déplacements effectués par Mohammed VI, depuis son intronisation, aux quatre coins de l’Afrique. Sans parler de l’offensive économique des entreprises marocaines sur le continent, ou tout récemment de l’ouverture géopolitique vers les pays du Sahel.

Autant de signes qu’il existe bien aujourd’hui un soft power marocain vers le continent, que le roi n’a eu de cesse d’entretenir. Peut-être faut-il aussi y voir une réaction à l’attitude de plus en plus isolationniste de l’Europe, crispée sur les questions migratoires.

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