Entre Israël et le Hamas, l’accord impossible

Avec plus de 27 000 morts annoncés dans les bombardements quotidiens de Tsahal, Gaza paie un lourd tribut au conflit entre le Hamas et Tel-Aviv. Cependant, vouloir « nazifier » Israël et les Juifs à travers des débats enflammés contribue à occulter l’essentiel : la violence contre les populations civiles gazaouies. Et l’impasse politique.

L’hôpital Al-Shifa, dans la ville de Gaza, après une frappe israélienne qui, selon le ministère de la Santé de Gaza, a tué au moins 20 personnes et en a blessé plus de 150, le 25 janvier 2024. © AFP

L’hôpital Al-Shifa, dans la ville de Gaza, après une frappe israélienne qui, selon le ministère de la Santé de Gaza, a tué au moins 20 personnes et en a blessé plus de 150, le 25 janvier 2024. © AFP

Dominique Sopo, à Paris, en 2012. © Remy de la Mauviniere/AP/SIPA

Publié le 8 février 2024 Lecture : 6 minutes.

Quatre  mois après l’attaque terroriste du Hamas contre Israël qui a coûté la vie à 1 140­ personnes essentiellement civiles – dont 42 Français victimes des exactions perpétrées par les combattants islamistes du Hamas et de ses alliés – sans compter des milliers de blessés, le nombre de victimes augmente jour après jour dans le conflit qui oppose Israël au Hamas. En raison d’une stratégie conçue avec un objectif de minimisation des pertes militaires côté israélien, la population civile gazaouie paie un prix ahurissant aux bombardements quotidiens de Tsahal. À Gaza, trois réalités majeures doivent attirer notre attention.

– Le nombre de morts (plus de 27 000 annoncés, combattants du Hamas compris) et de blessés (plusieurs dizaines de milliers). À cet égard, il ne peut être soutenu que ce nombre de victimes soit à mettre sur le compte du Hamas du fait que ce dernier se battrait au sein des populations civiles. Car cette affirmation revient ni plus ni moins qu’à abdiquer tout questionnement sur la responsabilité de ses propres actes. Elle n’est défendable ni sur le plan éthique ni sur le plan juridique, le droit humanitaire international ne pouvant être violé sous prétexte que la partie adverse l’aurait elle-même violé.

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– Le déplacement forcé de populations, sans que ces déplacements ne les protègent avec certitude de la fureur des bombardements.

– L’étranglement humanitaire du territoire – fruit du blocage de convois humanitaires et de destructions d’infrastructures civiles telles que les hôpitaux – qui relève bien plus d’une punition collective que d’une quelconque nécessité militaire.

Maelström macabre

Autant de réalités manifestement constitutives de violations du droit international. De ce maelström macabre, dont on peine à voir le terme, sortiront inévitablement des haines renforcées sans que les objectifs initiaux affichés par le gouvernement de Netanyahu – l’éradication du Hamas – ne soient atteints. Il semble en réalité peu probable qu’une solution durable puisse venir des parties au conflit, à savoir Israël et la Palestine.

Pourquoi est-ce peu probable ? Tout d’abord pour des raisons que partagent toutes les parties. En effet, chacune de ces parties est aujourd’hui dominée ou gangrénée par les forces qui ont fait dérailler dans leurs camps respectifs le très imparfait processus d’Oslo.

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Et cela parce que ces forces fondées sur une approche sectaire et politique de la ressource religieuse – le Hamas d’un côté et le sionisme religieux de l’autre – pensent profondément que la solution au conflit doit passer par la destruction politique ou démographique de la partie adverse. La charte – même amendée – du Hamas et les exactions – dont viols, tortures et mutilations – perpétrées le 7 octobre par ce mouvement tout autant que les propos haineux et expansionnistes des ministres Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich ces dernières semaines en sont de sinistres illustrations.

Des traumatismes de part et d’autre

Mais c’est également peu probable du fait de raisons propres à chacune des parties au conflit. Côté palestinien, la division du leadership palestinien – division fonctionnelle doublée de l’absence d’une vision partagée de ce que doit être un futur État palestinien – rend difficile une discussion interne à une société palestinienne morcelée et l’identification de forces politiques garantes d’accords passés avec Israël.

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À cet égard, il faut avoir en tête que la question du leadership palestinien ne se pose pas dans les termes où elle est souvent présentée en France : l’espoir de l’arrivée d’un homme providentiel (Marwan Barghouti ou Mohammed Dahlan, par exemple) qui masque mal une vision qui voudrait que l’on traite avec les Arabes en trouvant le « bon Arabe » qui les mettra dans le droit chemin, c’est-à-dire celui que l’on a dessiné pour eux.

Penser le leadership palestinien, c’est penser les Palestiniens comme un peuple et donc un ensemble d’individus traversés par des forces sociales, des idéologies, des systèmes d’alliances, des trajectoires biographiques – qui plongent dans l’Histoire et ses traumatismes anciens et récents – et des effets de générations. Et non comme une population sinon une masse en enfance ou en barbarie qu’un habile tuteur devrait guider.

