Tétouan-Alger : l’alliance anti-Ibères
Le XVIe siècle en Méditerranée : corsaires et barbaresques
Alors que s’achève la Reconquista et que les lumières de la Renaissance commencent à éclairer l’Europe, c’est en Méditerranée que se déplace la lutte entre royaumes chrétiens et musulmans. Une épopée faite de grandes batailles, mais surtout de modestes coups de main.
LE XVIe SIÈCLE EN MÉDITERRANÉE : CORSAIRES ET BARBARESQUES (3/3) – Si Alger, Tunis et Tripoli, devenus régence ottomane au XVIe siècle, concentrent l’essentiel de la course barbaresque en Méditerranée, il ne faut pas pour autant négliger le Maghreb al-Aksa (c’est-à-dire le Maroc). Avec ses deux façades maritimes et sa position stratégique sur le détroit de Gibraltar, unique passage maritime entre la Mare Nostrum et l’océan Atlantique, l’Empire chérifien offre également un havre de paix aux corsaires de tout acabit. Et entre pirates maghrébins, le message semble bien passer, au point de forger une forme d’internationale de la flibuste qui ne dit pas son nom. Et qui se joue autour de l’union inédite entre la gouverneure de Tétouan et des corsaires venus d’Alger.
Sayyida al-Horra (« dame libre » en arabe), future reine de Tétouan, est une femme de ressources. Beaucoup de ressources. Pour la dépeindre, cédons la plume au journaliste Jean Wolf : « Le caïd Moulay Ali ben Rachid, qui avait fondé la ville de Chefchaouen, avait, durant son séjour en Andalousie, épousé une morisque […] convertie très jeune au catholicisme. La jolie mariée […] prit le nom de Lalla Zahra en se reconvertissant à la foi islamique. De cette union naquit, en 1490, un fils qu’on nomma Moulay Brahim. Sa sœur al-Horra vint au monde en 1495. […] Les fées s’étaient donné rendez-vous autour de son berceau : elle était ravissante, vive et spirituelle, débordante d’énergie, impétueuse et d’un caractère très sage. »
Hasard de l’histoire
Hasard de l’histoire, en 1518, lorsqu’après la mort d’Aroudj Barberousse, son frère cadet Khayr al-Din accède au pouvoir à Alger, al-Horra devient, à la suite du décès de son mari al-Mandri, caïda (gouverneure) de Tétouan, ville du nord du Maroc. Cette cité, encore surnommée de nos jours « Fille de Grenade », a connu une immigration conséquente d’Andalous fuyant la Reconquista. Ces morisques étaient venus s’installer, avec femmes et enfants, et avaient trouvé l’abri qu’ils espéraient dans cette ville du nord de l’Empire chérifien. Ce détail a son poids en or. En effet, Sayyida, élevée dans ce milieu andalou lettré, va s’imprégner de la haine que ces exilés musulmans contraints et forcés ressentent vis-à-vis de leur ancienne mère patrie qui les renie.
À la tête de Tétouan, l’ancienne exilée peut mettre à exécution ce ressentiment et cette animosité qu’elle avait nourris à l’encontre des Espagnols. « Ayant appris que les Algériens allaient opérer contre les côtes espagnoles, […] Sayyida al-Horra non seulement approuva cette initiative, mais elle proposa l’organisation d’une véritable coopération avec Alger pour combattre les Espagnols et aider les musulmans andalous », explique l’historien Rachid Zater.
Elle se met en contact avec le gouverneur corsaire algérois en dépêchant à Alger un raïs émissaire. En réponse, Khayr al-Din envoie galiotes et galères pour renforcer la flottille de Sayyida al-Horra amarrée à Rio Martin (Martil), à proximité de Tétouan. Barberousse dépêche également des maîtres charpentiers, des calfats, des remolats et autres ouvriers pour l’aider à construire des navires de course. Échange de bons procédés, la gouverneure de Tétouan saura remercier le corsaire algérois, lui envoyant à son tour bateaux et hommes lors de l’assaut de la Peñón de Vélez de la Gomera.
Caillou dans la botte
Ainsi, non seulement les flottilles mixtes des corsaires vont-elles s’en prendre aux vaisseaux ibériques, mais elles vont également effectuer des sauvetages à grande échelle en Andalousie. « Lorsque les Maures andalous virent approcher de la côte la flotte algérienne qui venait à leur secours, ils gagnèrent la montagne de Pardona. […] Les infidèles prirent la fuite, les Turcs les poursuivirent l’épée dans les reins […]. Ceux-ci [les Maures], grâce à la protection des Algériens, allèrent dans la ville et les villages où ils étaient jadis établis enlever leurs femmes et leurs enfants, ainsi que leurs meubles et tous les effets qu’il leur était possible d’emporter », relate une source arabe anonyme du XVIe siècle. C’est par ailleurs ce transit de morisques depuis al-Andalus vers l’Afrique du Nord qui valut à Barberousse le titre honorifique de « Khayr al-Din » (la bonté de la foi), attribué par le sultan Sélim Ier, qui faisait également office de calife de la oumma (communauté musulmane).
Avec cette alliance entre Sayyida al-Horra et Khayr al-Din Barberousse, on assiste à l’époque à un partage des eaux de la Méditerranée. La première agit à l’ouest et dans l’Atlantique, le second au centre et à l’ouest de la mer intérieure. Cette ligue de corsaires fut un véritable caillou dans la botte des Espagnols et des Portugais. Le butin engendré par ses raids permit en même temps à Alger et Tétouan de devenir des villes prospères donnant à voir un somptueux patrimoine, qui encore aujourd’hui les distingue.
Ces faits d’armes valent aussi aux deux chefs de se faire remarquer par les plus hautes instances dirigeantes de leur pays. Barberousse est appelé auprès du sultan Sélim Ier et nommé amiral de la flotte ottomane. Quant à Sayyida al-Horra, elle épouse en secondes noces le sultan du Maroc, Moulay Ahmed al-Wattassi. Tout en continuant à courser, al-Horra aide son époux royal à contrer la montée de la dynastie saadienne, qui s’était entretemps emparée de Marrakech. Son influence navale était tellement puissante qu’Espagnols et Portugais faisaient appel à ses services pour les pourparlers avec Fès.
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