Les frères Barberousse, héros glorieux ou bandits tortionnaires ?
Le XVIe siècle en Méditerranée : corsaires et barbaresques
Alors que s’achève la Reconquista et que les lumières de la Renaissance commencent à éclairer l’Europe, c’est en Méditerranée que se déplace la lutte entre royaumes chrétiens et musulmans. Une épopée faite de grandes batailles, mais surtout de modestes coups de main.
LE XVIe SIÈCLE EN MÉDITERRANÉE : CORSAIRES ET BARBARESQUES (2/3) – Au XVIe siècle, la reconquête chrétienne de l’Europe méridionale ne va pas subitement faire halte sur les rives nord de la Méditerranée. S’appuyant sur une dynamique à la fois spirituelle, militaire et en partie économique, elle aura bientôt en ligne de mire le littoral nord-africain. Portugais et Espagnols vont peu à peu prendre pied sur les terres du Maghreb, créant comptoirs et places fortes. La plupart des villes barbaresques cèdent. Du moins jusqu’à l’intervention d’une fratrie de chefs corsaires, les Barberousse. Quelle est donc cette famille qui, par ses prouesses, va marquer la mer et les mémoires des deux côtés de la Méditerranée ?
C’est en 1516, à Alger, que les Barberousse basculent soudainement dans l’histoire de la Méditerranée. Une histoire partagée entre Européens, Africains et Asiatiques. Leurs faits d’armes vont très rapidement faire le tour de la mer intérieure, et bien au-delà. Mais comment de simples pirates à la solde d’Alger vont-ils autant faire parler d’eux ? D’abord, une première précision, mais elle est de taille : les frères Barberousse ne sont ni arabes ni berbères, mais bien turcs d’origine grecque. La Grèce étant alors sous la férule de l’Empire ottoman.
Ils sont donc nés sur l’île de Mytilène. Leur père, Jacob, est Albanais, capturé et converti à l’islam. Il aura quatre fils : « Ouich, dit aussi Aroudj, Elias, Isaak et Khayr al-Din (le pieux, ou « le beau fruit de l’islam »), tous marins et corsaires dès leur plus jeune âge », détaille l’historien Jacques Heers. Chacun va connaître un destin différent. Quant à leurs aventures de corsaires, elles ne débutent pas avec la Régence d’Alger. Ils ont déjà fourbi leurs armes ailleurs. En mer Égée. Equipés par la Sublime Porte, ils écument toute la région. Leur butin, c’est à Istanbul qu’ils le font parvenir. En échange, ils reçoivent hommes, armes et munitions pour continuer leurs raids meurtriers.
Changement d’allégeance
Puis en 1514, les Barberousse vont se retrouver au service du souverain Hafside de Tunis. Ce changement d’allégeance s’explique par l’avènement d’un nouveau sultan, Sélim Ier, à Istanbul. Les frères préfèrent se faire oublier des nouvelles autorités turques et, pour cela, ils vont en 1513 s’installer sur l’île de Djerba, tanière notoire des corsaires de l’islam. Aroudj, l’aîné des Barberousse, va se faire remarquer pour une de ses prises. « Ils convinrent d’aller s’établir dans la ville de Tunis. En conséquence, Khayr al-Din mit aux enchères le bâtiment sur lequel il était venu de Turquie. Il obtint cent ducats […] il acheta un autre bâtiment plus léger et plus propre à la course, y chargea ce qui lui restait de sa première cargaison, et suivit son frère Aroudj à Tunis », raconte une chronique arabe anonyme du XVIe siècle.
Dans le Royaume hafside de Tunis, La Goulette devient leur port d’attache. C’est de là qu’ils vont cingler la Méditerranée. « Ils séjournèrent à Tunis pendant tout l’hiver et lorsque la belle saison fut revenue, ils armèrent quatre vaisseaux pour aller croiser sur les côtes de la chrétienté. À peine étaient-ils sortis de La Goulette qu’ils s’emparèrent d’un gros bâtiment ennemi […]. Trois jours après, ils rencontrèrent un autre bâtiment richement chargé […]. La nouvelle de ces prises jeta dans toute la chrétienté l’épouvante et la terreur », narre la même source arabe. Leurs exploits sont chantés de port en port. Ils arrivent très vite aux oreilles des princes et autres souverains locaux aux prises avec les chrétiens.
Chacun veut dès lors les mettre à son service. C’est le cas de Jijel, ville au nord-est de l’Algérie actuelle, occupée par les Génois. Aroudj accepte sur le champ. Il fait aussitôt de l’île d’El Afia, à huit kilomètres au large de Jijel, sa base arrière. L’attaque est dévastatrice. En trois jours, la ville tombe entre les mains des hommes d’Aroudj Barberousse ; 600 prisonniers et un butin considérable font la joie des corsaires et des Jijéliens. Le haut fait est colporté de port en port.
C’est maintenant au roi de Bougie (Béjaïa), acculé par les Espagnols et en fuite dans les montagnes, de faire appel à Aroudj. Là encore, l’aîné des Barberousse répond présent. Mais l’engagement est plus âpre. Les Espagnols vont tenir leur position pendant plusieurs jours, malgré l’assaut des corsaires aidés par les armées locales et les Bougiotes. Aroudj ne parviendra jamais à prendre la ville à cause des renforts dépêchés par l’Espagne, et c’est dans cette bataille qu’il aura un bras emporté par un boulet espagnol. Bougie ne tombera que beaucoup plus tard, en 1555.
