Avec la civilisation capsienne, la Tunisie se penche sur son passé préhistorique

Alors que des traces de présence humaine vieilles de 100 000 ans viennent d’être découvertes au Maroc, un humoristes tunisien relance la « rivalité » qui se joue entre pays d’Afrique du Nord pour savoir où est née la civilisation la plus ancienne.

Alentours de Gafsa © DR

Alentours de Gafsa © DR

Publié le 12 février 2024 Lecture : 5 minutes.

« Réjouissez-vous, Tunisiens : la civilisation la plus ancienne est née à Gafsa (Sud-Ouest). L’Égypte et ses pharaons n’ont qu’a bien se tenir. » En moins d’une minute sur les réseaux sociaux, l’humoriste populaire Lotfi Abdelli a plus fait pour faire connaître l’existence d’une civilisation dite « capsienne » que plus d’un siècle d’étude de la période préhistorique en Tunisie.

Il lui a suffi de rebondir, fin janvier, sur un post de la page « Houna Tounes » (Ici Tunis) qui affirmait que « l’Unesco avait indiqué que la civilisation capsienne, originaire de la ville de Gafsa, datant de plus de 7 000 ans, est la plus ancienne de l’histoire de l’humanité. Elle est plus ancienne que la civilisation sumérienne et égyptienne ». Sans se préoccuper de démêler le vrai du faux, il s’empare de la nouvelle et la met en scène, en titillant la fierté nationale et en ravivant une pseudo rivalité récurrente et atavique avec l’Égypte, qui remonte à la confrontation de deux visions du monde arabe, celle du rais égyptien Gamal Abdel Nasser et du zaim tunisien Habib Bourguiba, dans les années 1950-1960.

la suite après cette publicité

En quelques jours, Lotfi Abdelli fait 300 000 vues et rend un très grand service à la préhistoire en lui octroyant une visibilité inattendue. Bien que l’information publiée par « Houna Tounes » soit en réalité infondée. L’Unesco n’a, en effet, effectué aucun classement : c’est la Tunisie qui a proposé d’inscrire au patrimoine mondial la Rammadiya – ou « escargotière – d’El Magtaa » (El Mekta) dans le sud tunisien, au titre de site de la culture capsienne. En ligne sur le site de l’organisme culturel onusien, l’intitulé et l’argumentaire introduisant la requête tunisienne ont été à l’origine du malentendu.

La préhistoire n’est pas un temps obscur, mais juste un temps lointain qui, dans l’imaginaire collectif, est perçu comme dénué de civilisation dans le sens de production humaine. Un temps où l’homme est présenté par les religions, le cinéma et la bande dessinée comme sauvage. De manière convenue, l’histoire commence avec l’avènement de l’écriture et est précédée par la période dite protohistorique, transition entre le Néolithique – dernière séquence de la préhistoire – et l’histoire.

Une période peu connue

En arabe, la préhistoire est désignée par « avant l’histoire » et se fond dans la période de la « jahilya » (de l’ignorance) qui précède l’avènement de l’islam et d’un monothéisme éclairé. Le protectorat français, malgré les découvertes, contribuera quelques siècles plus tard à négliger la préhistoire en privilégiant la période antique, avec un intérêt pour la période romaine, dont les artefacts étaient plus nombreux et imposants. À l’indépendance, Bourguiba, le fondateur de la Tunisie moderne, s’inspirera plutôt des héros numides et du monde carthaginois et le Capsien devient une affaire de préhistoriens.

Le buzz récent a donc eu le mérite de faire découvrir ou redécouvrir aux Tunisiens une période dont ils n’imaginaient pas l’existence, car très peu abordée par les professeurs d’histoire. Même les autochtones de la région de Gafsa se souviennent vaguement que des chercheurs ont arpenté les djebels rocailleux et que les abris sous roche étaient susceptibles d’avoir abrité des hommes préhistoriques. Bien souvent les sites ont été identifiés au début du XXe siècle par les premiers archéologues, souvent médecins, militaires ou géographes, tous amateurs passionnés de découvertes.