Côté israélien, on ne peut que constater la criante incapacité d’Israël de dessiner un chemin vers un accord avec les Palestiniens, après des années où Netanyahu, s’appuyant à l’occasion sur la normalisation des relations diplomatiques avec plusieurs pays arabes, a bercé son pays de l’illusion de la disparition de la problématique palestinienne. Une illusion d’autant plus plaisante qu’elle éliminait la nécessité de penser l’Histoire, le rapport aux Palestiniens et les concessions à leur accorder au terme d’un processus de paix.

Cette problématique est pourtant revenue avec fracas et de la pire des manières le 7 octobre, ce jour où des Gazaouis, massivement enfermés par Israël et l’Égypte dans une prison à ciel ouvert et largement disparus de la géographie mentale des Israéliens en tant qu’acteurs politiques, sujets de droits voire individus, se sont signalés sous les traits de cruels bourreaux aux actes effroyables.

Durant toutes ces années à la tête du pays, Netanyahu a également puissamment œuvré à légitimer le racisme anti-arabe, le poids de la religion comme base identitaire à Israël et le dédain envers l’État de droit. Ses partenaires d’extrême-droite – par ailleurs anti-laïques et homophobes – ont porté ce dédain à un niveau inégalé ces derniers mois, qu’il s’agisse des attaques contre les prérogatives de la Cour suprême (et donc contre la démocratie) ou contre les Palestiniens de Cisjordanie, dont les exactions perpétrées à leur endroit par des milices de colons ont été légitimées par des ministres (à Huwara par exemple en février dernier).

Ces exactions ont même été encouragées, et encore plus depuis les attaques du 7 octobre, dont le caractère traumatique – réveillant d’anciens traumatismes hérités de la Shoah et tenant de la peur de la destruction des Juifs – est utilisé par les forces extrémistes pour approfondir leur emprise sur les esprits affolés par la violation d’un État-refuge qu’ils pensaient inviolable.

Impasse politique

Sauf bouleversement simultané et convergent sur les scènes politiques israélienne et palestinienne, la communauté internationale a un indispensable et immense rôle à jouer pour sortir de cette ornière dont les conséquences économiques et géopolitiques dépassent de loin les territoires strictement concernés. Et le drame veut qu’il ne soit pas certain que la communauté internationale soit en situation de le faire, du fait de la faiblesse structurelle de l’ONU ou du refus des États-Unis de jouer un rôle de médiation sur les deux dernières décennies, au profit d’une position pro-israélienne devenue de plus en plus problématique à mesure que s’affirmaient le pouvoir de Netanyahu, son refus assumé de toute solution politique au conflit avec les Palestiniens et donc l’utilisation de la force militaire acquise par Israël non pas comme un élément de négociation, mais comme l’instrument d’un assujetissement sans fin des Palestiniens.

Face au drame que connaissent les Gazaouis, des débats virulents opposent ceux qui adoptent ou rejettent la qualification de génocide. Il est fort peu probable qu’une dimension génocidaire soit un jour retenue contre Israël dans la mesure où il faudrait pour cela démontrer une intentionnalité de détruire une population, ce qui n’est pas attesté chez les décideurs politiques et les responsables opérationnels des actions militaires à Gaza.

Au-delà de la joie mauvaise qui semble animer des individus ou des groupes prompts à vouloir nazifier Israël et les Juifs à travers ces débats enflammés, ces derniers doivent aussi être analysés comme du pain bénit pour les forces extrémistes en Israël qui trouvent là matière à délégitimer les critiques qui sont adressées à l’offensive de leur pays contre Gaza. Cela contribue à occulter l’essentiel qui se révèle pourtant d’une exceptionnelle gravité : la violence contre les populations civiles gazaouies et l’impasse politique de cette séquence de violences croisées.

De façon concrète et sans que cela n’épuise la question des qualifications juridiques des violations du droit international manifestement constitutives de crimes de guerre à l’endroit des populations civiles gazaouies, la communauté internationale devrait œuvrer à faire libérer les otages détenus par le Hamas (rappelons que la prise de civils en otage est elle-même une grave violation du droit international), amener à un cessez-le-feu immédiat, obtenir la levée du blocus de Gaza et dessiner un chemin vers la reprise d’un processus politique enfin conclusif qui aboutirait à la reconnaissance universelle d’Israël et à la création d’un État palestinien viable et souverain.

Vœux pieux ? Peut-être. Mais à sans cesse formuler, loin des dynamiques funestes qui ont provoqué et continuent de provoquer des pertes immenses en Israël et en Palestine, déclenché une vague d’actes antisémites dans de nombreux pays, dont la France, renforcé l’amalgame entre Arabo-musulmans et terroristes ou, sous prétexte de soutien à l’une ou l’autre des parties, nourri ici ou là le mépris et la haine envers les Israéliens ou les Palestiniens.

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