Aroudj reçu en grande pompe
En attendant, Aroudj n’était pas homme à renoncer face à un échec. Il continue à mener des combats contre les chrétiens et après Bougie, c’est le tour d’Alger. Le sultan Salim at-Toumi a appelé Aroudj à la rescousse. En 1508, les Espagnols se sont installés sur un îlot, le Peñón de Vélez de la Gomera, barrant la route à l’entrée du port d’Alger, où le commandant Pedro Navarro a fait élever un fortin. Aussi, lorsqu’en 1516, Aroudj se présente, il est reçu en grande pompe par Salim at-Toumi. Plusieurs jours de fêtes célèbrent l’aîné des Barberousse, déjà considéré comme le futur sauveur des Algérois.
L’histoire, pourtant, ne tarde pas à mal tourner. « Quelques semaines après ces fêtes, Aroudj s’empara du palais, de toute la cité, fit assassiner Salim au hammam, puis torturer et tuer les compagnons de Zephira, sa veuve, qui s’était donné la mort plutôt que de se soumettre. Les janissaires et les corsaires mirent la ville à sac », mentionne Jacques Heers. Plus rien n’arrête Aroudj et ses sbires. Dans la foulée, il s’empare d’Oran, du port de Ténès, et arrive aux portes de Tlemcen.
Jusqu’à ce qu’en 1518, la chance semble changer de camp. Au mois de mai, les Espagnols retrouvent la piste d’Aroudj. Celui-ci prend la fuite, croit avoir semé ses poursuivants grâce à un stratagème – il répand son trésor à leurs pieds –, mais est tué sur les bords de Rio Salado (oued al-Malah). « Sa tête fut exposée à Oran sur la grande porte de l’enceinte […] et son corps cloué au mur à Tlemcen entre quatre torches qui brûlèrent longtemps jour et nuit. L’Espagne célébra la nouvelle comme la fin d’un cauchemar par de grandes fêtes, des actions de grâces, des cavalcades et défilés. Le capitaine qui avait porté le premier coup d’épée, Fernandez de la Plaza, fut anobli », raconte Jacques Heers. Endeuillé, son frère Khayr al-Din va se teindre la barbe et les cheveux au henné, lui donnant cette teinte rousse qui fit son surnom. Il est désormais le seul Barberousse encore en vie et compte bien faire payer les Espagnols en continuant à les harceler sans relâche.
Khayr al-Din, héros des Algériens
Tout naturellement, il reprend les rênes à Alger. Et c’est justement sous les murailles de la Ville blanche qu’il prend sa revanche en infligeant une lourde défaite à la soldatesque de Charles Quint. « Khayr al-Din, qui observait en permanence le mouvement des ennemis, réunit le divan au soir du 19 août [1518] et lui expliqua […] que les Espagnols pouvaient passer à l’attaque d’un moment à l’autre […]. La décision de lancer l’attaque les premiers fut prise à l’unanimité par le divan. […] Quand les portes s’ouvrirent et que le signal fut donné, leur assaut sur les Espagnols fut tellement violent que dès les premiers instants il sema la panique dans leurs rangs. […] Bien avant la fin de la mi-journée, les Algériens étaient maîtres du champ de bataille […]. Ainsi, en une seule bataille, Carlos V venait de perdre plus de 17 000 hommes, 26 gros bâtiments de transport, 19 grosses galères, des dizaines de galiotes, de brigantins et autres navires de guerre », détaille l’historien Rachid Zater.
Loin de se satisfaire de cette victoire sur l’une des principales puissances militaires du XVIe siècle, l’année suivante, Khayr al-Din Barberousse, avec 25 galères, attaque la Sicile et les côtes d’Italie. Il razzie également la Provence française entre Toulon et les îles d’Hyères, semant panique et terreur. En 1529, Khayr al-Din déloge définitivement les Espagnols du Peñón de Vélez de la Gomera. Une épopée qui, aujourd’hui encore, a marqué les mémoires de façon différente selon que l’on vit au nord ou au sud de la Méditerranée. En Europe du Sud, on se souvient de Barberousse comme d’un brigand sanguinaire sans foi ni loi, tandis qu’en Afrique du Nord, il est considéré comme un héros, voire pour certains comme un père de la nation algérienne.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Le XVIe siècle en Méditerranée : corsaires et barbaresques
Alors que s’achève la Reconquista et que les lumières de la Renaissance commencent à éclairer l’Europe, c’est en Méditerranée que se déplace la lutte entre royaumes chrétiens et musulmans. Une épopée faite de grandes batailles, mais surtout de modestes coups de main.
Les plus lus – Culture
- Algérie : Lotfi Double Kanon provoque à nouveau les autorités avec son clip « Ammi...
- Stevie Wonder, Idris Elba, Ludacris… Quand les stars retournent à leurs racines af...
- RDC : Fally Ipupa ou Ferre Gola, qui est le vrai roi de la rumba ?
- En RDC, les lampions du festival Amani éteints avant d’être allumés
- Bantous : la quête des origines