la suite après cette publicité

Arrivés dans le sillage de la colonisation française et de son installation dans les régions, ils ont contribué à la connaissance du territoire par leurs observations et leurs récits. Parmi eux, l’ingénieur Jacques de Morgan et le médecin Louis Capitan, qui vont devenir d’éminents préhistoriens et reconnaître, sur le gisement d’El Mekta, des caractéristiques qui définiront une culture – ou faciès – qu’ils désigneront par le terme « Capsien », du nom antique du chef lieu de la région Gafsa. Ils symbolisent les archéologues de ces années-là, soucieux de fournir aux sociétés savantes des récits de leurs découvertes avec une présentation d’objets issus de fouilles qui, faute de méthodologie et du fait d’une frénésie de découvertes, ne préservaient pas l’environnement notamment stratigraphique riche en enseignement.

Il faudra attendre que le docteur Ernest-Gustave Gobert introduise l’usage du tamis dans les années 1920 pour affiner l’étude du mobilier archéologique produit par les fouilles. Les premières situent le foyer central du faciès capsien entre Gafsa et Tébessa, dans l’Est algérien, puis le voient s’étendre vers l’ouest et vers la Libye, plus au sud. Au nord, le long des côtes, un autre faciès, l’ibéromaurusien sera prédominant.

la suite après cette publicité

Des occupations humaines plus anciennes

Le préhistorien et paléontologue, Lotfi Belhouchet, rétabli les faits et recadre le débat en précisant, dans un post de vulgarisation, que la culture capsienne dite aussi civilisation capsienne s’étend de 7 500 à 4 000 ans avant J.-C.. Il détaille également les spécificités de cette période et le mode de vie des Capsiens établi à partir des études et des résultats de fouilles. La présence de l’œuf d’autruche, servant de récipient souvent décoré ou d’élément de parure, est notable, ainsi que celle de nombreux silex et de pierres pour faire du feu. Les cendres des rammadiyat ont livré de nombreux ossements de mammifères tels que cerfs, taureaux et lapins et des restes d’escargots. Des éléments qui instruisent sur l’alimentation de l’homme du Capsien, qui de chasseur-cueilleur deviendra progressivement pasteur, mais aussi sur leur environnement qui était bien plus vert et humide qu’actuellement.

Hermaion El Guettar, Musée du Bardo, Tunisie. © DR

Hermaion El Guettar, Musée du Bardo, Tunisie. © DR

Le professeur Lotfi Belhouchet spécifie également que le Capsien n’est pas la plus ancienne occupation humaine constatée en Tunisie. Mais plutôt la culture moustérienne, identifiée dans la région de Gafsa à El Guettar et allant de 350 000 à 35 000 ans avant J.C.. Découverte majeure et pièce phare du Musée du Bardo à Tunis, l’amas d’outils lithiques et d’os, connu comme l’Hermaion d’El Guettar, est le plus ancien monument religieux primitif parvenu jusqu’à nous, et a été daté de 40 000 ans avant J.C..

Sur ce fait, les Tunisiens qui revendiquent une origine ancienne et voudraient rivaliser avec les dynasties égyptiennes pourraient marquer un point en étant, pour certains, les descendants lointains de ceux qui invoquaient l’Hermaion. Mais ils pourraient aussi déchanter face aux archéologues qui démontrent que l’évolution et les influences sont venues de l’Est et ont cheminé à des vitesses différentes depuis la Mésopotamie pour atteindre les actuelles Tunisie et Algérie. « Si bien que comparer sur une même période l’évolution en Égypte ancienne et sur le territoire tunisien ne fait pas vraiment sens, surtout que l’origine africaine des premiers hommes remonte à encore plus loin », remarque une préhistorienne.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Vue reconstituée de l’ancienne cité de Carthage.

Quand Carthage régnait sur le commerce méditerranéen

D’après les études de Cheikh Anta Diop, le pharaon Khéops, le constructeur même de la grande pyramide, était de type camerounais. © Montage JA; Wikipedia

Cheikh Anta Diop, l’homme qui a rendu les pharaons à l’Afrique

La Tunisie et l’Afrique, une si longue histoire

Contenus partenaires