« Abolissons la peine de mort ! » : quand Robert Badinter interpellait les dirigeants africains

L’avocat et ancien ministre de la Justice français est décédé dans la nuit du 8 au 9 février. Célèbre pour avoir porté l’abolition de la peine de mort en France, il en avait aussi fait un combat à l’international. Comme dans cette tribune publiée en octobre 2013 dans les colonnes de Jeune Afrique.

Robert Badinter, à Paris en 2021. © Photo by Ian LANGSDON / POOL / AFP

Robert Badinter, à Paris en 2021. © Photo by Ian LANGSDON / POOL / AFP

Publié le 9 février 2024 Lecture : 3 minutes.

Décédé dans la nuit du 8 au 9 février, Robert Badinter publiait le 10 octobre 2013 dans Jeune Afrique cette tribune appelant à l’abolition de la peine de mort dans le monde entier. Avec Florence Bellivier, présidente de la Coalition mondiale contre la peine de mort, et Karim Lahidji, président de la FIDH, il saluait les avancées dans certains pays – depuis la rédaction de ce texte, le Bénin, la Guinée, la Guinée équatoriale, Madagascar, le Malawi, la Centrafrique, le Congo, la Sierra Leone, le Tchad et la Zambie ont aboli la peine capitale. Mais soulignait aussi le long chemin encore à parcourir.

« Vive la mort ! » C’est en ces termes que les milices franquistes célébraient parfois leurs victoires durant la guerre civile d’Espagne, dans les années 1930. Oui, il a toujours existé et il existe malheureusement encore des États, qui préfèrent la mort à la vie, la barbarie à la raison. Et la peine de mort, à elle seule, symbolise parfaitement cette aberration.

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Cinquante-huit États [83 pays n’avaient pas totalement aboli la peine de mort fin 2022], plus ou moins riches, certains démocratiques, d’autres dictatoriaux, peuvent aujourd’hui légalement condamner à mort un de leur concitoyen. Vingt et un d’entre eux sont passés à l’acte en 2012 [ils étaient 20 en 2022] et ont sacrifié des vies sur l’autel de l’injustice. À l’instar des meurtriers, ils ont violé le droit le plus élémentaire de tout être humain, celui de vivre.

Que des individus ne respectent pas ce droit est inadmissible : les États doivent condamner les meurtriers et prévenir la criminalité ; mais ils ne doivent en aucune manière reproduire leurs actes. Il n’est pas envisageable de construire une société moderne et juste sur l’idéologie de la mort, ou de croire rendre justice en ayant recours à la loi du talion.

Ce point est fondamental, et au cœur de l’argumentaire abolitionniste. Ce dernier est d’ailleurs autant philosophique que juridique. Nos sociétés doivent prendre de la hauteur et ne pas tomber dans la bassesse de la vengeance. Quelle image renvoie-t-on aux administrés quand les juges condamnent à mort, quand les prisons se transforment en mouroirs, et quand les détenteurs de la grâce refusent de l’exercer ? Quoi de plus violent, et quel aveu de faiblesse plus criant, que de voir les autorités d’un pays décider de la mort d’un citoyen ?

Car l’exécution est toujours violente et surtout inhumaine. Pendus au Soudan et au Botswana, les condamnés à mort sont fusillés en Gambie [la législation n’a pas changé dans ces trois pays]. L’exécution engendre souvent une mort cruelle et douloureuse. Le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a d’ailleurs placé les exécutions sous son mandat.

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La condamnation à mort est en outre injuste et vaine. Aucun système juridique au monde n’est à l’abri de l’erreur judiciaire ou du procès inique. Tous les condamnés à mort n’ont pas les moyens de se défendre correctement. Et la peine de mort n’a jamais permis de réduire le nombre de meurtres ou les violences au sein d’une société.

Imaginons qu’un meurtrier reconnaisse ses crimes, et que l’enquête prouve sa culpabilité sans le moindre doute : mériterait-il pour autant la mort ? Non. Nos sociétés doivent faire preuve de créativité et proposer des alternatives pénales aux exécutions.

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En 1981, quand la France a aboli la peine de mort, plus de cent cinquante pays condamnaient à mort et exécutaient. Aujourd’hui, ils ne sont plus que vingt et un [20 en 2022]. [Entre 2008 et 2013], l’Ouzbékistan, l’Argentine, le Burundi, le Togo, le Gabon et la Lettonie se sont débarrassés du châtiment capital. Le travail de la société civile porte ses fruits. Et l’abolition sera bientôt universelle. Car elle va dans le sens de l’Histoire et de la victoire des droits de l’Homme.

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